Cet article a initialement été publié sur VICE Allemagne.
Friedrichsain, Berlin. Chambre 111 d’un grand hôtel du quartier. Une poupée nous attend, vêtue de latex de la tête aux pieds, ainsi que d’une jupe à franges, d’un corsage et d’une ceinture en caoutchouc très serrée. L’odeur ? Un mélange de pneu de voiture et de talc. Face au miroir, la poupée exprime ses doutes : « Ça manque de frous-frous, non ? ».
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La personne ainsi accoutrée se fait appeler Die Gummipuppe La Poupée en Caoutchouc. Elle nous a demandé de ne dévoiler ni son genre ni son nom. D’elle, on ne saura qu’une chose : elle travaille « dans la politique ». Avec ses 30 000 abonnés sur les réseaux sociaux, elle jouit d’une certaine popularité sur la scène poupéiste. Ses quatre vidéos pornographiques totalisent quant à elles plus de 75 000 vues. Difficile de nommer ou de décrire le fétichisme de Die Gummipuppe, ainsi que son statut dans le milieu. On peut néanmoins lire sur son site porno : « L’idée de vivre sans sentir ma peau enserrée de caoutchouc centimètre par centimètre m’est insupportable. »
Se faire « attacher, contraindre et réifier », cela a toujours été son truc, apparemment. Elle est encore ado quand elle tombe, il y a 20 ans, sur le livre Female Rubber, de Jo Hammer, lancien photographe pour Playboy. Déjà la scène latex la fascine. En 2015, Die Gummipuppe passe un premier cap, en s’achetant un costume de chat. Mais ce n’est que l’année dernière qu’elle décide d’assumer pleinement sa vocation, avec la panoplie complète qu’elle arbore aujourd’hui. Die Gummipuppe tient à préciser : « Je ne suis pas un.e fétichiste du latex. J’ai juste un truc pour les matières capables de dissimuler tout ce qui fait de moi un être humain. Ce costume, c’est mon jardin secret. »
Die Gummipuppe n’aime pas l’image que lui renvoie le miroir. Ses chevilles sont menottées de deux frous-frous, un masque à gaz recouvre entièrement son visage, ses yeux sont cachés derrière des verres sans tain, sa bouche comprimée sous une capote rouge qui se gonfle à chaque expiration. Die Gummipuppe enfile une paire de talons aiguilles avant de se diriger vers l’ascenseur.
Et nous voilà parti, avec Die Gummipuppe, pour le Bal des Fétichistes d’Allemagne, « le plus grand week-end fétichiste de toute l’Europe », un grand raout où se réunit chaque année le gratin BDSM. L’événement est organisé dans un bâtiment de briques rouges à Kreuzberg, banlieue sud de Berlin. À l’intérieur, des stands d’équipementiers SM spécial cuir côtoient plusieurs scènes où on vient présenter le fin du fin des appareils de torture.
Propriétaire du label fétichiste berlinois Feitico, Susanne Kaiser est la conceptrice du costume de Die Gummipuppe. Radieuse, elle lui affirme « Tu es sublime ! » avant d’aller en vitesse arranger le masque d’un autre client. Les deux complices se retrouvent parfois dans l’atelier de la créatrice pour concevoir de nouvelles tenues. Celle d’aujourd’hui a demandé 20 heures de travail ; une très belle pièce, qui vient s’ajouter aux 8 costumes de chat, 15 masques et 3 corsets que Die Gummipuppe possède déjà. Une collection dont le montant s’élève à 5 000 ou 6 000 euros.
« Photographe personnel », de Die Gummipuppe, Pitt nous a rejoints et s’occupe d’accéder aux diverses requêtes des fans. Pitt et notre poupée humaine ne comptent plus les soirées fétichistes qu’ils ont écumées ensemble. « Je l’adore, c’est quelqu’un de vrai. Rien n’est mis en scène avec Die Gummipuppe. Sa passion pour la soumission est tout sauf feinte ! »
La condensation du masque à gaz ruisselle sur le décolleté de l’artiste. Très peu de gens sont habillés ainsi. Il y a tout de même Black Star, fétichiste suisse en total look latex, sans oublier les bottes à talons hauts, le corset et le masque à gaz de rigueur. Tous deux sont attendus pour un shooting photo. Ils se fraient un chemin vers la sortie avant d’entamer un parcours du combattant sur les galets de l’allée principale. Deux jeunes mamans croisent notre duo de choc et s’empressent d’expliquer à leurs enfants que ces poupées sont de vraies personnes.
Die Gummipuppe et Black Star enchaînent les étreintes, les câlins et s’agenouillent à la demande du photographe. Die Gummipuppe prend l’initiative de sucer le petit tuyau à la bouche de son partenaire avec sa capote labiale. Black Star lâchera un peu plus tard, sous un soleil peu amène envers son latex noir : « Putain de chaleur ! »
Le vrai nom de Black Star nous échappe soudain : Die Gummipuppe nous rappelle à l’ordre, il ne faut mentionner que leurs « pseudos » en public. Pourtant, difficile de les voir comme des poupées quand on a dû essuyer toute cette sueur à l’arrière du taxi trois heures avant.
À ce stade de la journée, Die Gummipuppe porte son costume depuis un bout de temps. On peut imaginer les hectolitres de transpiration accumulés sous tout ce caoutchouc. L’artiste décrète d’ailleurs qu’il faut rentrer. Malgré les deux grands verres d’eau versés sur son masque à gaz, seules quelques gouttes parviennent jusqu’au trou prévu à cet effet.
Retour à l’hôtel. Il s’agit maintenant d’ouvrir le costume au niveau de l’échine et de détacher son corset. Die Gummipuppe retire ses bottes, non sans laisser échapper une bonne quantité de condensation et de sueur, redevient un être humain et nous ôte d’un doute : « Personne ne peut s’habiller comme ça tout le temps. »
Après sa douche, les mains encore pleines de silicone, elle confesse être un peu déçu.e. Die Gummipuppe aurait préféré qu’on la promène en laisse. Voire mieux, à quatre pattes. Comme ça « quelqu’un aurait sans doute sorti sa bite et essayé de me la fourrer dans la bouche, normal quoi. »
Ce scénario ne s’est jamais réalisé au cours de ses deux ans dans le métier. Pourtant, Die Gummipuppe nous l’explique, son objectif est bel et bien d’exciter les gens : « Je veux que la seule chose à laquelle pensent les gens quand ils jouissent dans leur poupée sexuelle, c’est moi. Là où il y a fétiche, il y a fantasme. »