Société

J’ai été membre des services secrets de la Scientologie à Paris

« On organisait des dîners où l'on invitait des personnalités. Par exemple un maire d'arrondissement de Paris, un sherpa du PDG de Shell, un ponte de l'énergie nucléaire en France. »
Un immeuble de la scientologie

Intimidation d’anciens adeptes, campagnes de lobbying auprès d’institutions, procès à répétitions contre des opposants, noyautage de sociétés… Aux Etats-Unis, la Scientologie utilise tous les moyens pour veiller sur ses intérêts, parfois à la limite de légalité. Ce rôle est dévolu à l’OSA, acronyme de Office of Special Affairs, une branche du mouvement sectaire souvent présentée comme ses services secrets.

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Konrad, scientologue pendant plus de 30 ans, a été l’une des petites mains du bureau parisien de l’OSA au milieu des années 2000. Il a accepté de nous raconter un boulot fastidieux, effectué dans un contexte d’emprise. Rien à voir avec la vie d’Ethan Hunt, l’agent secret de Mission Impossible, incarné par Tom Cruise au cinéma.

VICE : À quoi ressemblent les bureaux de l'OSA à Paris ?
Konrad : Oh ce n'est pas grand-chose. On est dans le sous-sol du bâtiment de Bastille, ce n'est pas très bien ventilé. Il y a deux parties. La pièce où j’étais, avec des ordinateurs, et la pièce fermée, où il y avait le patron. Aucun de nos ordinateurs n’était connecté à Internet. Il y avait un logiciel, une sorte de lessiveuse, qui nettoyait tout le disque dur. Si bien qu’il ne restait rien en mémoire le soir. Quand j'avais quelque chose à communiquer à mon supérieur, je frappais à la porte et je lui donnais la clé USB que je devais utiliser.

Combien de membres des OSA y a-t-il à Paris ?
Il y a la partie « Invest », pour investigation, qui se charge d’enquêter sur les ennemis de la Scientologie. Elle était composée de deux personnes à temps complet. Et il y a la partie « Legal preps » dédiée aux aspects juridiques où nous étions deux également. Quand il y avait un procès, des gens du staff venaient nous aider pour classer des documents, effectuer des recherches. Ça pouvait parfois monter jusqu’à 14 personnes pendant un mois entier. Le patron de l’OSA en Europe était avec nous à Paris. Il venait des Pays-Bas et était membre de la Sea Org (branche qui réunit les hauts gradés de la Scientologie, N.D.L.R.).

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En quoi consistait votre travail ?
Le plus important, c’était lors des procès. Je passais des matinées au tribunal avec des caisses de documents dans une voiture garée au parking. Pendant ce temps, notre avocat Patrick Maisonneuve plaidait pour la Scientologie au Palais. Et s'il avait besoin d’un document, il arrivait en cinq minutes. Une jeune femme se chargeait de faire des allers retours entre ma voiture et la salle d’audience. C'était une tactique. Quand il y a un procès, la scientologie submerge les gens avec des tonnes et de tonnes de documents.

« La Scientologie se paie les meilleurs avocats du monde. »

Vous aidiez autrement lors des procès ?
Oui. Il faut toujours faire un travail de prédiction. Peut-être qu'on va être attaqué sur ce point-là, alors il faut prévoir à l'avance. Par exemple, c’est ce que j’ai fait à propos du Oxford Capacity Test, un test qu'on utilise pour accrocher les gens dans la rue en leur disant qu'on pouvait résoudre leurs problèmes. On nous attaquait en disant que c'était bidon, que ça induisait en erreur parce qu'on faisait croire qu'il y a lien avec l’université d'Oxford. Moi je produisais des notes là-dessus qu’on fournissait aux avocats pour prouver que le contenu de ce test était commun à d'autres tests utilisés aux Etats-Unis.

Aviez-vous d’autres missions en tant que membre des OSA ?
Je parle plusieurs langues couramment. Je pouvais traduire réellement, avec des compétences. C’est quelque chose dont ils ont besoin. Il suffit de lire leurs prospectus, il y a plein de fautes avec de faux-amis. À un moment, il y a eu un procès à la cour de cassation de Milan. Ils voulaient les pièces du dossier d’instruction en anglais et en français. J’ai donc traduit 300 pages, et l'italien juridique est vraiment très compliqué… J'ai aussi dû faire la traduction de la loi de 1905 de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Mon briefing est parti aux Etats-Unis pour Bill Walsh, un des grands spécialistes du droit concernant la liberté de culte. La Scientologie se paie les meilleurs avocats du monde.

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Est-ce que votre travail a été utile lors de procès ?
Le problème est que la Scientologie est très hiérarchisée. Le bureau français a réussi à faire des choses très intéressantes. Mais quand on impose des choses qui viennent d'un mec d’OSA Inc. à Los Angeles, qui ne comprend rien à la réalité française, ça ne peut pas réussir. Par exemple, je ne sais pas qui a décidé de la ligne de défense d’Alain Rosenberg (dirigeant de la Scientologie en France, condamné définitivement par la justice française pour escroquerie en bande organisée en 2013, ndlr) mais j'ai trouvé ça pitoyable. La défense a été faite comme on l'aurait fait aux Etats-Unis, en appuyant sur la liberté de religion, en disant que Rosenberg était pasteur. Ils ont même sorti un garçon noir pour qu'il témoigne et dise : « oui, M. Rosenberg est mon pasteur ». Ça ne tenait pas la route.

Quel rôle joue l’OSA auprès des élites culturelles ou intellectuelles ?
On organisait des dîners où l'on invitait des personnalités. Par exemple un maire d'arrondissement de Paris, un sherpa du PDG de Shell, un ponte de l'énergie nucléaire en France. On les invitait dans des restos comme le Procope à Saint-Germain-des-Prés ou la brasserie de l'Europe à Gare de Lyon. Ces gens, c'était surtout Michel Raoust qui les contactait, un polytechnicien qui a fait Stanford et membre de la Scientologie. L'objectif n'était pas d'en faire des scientologues mais de faire de la relation publique. De leur montrer qu'on n'était pas une secte, que les personnes en face d’eux sont rationnelles, cultivées et intelligentes. D’avoir une position inattaquable. Comme ça, lorsque quelqu'un dira à votre interlocuteur haut-placé, « oh la la, la scientologie c'est dangereux », il lui répondra « moi je n'ai pas eu cette expérience-là » …

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« C’est tout l’art de la Scientologie : faire en sorte que les gens soient heureux de donner le meilleur d’eux-mêmes. Jusqu’à leur prendre leur liberté. »

C’est presque du lobbying ?
En quelque sorte. D’ailleurs, avec un responsable du Celebrity Center, j’avais rencontré un lobbyste professionnel qui devait intervenir pour la Scientologie.

Avez-vous participé à des missions d’intimidation ? Ou du moins en avez-vous été témoin ?
Honnêtement non. Mais c'est très cloisonné. Il est possible que des choses aient été faites, comme du vol de courrier par exemple. Je sais que ces choses-là ont existé aux Etats-Unis. Par exemple, on dérobe des ordres de comparution de personne avec qui on a un conflit judiciaire. Du coup elle ne vient pas au procès et elle est en tort. Je me demande aussi si la Scientologie n’a pas contribué à plomber Georges Fenech, l’ancien président de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, ndlr). À l’époque, Fenech aurait pu devenir Garde des Sceaux. Mais il s’est retrouvé mis en examen en marge d’une affaire de vente d’armes, avant d’être relaxé. Lors d’une affaire comme ça, il suffit de faire caisse de résonnance pour avoir un effet de nuisance. La théorie de Hubbard (fondateur de la Scientologie mort en 1986, ndlr) est que si quelqu’un attaque la Scientologie, il a quelque chose à se reprocher. Alors il faut trouver sur lui ce qu’il appelle du « dirt ». De la saleté.

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Moi, la cellule « invest » m’a demandé une fois d’effectuer une mission de surveillance. Je devais aller voir si une voiture, avec tel numéro d’immatriculation, était bien aux alentours d’une gare au fin fond de la Seine-et-Marne. Je n’ai jamais su pourquoi. Les exécutants ne doivent connaitre que ce dont ils ont besoin pour le succès de la mission.

Comment êtes-vous devenu membre de l’OSA ?
Je suis entré à la Scientologie à la fin des années 70. J'avais fait un emprunt de 30.000 francs pour faire des cours et atteindre le niveau de « clair ». Mais une fois ce niveau atteint, il s’est avéré au bout de quelques mois que je n'étais plus clair et qu'il fallait que je repaie tout… Alors je n’ai plus rien fait pour la Scientologie pendant très longtemps. Jusqu’au début des années 2000 où je n'allais pas bien dans ma vie. Une amie m'a invité à un event et je me suis retrouvé à signer pour faire une formation. Sauf que je ne pouvais pas payer. Je me suis retrouvé dans une situation inextricable. Ils m'ont fait une proposition : si tu veux, on gomme la dette, mais tu travailles pour l’OSA à temps partiel. Et du coup, je me suis retrouvé à travailler pour l’OSA. Un premier contrat de cinq ans. Puis un deuxième. Et le troisième j'ai dit non. J'en pouvais plus.

Que s’est-il passé ?
Ce n'était pas commode. Je devais travailler tous les soirs à l'OSA. C'est difficile de pouvoir gagner sa vie en menant cette activité parallèle. Moi je faisais 25 heures par semaine. Ils me payaient des clopinettes. Peut-être 20 ou 30 euros par semaine. Mais il y a des gens qui font jusqu’à 50 heures.

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Vous avez le sentiment de vous être fait exploiter ?
Evidemment ! C’est tout l’art de la Scientologie : faire en sorte que les gens soient heureux de donner le meilleur d’eux-mêmes. Jusqu’à leur prendre leur liberté. Je suis sur qu’aujourd’hui si le FBI ferme la Scientologie et dit à tous les membres vous êtes libre de partir, ils ne vont pas partir !

Comment fait-on pour prendre la liberté de quelqu'un ?
On fait en sorte qu'il soit d'accord. C'est un long processus. Comme dans le communisme. Si on arrive à vous faire croire que vous luttez pour quelque chose qui se justifie, cela peut vous amenez à faire beaucoup de choses. En plus, l’ambiance de travail était très bonne à l’OSA. On organisait régulièrement des « Beer and cheese party ». Chaque fois qu’il y avait un anniversaire, la personne chargée du personnel organisait une petite collecte. On recevait aussi une prime quand on avait eu une bonne production. C’était une prime de 30 euros certes, mais on était fiers. On se sentait supérieur au public scientologue, pas prêt à s’investir autant que nous. Et puis il y a quelque chose de très fort : l'audition (des entretiens pendant lesquelles les adeptes doivent explorer leurs traumatismes enfouis et leurs vies antérieures, ndlr). Vous vous créez tout un passé qui est peut-être seulement dans votre imagination, mais vous êtes convaincus. Ça fait un ciment, petit à petit, qui s’immisce dans tout votre être. On vous conditionne. Le système est très bien fait pour piéger les gens. Mais il y a un moment où tout s’écroule. On pose un paille sur le dos du chameau, et il s’effondre.

Comment s’est passé votre départ ?
Je suis parti du jour au lendemain. J'ai changé de numéro de téléphone, j'ai déménagé, j'ai coupé tous les ponts. J'ai perdu beaucoup d’amis. C'était très dur.

Merci Konrad.

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