Comment le golf a rendu fou François Delamontagne

Les Britanniques le surnommaient Ice Man, ce qui en dit long sur l’admiration que lui portaient alors les golfeurs d’outre-Manche. François Delamontagne avait en apparence ce flegme indispensable pour ne pas trembler au moment de frapper la balle, et sans nul doute ce talent inné qui lui permettait d’avoir un des plus longs drives du circuit. Pourtant, il a pris sa retraite fin 2014 à 35 ans, autant dire en plein dans la fleur de l’âge du golfeur.

Une retraite anticipée donc, mais mûrement réfléchie, comme l’explique le principal intéressé : « Pour être honnête, physiquement tout était parfait, mentalement j’aurais encore pu continuer, mais financièrement je ne pouvais plus », concède-t-il depuis le golf de Dinard, en Bretagne, où il enseigne désormais l’art exigeant du swing qu’il a si longtemps pratiqué. A 70 000 euros minimum la saison, matériel, inscriptions et déplacements compris, le golf n’est pas le sport le plus abordable à haut niveau. Mais en contrepartie, les prize-money des tournois sont généralement à la hauteur de l’investissement consenti.

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Alors, pourquoi la carrière de François Delamontagne, l’un des golfeurs français les plus prometteurs de sa génération, a-t-elle failli tourner à la banqueroute ? Parce que les résultats n’étaient plus à la hauteur de son niveau. Sur les deux saisons 2012 et 2013, il a remporté 3 098 euros de gains, une misère comparé à ce qu’il a pu rafler lors de ses meilleurs résultats, une 4ème place à l’Open de France ou une 3ème à l’Open d’Australie.

François Delamontagne en plein swing en République Tchèque en 2009, sa dernière année au plus haut niveau. Photo Reuters.

À ce niveau-là de contre-performance, on ne peut plus parler de simple coup de moins bien. François Delamontagne lui-même l’avait compris depuis un moment, ce qui l’a d’ailleurs poussé à se retirer des greens. Dès qu’il posait le pied sur un parcours en tournoi, il était victime d’un mal inexplicable, sur lequel lui et ses proches mettent des mots éloquents : ils parlent tantôt de « parasite incrusté dans sa gestuelle », tantôt «de petite bête qui ronge son cerveau » ou « d’angoisse insidieuse ». Autant d’expressions qui tentent de circonscrire le problème qui a frappé subitement François Delamontagne : lui, le golfeur au talent unanimement reconnu, était devenu incapable de frapper convenablement la balle à longue distance.

Dans le milieu du golf, c’est une maladie orpheline contre laquelle entraîneurs et préparateurs mentaux n’ont jamais trouvé de remède. Elle a frappé les plus grands, à l’instar de Ian Baker-Finch, vainqueur du British Open 1991, devenu l’ombre de lui-même sur le même tournoi 6 ans plus tard. Cette maladie a un nom : le yip. Une syllabe aiguë, désagréable à prononcer, et un concept encore plus traumatisant à expérimenter. Il résume à lui seul ce mal propre aux golfeurs qui, l’espace d’une fraction de seconde lors de leur swing, souffrent d’une disjonction entre le cerveau et le corps due au stress, à l’appréhension, au manque de confiance en soi, au regard du public ou d’un adversaire.

« Cela m’arrivait toujours au même instant, pendant ce centième de seconde où la redescente du club s’amorce, c’est exactement là que je craquais. Mon cerveau déconnectait sans que je ne puisse rien contrôler, mes mains aussi du coup. Résultat, le club était orienté n’importe comment au moment de frapper la balle », témoigne François Delamontagne, toujours fasciné par ce phénomène qu’il a vécu, et souvent mal supporté, lorsqu’il était encore sur le circuit.

En l’an 2000, Ian Baker Finch (polo rouge) a le sourire sur le parcours écossais de St Andrews. Il va le perdre en même temps que son swing. Photo Reuters / Ferran Paredes.

C’est d’ailleurs au début de l’année 2010, après sa troisième place à l’Open d’Australie, que le Breton connaît ses premiers ratés. Il est alors en Afrique du Sud, pour deux tournois de moindre importance, dont il se souvient parfaitement encore aujourd’hui : « J’ai un souvenir très précis du moment où tout a basculé. C’était sur le trou numéro 11 de ce parcours, il était très surélevé, et il m’est subitement apparu super étroit alors que quelques jours avant, j’aurais dit que c’était un boulevard. Ma première balle, je l’envoie deux mètres dans les broussailles, et là-bas, avec les serpents et toutes les sales bestioles qui traînent, on va pas la chercher. Alors j’en tire une seconde, et là, je la rate de 60 mètres sur la gauche. A ce moment, une peur puissante s’est emparée de moi : le club me brûlait les doigts, je lâchais la main droite complet. Il me restait 5 balles, je savais que j’allais les rater. Je suis parti. »

Pour bien comprendre ce qui se passe dans la tête d’un golfeur au moment de frapper la balle, il faut écouter les stars de ce sport, comme Bob Toski, entré au Hall of Fame du golf en 2013 – « Le golf est un sport pacifique qui se joue violemment de l’intérieur » – ou des hommes de lettres au sens de la formule acéré comme Mark Twain qui assène : « Le golf de compétition se joue sur un parcours de 5 pouces et demi situé entre vos deux oreilles. » Moins élégamment, mais plus concrètement, le golf est peut-être le sport le plus exigeant vis-à-vis de celui qui le pratique. Le meilleur joueur du monde peut survoler une partie sur 17 trous, s’il n’arrive pas à rentrer le 18e, il perdra le tournoi. Et ne pourra s’en prendre qu’à lui-même.

À partir de 2010, François Delamontagne s’est perdu sur ce parcours de cinq pouces et demi de long, et ce malgré le soutien de son entourage, staff, famille, et surtout de Patrice Amadieu, son entraîneur depuis son adolescence, reconverti depuis comme coach du jeu au pied des rugbymen de Montpellier. Il se rappelle ces longs mois où le doute s’est insidieusement instillé dans le cerveau de son protégé : « On a tout fait pour combattre ce yip. Il a travaillé plein de trucs sur la pression des mains, sur sa routine, mais ça n’a rien donné. On peut combattre les pensées négatives avec des parades, mais là, combattre une fraction de seconde où le cerveau déconnecte, c’est impossible. »

Résultat, les mauvaises performances s’enchaînent, et détruisent patiemment la confiance accumulée par François Delamontagne qui, dans ce laps de temps, épuise trois préparateurs mentaux et un psychologue sur son cas. « Je devais pas être très agréable à ce moment-là », reconnaît lui-même François Delamontagne qui redouble d’efforts à l’entraînement, convaincu que le surplus de travail lui permettra de se sortir de l’impasse. Peine perdue : « Même en bossant comme un acharné, mon swing, qui était génial sur le practice [le terrain d’entraînement des golfeurs, ndlr] devenait horrible en compet’. C’est simple, je devenais un autre homme dès que j’avais une carte dans la poche », constate le Breton, avec lucidité.

Le penseur de Rodin sur les greens. Photo Reuters prise par le bien-nommé Bobby Yip.

Constamment rattrapé par son yip, François Delamontagne s’embourbe dans son mal-être golfique. Toujours avec humour, sa seule arme pour prendre un peu de recul sur ses difficultés. La main toujours plus fébrile sur le grip, il gratifie les spectateurs des tournois auxquels il participe de lâchers de club mémorables. Au Maroc, il termine 20 mètres en arrière, quelques semaines plus tard, il s’envole 15 mètres au-dessus de sa tête : « A ce moment, avant de frapper, je me parlais à moi-même à voix haute en disant : “Alors, où je vais le mettre celui-ci ?” ».

Malgré tous ses efforts – Delamontagne se met même à driver sans tee, frappant la balle à même le sol pour éviter ses craquages intempestifs – ces échecs répétés commencent à gangréner sa vie hors des greens. D’abord pour des choses anodines, comme lorsqu’il pratique le tennis, un sport qu’il apprécie : « Je ressentais exactement la même chose quand je frappais mes revers sur des balles lentes. Je l’envoyais un mètre plus loin, c’était horrible. En revanche, quand elle arrivait vite et que je n’avais pas le temps de réfléchir, ça partait tout seul. » Mais peu à peu, ses ennuis nourrissent une certaine incompréhension avec sa famille, qui se demande à un moment si François Delamontagne ne cherche pas des excuses pour expliquer ses mauvais résultats. « C’est sûr que parfois ça me touchait que ma femme de l’époque ne comprenne pas mon ressenti du golf alors qu’elle-même était une excellente golfeuse [aujourd’hui DTN adjointe à la fédération française de golf, ndlr] », reconnaît-il sans aigreur.

Patrice Amadieu, son entraîneur de toujours, a vécu ces moments à ses côtés. Pour lui comme pour François Delamontagne, ces moments ont été très durs, mais aussi très riches en enseignements. Des années après, avec le recul nécessaire, ce prof d’éducation physique de formation n’a toujours pas de solution pour lutter contre cette « maladie du golfeur », mais avance quelques explications : « Quelque part, c’était inhérent à la personnalité très riche et complexe de François. Pour rester au très haut niveau, un champion doit opérer un aller-retour constant entre deux choses : le plaisir du jeu, qui est le moteur originel de quiconque se met au golf et qui fait appel à la sensibilité, la créativité, mais aussi la satisfaction du travail, de la répétition, qui donne la sérénité nécessaire pour reproduire les performances. »

Entorse du cerveau. Photo Reuters/Petr Josek Snr.

De ce point de vue-là, à en croire Patrice Amadieu, François a toujours été sur le fil du rasoir : « Quand il était trop “enfant sauvage”, il perdait le fil, dès qu’il était trop dans la répétition, il jouait avec le frein à main », observe le coach. Le principal intéressé va dans le même sens : « En consultant un psy à cette époque-là, j’ai appris beaucoup de choses sur moi-même en tant que golfeur, mais aussi en tant qu’homme. J’ai compris que, plus jeune, j’étais ce qu’on appelle un enfant précoce, donc très sensible. J’étais incapable de reproduire un modèle de swing donc j’avais besoin de ressentir intensément chaque frappe. »

Incapable de retrouver cette mystérieuse alchimie qui lui avait permis de briller par le passé, François Delamontagne met donc un terme à sa carrière de golfeur fin 2014, après quatre ans d’errance et de galères. Dégouté de « son » jeu, il n’en reste pas moins éperdument amoureux du golf, qu’il enseigne désormais à des joueurs néophytes ou experts, talentueux ou sans prédisposition spéciale pour la discipline. Il reste fasciné par ce sport dont il résume bien la particularité : « Au golf, il y a des numéros un mondiaux ou des vainqueurs de Majeur qui ne passent pas une carte en-dessous de 80 l’année suivante [un bilan horrible, ndlr]. Au tennis, même au plus bas, un Federer ne s’écroule jamais comme ça. » C’est là toute la beauté cruelle d’un sport dont même les plus grands joueurs savent bien qu’ils ne sont pas vaccinés contre le yip ou toute autre type de turbulence qui peut pourrir une performance. Une vérité bien résumée par Patrice Amadieu : « Dans la vie, le talent sans travail n’est qu’une mauvaise habitude.» Au golf, cela peut même tourner à la pathologie.