À 23 ans, je nageais dans le bonheur : j’étais sur le point de me marier avec l’homme de ma vie et d’entrer en master à HEC pour devenir trader. Mais un matin, pendant les vacances d’été, mon mec m’a annoncé qu’il était tombé amoureux d’une autre fille. Je me suis effondrée. Et ça a été l’escalade.
À la rentrée, je n’ai pas réussi à suivre ce cursus très prenant, où il fallait être focus à 200 %. Petit à petit, j’ai commencé à décrocher et à ne plus aller en cours. C’est là que ma dépression a véritablement commencé. Alors, j’ai lâché mon appart parisien pour retourner vivre à Troyes, chez mes parents. C’était effroyable : j’avais perdu le job de mes rêves, je retrouvais ma chambre d’enfant, tous mes projets étaient réduits à néant…
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Mes parents m’ont obligé à prendre des antidépresseurs. Résultat : j’étais shootée toute la journée, je passais ma vie devant la télé. Un soir, en zappant de chaîne en chaîne, je suis tombée sur un documentaire sur une communauté de sœurs contemplatives et cloîtrées. Et il s’est passé un truc très bizarre : j’ai eu comme une vision dans laquelle je me voyais, moi, avec ces femmes, dans ce couvent. Et le plus étrange, c’est la sensation de joie que cette image a déclenché en moi. Je me souviens très bien d’être allée me coucher dans un état second. Mais pas celui, dépressif cotonneux qui m’était devenu habituel. Non. Je me sentais plutôt ivre de joie.
« Je voulais passer ma vie à adorer le Seigneur »
Au réveil, j’étais toujours aussi joyeuse. Alors, j’ai commencé à faire des recherches sur internet pour trouver le replay de ce film mais c’était impossible de remettre la main dessus. À croire qu’il avait disparu des programmes télé. À croire que j’avais eu une hallu ! De sites web en forums de discussions, de vidéos en témoignages, j’ai été convaincue : je voulais devenir religieuse et passer ma vie à adorer le Seigneur.
Cette décision a eu un effet immédiat : j’allais beaucoup mieux. Mes parents étaient ravis, ma mère se faisait une joie à l’idée de me voir réintégrer rapidement HEC. Mais moi, j’avais autre chose en tête… Un soir, à la table du dîner, j’ai tout balancé : « Papa, maman, je veux devenir religieuse ». Mes parents n’étant pas très croyants, ça a été un choc pour eux : ma mère a éclaté en sanglots et mon père a quitté la table – et ne m’a plus adressé la parole pendant trois semaines. Mes amies aussi ont halluciné. D’ailleurs, au début, elles ne m’ont tout simplement pas crue. La religion, la prière, le couvent, c’étaient tellement éloignés de nos vies d’alors ! À l’époque, elles me poussaient plutôt à m’inscrire sur Tinder…
« J’ai compris que je ne ressentais plus aucun désir sexuel »
Au moment de ma rupture, je l’avais fait, d’ailleurs. Surtout pour faire bonne figure auprès de mes amies. Parce qu’en réalité, j’étais affreusement gênée par tout cela. Je ne savais pas quoi leur dire, à ces hommes. Je n’éprouvais aucune attirance pour eux, qu’elle soit intellectuelle ou physique. C’est à ce moment que j’ai compris que je ne ressentais plus aucun désir sexuel – chose qui me paraît encore étrange aujourd’hui, car je continue de penser qu’il est normal, naturel, humain d’avoir des envies.
Quoi qu’il en soit, j’ai pris contact avec un couvent situé en région parisienne. J’ai dû écrire une lettre de motivation, expliquer la façon dont je percevais ma foi, et comment je comptais la mettre au service des autres. Ensuite, j’ai été convoquée à un entretien. Je me souviens m’être préparée comme pour une rentrée des classes. Je voulais renvoyer une image sérieuse et impliquée alors, j’avais choisi la tenue la plus sobre possible – une jupe longue et un pull bleu marine. J’avais un peu la boule au ventre… Deux semaines plus tard, j’ai reçu un courrier m’indiquant que j’étais admise. Et que j’allais intégrer le couvent, le temps d’une sorte de période d’apprentissage.
« À mon arrivée au couvent, je me suis sentie renaître »
La séparation d’avec mes parents a été difficile. Ils étaient bouleversés. Et je n’en menais pas large non plus… Mais dès mon arrivée au couvent, je me suis sentie renaître. J’ai ressenti quelque chose de plus fort que tout ce que j’avais connu avant. J’étais pleinement heureuse – bien plus qu’à l’époque, avant ma dépression, quand j’étais une future tradeuse et une future jeune mariée… Avec les autres sœurs, je pouvais parler librement de ce sentiment nouveau : elles me comprenaient, puisqu’elles vivaient la même chose.
Petit à petit, je me suis faite au mode de vie des religieuses. On se levait tôt le matin. Certaines jardinaient, d’autres lisaient – toujours dans un calme immense. Et on priait. Beaucoup. Plusieurs fois par jour. Parfois sept heures d’affilée. C’était un quotidien apaisant, loin du bruit et l’agitation du reste du monde. Un vrai havre de paix. Mais celles qui, comme moi, entraient dans la vie religieuse, devaient mettre leur foi à l’épreuve et montrer qu’elle était infaillible. Les sœurs nous testaient. En nous posant des questions directes, comme : « aujourd’hui, croyez-vous toujours plus en Dieu qu’hier ? ». Et aussi en observant nos comportements, nos réactions, notre façon de vivre ensemble.
« Six mois après mon arrivée, j’ai été mise à la porte ! »
Six mois après mon arrivée, je me sentais pleinement intégrée à la vie de communauté. Mais un jour, la directrice m’a convoqué et m’a annoncé de but en blanc qu’elle estimait que je devais retourner à la vie civile, comme on dit. Elle m’a dit que je devais d’abord régler mes problèmes de dépression et ensuite, voir si j’étais toujours aussi animée par la foi. Clairement, elle ne me laissait pas le choix : elle me mettait à la porte ! Ça m’a bouleversé. On me privait de cette joie que j’avais ressentie si profondément en moi. On m’arrachait à cette vie qui m’avait tant apporté. Mais quoi que j’ai pu en penser, deux jours après, j’ai dû quitter le couvent.
Alors je suis retournée chez mes parents – qui en étaient ravis. Après un temps d’introspection, j’ai pris la décision de ne pas tenter à nouveau d’intégrer un couvent. En revanche, j’ai juré fidélité à Dieu. J’ai pris un job à mi-temps dans une banque, près de Troyes – mais rien à voir avec mes ambitions de tradeuse. Et le reste de la semaine, je fais du bénévolat auprès de personnes âgées. C’est une sorte d’entre-deux, à mi-chemin entre ma vie d’avant et celle que j’ai cru faite pour moi. Et c’est, effectivement, l’équilibre qui me convient.