Paris Paname


LSD au Rose Bonbon, en 1982 ; photo : Jacqueline Nguyen Tan

La Souris Déglinguée est l’un des seuls groupe de rock français ayant traversé les années 1980 dont personne n’a honte aujourd’hui. Depuis 1979, le frontman Taï-Luc et ses camarades parlent de trucs qui sont devenus des lieux communs pour rappeurs conscients français – pour faire simple : la pauvreté, les potes, la rue, la dope, les bastons, le tout sur fond d’internationalisme et de lutte des classes – sauf qu’ils le faisaient vingt-cinq ans avant que ça craigne, et que certaines de ses punchlines n’ont rien perdu de leur efficacité. Leur public charriait punks, anarchistes, skins de gauche (et sans doute de droite) et demeure l’une des premières manifestations visibles d’une nouvelle typologie sociale : les mecs de banlieue, post-crises pétrolières.

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Aujourd’hui, Taï-Luc a 55 ans et porte un bonnet. Tandis que LSD continue de tourner partout en France, il est revenu sur le Paris d’avant et les mecs qui le peuplait. Et sur les différents stades capillaires d’un groupe de rock.

VICE : Salut Taï-Luc. Généralement, avant de faire un groupe, on essaie de s’imaginer ce que peut être ce groupe, on le projette dans un certain environnement. C’était quoi l’idée derrière La Souris Déglinguée ?
Taï-Luc : 
Je suis né à Suresnes, dans les Hauts-de Seine, le 9-2 comme on dit maintenant, puis j’ai habité à Vélizy-Villacoublay, dans une cité dortoir, ma mère travaillait dans les roulements à billes, chez SKF. Et pour ceux qui bossaient là, bah, il y avait ces logements. Mes grands-parents habitaient Montmagny, dans le 9-5. J’étais pas mauvais à l’école, puisque je suis entré en seconde au lycée Hoche, qui était un peu le deuxième lycée de France après Henri IV, à Versailles. Et pendant trois ans j’ai été dans un milieu pas vraiment naturel pour moi. On avait les cheveux longs. Vu la réputation du groupe depuis trente ans, t’as du mal à l’imaginer, mais la réalité c’est ça : j’avais les cheveux au milieu du dos.

Et tu écoutais quoi ?
Déjà, j’avais pas de grand frère. Mon père écoutait du jazz et des trucs rock’n’roll, le rock’n’roll des pionniers, des années 1950 et début 1960 ; ma mère écoutait de la musique antillaise. Et moi les premiers disques que j’ai achetés quand j’étais au collège, c’était des trucs de mon âge, des trucs de supermarché : Slade, Gary Glitter, T-Rex, du glitter-rock quoi. Comme les jeunes Anglais en fait. Ensuite, je suis devenu fan du Velvet.

Justement, à propos du Velvet : dans la construction de tes premiers textes – l’utilisation de la toponymie notamment, la manière de construire le récit, comme dans « Jaurès Stalingrad » ou « Jeunes Seigneurs » par exemple –, je retrouve un peu du Velvet, comme sur « Waiting for the Man ».
Absolument. J’aime bien cette chanson, on la jouait à nos débuts. Et c’est vrai que le Velvet et Chuck Berry, c’est pas une mauvaise école. Quand Lou Reed parle de Union Square, c’est un lieu où il n’y a que des dealers. Stalingrad pour moi, c’est un peu pareil, j’y avais des souvenirs. Et pour nous les Parisiens, forcément ça ne peut être que des stations de métro.

Je trouve ça assez cinématographique.
Oui, OK. Après, j’ai jamais été trop cinéphile. À l’époque, j’allais parfois au cinéma avec mon père, au Brady, on allait voir des films fantastiques ou d’horreur. Je me souviens qu’on avait vu un film, « Le Crochet du boucher ». Et puis j’adorais les films de Bruce Lee.

C’est également ton père qui t’a ouvert sur la musique je crois.                                  Le mec qui tenait l’Open market, un disquaire, était un de ses copains. C’était à Châtelet-Les Halles, il y avait des prostituées partout, et entre deux prostituées, il y avait un magasin avec un rideau à moitié tiré, c’était l’Open Market.

T’avais quel âge à ce moment-là ?
C’était en 1973, j’avais 15 ans. Il y avait de la musique à fond dans les haut-parleurs, du rock’n’roll, des bacs de disques à moitié vides. J’étais hyper impressionné. Sur le conseil du vendeur, mon père m’a acheté un disque des Flamin’ Groovies. Après, j’y suis retourné tout seul, et j’ai visité le quartier tout seul aussi.


photo : Hugo Denis-Queinec

Ce n’est plus exactement le même quartier aujourd’hui.
Ça n’a rien à voir, plus rien à voir. J’ai beaucoup écumé le quartier à l’époque. Aujourd’hui, je n’y vais plus. À l’époque, marcher dans Paris, c’était simple : si tu venais de la banlieue nord, t’arrivais Gare du Nord et tu descendais jusqu’à Odéon à pied, à travers les vieux axes qui datent du Moyen Âge, ce que j’appelle les vraies rues – le faubourg Saint-Denis, la rue Saint-Denis, pour aller jusqu’à Châtelet. J’aime pas les boulevards haussmanniens. La rue Saint-Jacques par exemple, c’est une vraie rue, François Villon passait par là, il faut qu’on passe par là aussi, tu vois ?

Je comprends. T’es allé aux États-Unis aussi, et ça a eu l’air de beaucoup compter dans ce que deviendra LSD par la suite.
Oui, j’y suis allé en 1977, à 19 ans. J’y avais de la famille en Californie, des réfugiés du Vietnam. Ils avaient quitté le Vietnam et m’ont invité à leur rendre visite. Ils habitaient San Francisco, c’était génial. Je prenais le tramway jusqu’à Downtown, et là j’ai vu tous les groupes. J’ai vu Crime, The Avengers, The Offs, The Dils, Weirdos. Tout ça en 1977 et 1978. Mais bon, faut comprendre que la scène punk à SF à cette époque, c’était vraiment quatre mecs sur une scène, avec la bonne dégaine, et c’était vraiment les seuls ; dans la salle, c’était encore les années 1960.

Au début, la Souris, c’était directement influencé par le punk ?
Quand j’allais dans des fêtes, j’apportais mes disques, comme tout le monde, et les mecs, dans ces soirées, ils fumaient du haschich, et la musique c’était affreux. Et on me disait, retire ta musique, c’est trop speed. Le mot employé c’était pas « punk », mais « speed ». Ensuite seulement on s’est mis à utiliser le mot « punk ». En 1976, j’avais 18 balais, et quand j’ai entendu parler des Pistols la première fois, c’était dans un fanzine, Rock News.

C’est là que vous avez découvert le punk anglais ?
Oui. Tu voyais la photo des Pistols, de leur entourage, de toute leur panoplie. Comme j’ai toujours été un peu gauchiste, je suis resté dubitatif. Un mec avec une croix gammée sur un tee-shirt, bon… en plus, j’ai vu qu’il y avait ce magasin, Sex, et je me disais que McLaren, c’était juste un marchand du temple. Donc le concert du Chalet du Lac, je savais qu’il avait lieu, mais j’y suis pas allé parce que j’étais pas convaincu.

À Paris, le punk s’est diffusé rapidement.
Il y avait plein de mecs, plein de groupes qui sont devenus punks, qui se déguisaient un peu. C’était un peu la mode quoi, ça concernait les petits Français qui voulaient être à la page. Nous, on a un peu fait le contraire… En 1979, on a pas fait un groupe new-wave, mais on a fait LSD, des souvenirs musicaux de jeunesse mis en pratique : du rock’n’roll fifties, du « speed », et une certaine forme de punk rock.

C’était quoi votre public, au début ?
Le public qu’on a eu, il était à l’inverse de ma coupe de cheveux. En 1979, j’avais encore les cheveux longs, je portais une tresse, même. On avait une dégaine capillaire parfaitement opposée aux gens qui composaient notre public. Et si on avait appartenu à une autre génération, on aurait pas fait du rock, on aurait fait du rap – et pas du rap conscient, plutôt inconscient même. On aurait droit à un public aux cheveux courts, aussi. Boule à zéro, quoi.

C’étaient des mecs qui traînaient à la fontaine des Innocents donc ?
Oui, en partie. Le public de départ, c’était la clientèle du Gibus et du Golf Drouot. Mais aussi ceux qui n’avaient pas le droit de rentrer dans ces lieux-là. Ceux qui restaient dehors. Et c’était tous les banlieusards qui traînaient autour de la Fontaine.

T’y étais aussi ?
Oui. À partir de 1979, 1980, 1981, j’avais une carte de séjour là-bas, j’étais résident privilégié. J’avais le droit d’y être. C’est des endroits où, pour y traîner, fallait avoir le droit. Tu pouvais pas arriver comme ça, l’air de rien. Fallait avoir un visa.

Qui les donnait, ces visas ?
[Rires] Très bonne question. Y’avait une préfecture sur place, assez informelle, mais assez efficace. Comme au Luxembourg d’ailleurs.

Les premiers skinheads à Paris étaient là-bas ?
Les premiers skinheads – les premiers à avoir une dégaine de skinhead, en tout cas –, c’étaient deux types qui ont fait des groupes ensuite, et Farid. Farid et ses potes. Un jeune mec qui s’appelait Albert aussi, un jeune juif du Marais. C’était pas beaucoup de personnes. Ils nous ont suivis à partir de fin 1979, avec tous les punks de banlieue – et des gauchistes aussi.

Des Autonomes ?
À l’époque déjà, j’en parlais pas, donc j’en dirai pas plus aujourd’hui ! Mais tout ce conglomérat de gens qui nous aimaient bien et qui ont fait parler d’eux, en bien et en mal, ils étaient avec nous.

Tu peux me parler de la fameuse soirée à l’Opéra Night [concert qui a abouti sur une bagarre générale] ? C’est ce qui, selon moi, a scellé le mythe de LSD.
C’était en janvier 81. Ça a été un concours de circonstances – il y a eu de la casse, mais on n’a jamais été responsables. Je n’ai jamais dit aux mecs de péter la salle. Ils l’ont fait tout seuls. Je me souviens aussi de ce mec, le patron du Golf-Drouot ; il ne m’aimait pas, il pensait, à tort, que je vendais de l’héroïne. Après ce concert, il a dû penser que j’étais non seulement un dealer de poudre, mais en plus un casseur de boîte de nuit. Et plus tard, son fils – qui s’est retrouvé après à la tête du PSG – a dû avoir affaire avec des mecs qui ont écouté La Souris, c’est sûr. Aujourd’hui, je ne sais pas de quoi ils parlent à table le dimanche, mais je pourrais être un bon sujet de discussion.

Ça ne vous a pas refroidis ?
Non, parce qu’à l’époque, les gens qui organisent des concerts étaient pas trop au parfum. Ils géraient rien. Moi, j’ai jamais dit à des mecs de casser une salle.

On parlait de votre public tout à l’heure. Elle devient quoi Isabelle, dont tu parles dans « Week-end sauvage » ?
Il y a un temps pour tout. Il y a un temps pour voler des sacs en boîte de nuit, et il y a un temps pour travailler à RFI. Mais comme elle utilisait un faux prénom, elle était déjà dans la clandestinité, elle s’est bien protégée.

Le mouvement skinhead est tout de même un truc très anglais. Tu ne t’es jamais considéré comme skinhead ?
Je me considère comme un jeune homme qui a eu les cheveux longs et qui est allé chez le coiffeur. Ça m’a couté à l’époque 36 francs, rue de Nancy dans le 10e arrondissement. Aujourd’hui, c’est 5 euros, ça a pas trop augmenté, ça. Avant, celui qui me coiffait c’était un juif pied-noir, aujourd’hui c’est un Tamoul. Mais des fois j’ai des regrets. Je me dis que les cheveux longs, c’était pas mal aussi.

Pour les filles ?
Absolument. Il faut toujours être un peu élégant, pas forcément ultra masculin, et à l’époque les cheveux longs c’était mieux, de ce point de vue-là. Donc un conseil que je donnerais à tous les jeunes skinheads d’aujourd’hui, c’est de se laisser pousser un peu les cheveux. D’être un peu moins masculin, pour des raisons pratiques. Pour les filles, quoi.