Depuis la sortie de Pinkerton, chaque année a été un supplice pour les fans de Weezer. Une tonne d’albums (solos ou non) et de compilations jetés en pâture au public, mais rien de vraiment écoutable. Ils ont même foutu le mec de Lost sur l’une de leurs pochettes et ont collaboré avec Lil Wayne, ce qui est l’inverse exact de ce que devrait – logiquement – faire un groupe comme Weezer . Ça n’est pas tant qu’ils étaient devenus vieux. C’est surtout qu’ils étaient devenus si mauvais qu’à un moment, leurs fans leur ont même offert 10 millions de dollars pour qu’ils se séparent et arrêtent de gonfler tout le monde.
Le succès de Weezer, et leur chute, ont été documentés en long et en large. Mais pendant tout ce temps, une pièce du puzzle manquait : un disque qui devait sortir juste après leur premier album et qui fut abandonné.
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Le groupe n’a jamais réussi à surpasser l’émotion et l’énergie présentes sur leurs deux premiers albums – Blue Album et Pinkerton . Franchement, je mentirais si je disais que n’importe quel morceau de Raditude m’a fait le même effet qu’ « Across The Sea » . C’est pour cette raison que cet album « perdu » a une importance cruciale dans l’histoire du groupe. L’écouter vous fera oublier l’existence même de ces daubes d’Hurley ou Make Believe. Voici son histoire.
Le Blue Album venait de sortir. Il avait beau être acclamé par la critique, Rivers Cuomo n’était toujours pas satisfait. Comme un premier de la classe déçu par un 19/20, il était heureux mais anxieux, effrayé par ce que le futur lui réservait. C’est à cette période qu’il commence à écrire une série de morceaux qui sera par la suite connue sous le nom de Songs From The Black Hole. Un space opera dont l’histoire se déroule en 2126, et qui parle des « relations, de la célébrité, et de la vie au sein de Weezer » .
Les Misérables Jesus Christ Superstar Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band Dark Side Of The MoonLe scénario était le suivant : en 2126, un vaisseau spatial, le Betsy II (d’après le nom du premier bus de tournée de Weezer), embarque pour une mission à travers la galaxie. « C’était une métaphore sur le groupe : partir en tournée, atteindre les premières places des charts… » explique Rivers dans Rolling Stone en 2007 : « C’était ce qui m’arrivait à l’époque, et j’avais l’impression d’être perdu au milieu de l’espace » .
L’équipage du vaisseau est doublé par les musiciens, qui jouent les différents personnages et racontent l’histoire, exactement comme dans une vraie comédie musicale. Brian Bell et Matt Sharp expriment le succès du groupe, tandis que Cuomo joue le rôle du capitaine du vaisseau, empli de sentiments contradictoires. Sur le chemin, il rencontre deux femmes, doublées par Rachel Haden des Rentals et Joan Wasser des Dambuilders : leurs rôles sont inspirés des relations qu’il a eu dans la vraie vie. À la fin de l’histoire, Rivers atteint sa destination mais se sent désabusé et choisit de retourner à une vie simple.
Rivers a écrit l’album à l’hôpital, immobilisé pandant plusieurs mois à cause d’une opération de la jambe. Après avoir arrêté les anti-douleurs, il jugea l’idée d’un opéra rock / science-fiction trop fantaisiste. Dommage. En 1995, juste après s’être inscrit à Harvard, il mit de côté son space opera et se concentra sur d’autres thèmes, qui posèrent les bases de Pinkerton.
Dix ans plus tard, Songs from the Black Hole n’était toujours pas disponible et les fans envoyèrent une pétition au groupe pour qu’il le sortent. Un fan, après avoir gagné un concours lui permettant de rejoindre le groupe sur scène, essaya même de les forcer à jouer « Blast Off ». Pas de bol : Rivers reprit le micro et le fan quitta la scène face à un public hilare.
Songs from the Black Hole Superfriend Alone: The Home Recordings of Rivers Cuomo Songs from the Black HoleD’autres chansons du disque furent découvertes en 2002, ce qui fait que vous pouvez désormais entendre la quasi-intégralité de l’album ci-dessus.
Vous reconnaîtrez certainement des brouillons ou des variations de « Getchoo » , « Tired of Sex » , « No Other One » , et « Why Bother », titres présents sur Pinkerton. Quand on y réfléchit, le fait que Weezer ait préféré sortir un album comme Pinkerton plutôt qu’un opéra space rock grandiloquent explique peut-être pourquoi le groupe n’a quasiment rien fait de potable depuis. Pinkerton était un aperçu du journal intime de Rivers Cuomo. L’album a eu droit à quelques critiques assez salées. Je pense que Rivers ne s’est jamais remis de ce retour de flamme et que c’est précisément ce qu’il l’a empêché de s’impliquer émotionellement à 100 % sur les productions suivantes : ça leur a pris cinq ans pour écrire leur troisième disque, Green Album, ce qui, quand on connaît le disque en question, a franchement de quoi laisser songeur.
Pinkerton n’est pas un lot de consolation, c’est même sûrement le meilleur truc qu’ils aient jamais sorti. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que si ils avaient sorti SFTBH à la place, les choses se seraient passées différemment. Il y a un truc dans ce disque qui me fait me dire que les critiques auraient été hyper réceptifs. La qualité des compositions, l’intensité des émotions, ou peut-être juste le fait que l’histoire se passe dans l’espace. En tout cas, un truc qui aurait pu sauver Weezer.
Mais tout roule. Everything Will Be Alright In The End est sorti en Octobre et c’est un album de pop-rock extravagant, sans aucune retenue et sans aucun remords. Il y a des solos, des riffs accrocheurs… On dirait que le groupe a fini par accepter son statut.
Mais la dernière décennie a été putain de rude pour Weezer. Quand Rivers s’est laissé pousser la moustache et a commencé à ressembler à un employé de parc d’attractions, avant d’enregistrer un morceau sur de la bouffe pour enfant, je me suis rué sur Songs from the Black Hole. Quand j’ai entendu « Magic » pour la première fois, je me suis immédiatement purifié en écoutant « Blast Off! » plusieurs fois d’affilée. J’ai même enterré mon hamster au son de « I Just Threw Out The Love of My Dreams » .
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Ryan est sur Twitter: @RyanBassil