On entre dans le film de Pierre Friquet en pleine séance d’hypnothérapie. Les mains posées sur une couverture devant nous, une femme asiatique à la voix douce demande : « Voulez-vous être hypnotisé ? »
On plonge. Patterns : les murs ont des oreilles nous amène dans le passé de Friquet, qui joue le personnage de Walter, un alter ego qui revit son processus de guérison pour enfin s’incarner. On y découvre un monstre qui est en fait un secret de famille. Il se manifestera sous les formes les plus bizarres et glauques.
Videos by VICE
Il y a cinq ans, après avoir fait plusieurs rêves conscients dans lesquels il contrôle le récit du rêve et décuple ses sensations à la fois, Pierre Friquet a cherché le moyen d’émuler cette expérience, de la revivre, mais aussi de la faire vivre à d’autres. La réalité virtuelle devient le moteur de sa créativité, et il se met à expérimenter avec le genre. Il a depuis produit des films primés, dont Jet Lag et le documentaire Vibrations.
Inspiré par les films de David Lynch et John Carpenter, Friquet fait de Patterns un réel exercice sur la forme. Il s’est entouré de collaborateurs répartis sur trois continents, experts en vidéogrammétrie, spatialisation sonore et en postproduction de réalité virtuelle pour faire de son film non seulement une œuvre de guérison personnelle, mais une expérience éclatée pour quiconque s’y introduit.
Patterns est d’abord présenté sous le dôme de la Société des arts technologiques (SAT), puis dans une forme interactive adaptée au casques de réalité virtuelle au Festival du nouveau cinéma.
La réalité virtuelle comme exutoire
Pierre Friquet a longtemps senti qu’il n’était pas seul, qu’un fantôme planait, qu’une force quelconque le hantait… C’est en cherchant à comprendre pourquoi il n’arrivait pas à habiter pleinement son corps, dans une séance de tarot, qu’il a découvert que sa mère avait avorté d’un enfant illégitime d’un prêtre catholique.
Des « patterns », c’est une répétition. Friquet l’exploite en explorant les peurs qui nous viennent du legs des générations passées. « Ma grand-mère a eu un enfant avant ma mère. Il est mort trois jours après sa naissance. Il s’appelait Robert. Ma grand-mère a gardé Robert dans le formol au-dessus de la cheminée pendant très longtemps… et ma mère est venue ensuite, remplacer cet enfant mort-né. »
Le film, c’est une thérapie de famille. « Chaque famille porte des secrets, des programmes inconscients : le sabotage, la peur de l’abandon, l’anxiété… ça se transmet de génération en génération. Parfois, tu te rends coupable de même te sentir anxieux et, souvent, ça vient très largement du legs émotif familial, explique Friquet. Tu peux blâmer ton père et ta mère toute ta vie, mais ce n’est pas le but. Eux-mêmes ont hérité de ce poids de leur père, leur mère, leurs grands-parents. Après, toi, ton boulot, c’est de ne pas trop le transmettre aux autres, aux nouvelles générations. C’est ça, le processus, en fait. »
L’enfantement, accoucher d’un cauchemar
Dans son film, Friquet remet en scène les dialogues exacts de sa séance d’hypnothérapie. C’est la trame narrative qui nous guide à travers ses peurs.
« Ma mère est là, elle va accoucher, elle est toute seule, elle lui dit [à mon père] ”Reste, je suis enceinte!” et elle reçoit une claque. » Friquet se revoit dans l’utérus de sa mère : il ressent le choc, il en souffre.
Bambin, il a des idées noires, est autodestructeur. Friquet se tape la tête contre un mur, une fois, puis une autre. Cette fois, trop fort. Il se coupe au front. « Ma mère m’amène à l’hôpital et le médecin me fait passer un scan. Mais je suis un enfant turbulent : la première tentative ne fonctionne pas. On le refait, mais cette fois je suis sur les genoux de ma mère. Le médecin revient et lui dit : ”Votre fils va bien, mais vous, vous êtes enceinte.” »
Le prêtre refuse de reconnaître l’enfant, le père de Pierre aussi. Sa mère met fin à la grossesse. Encore à ce jour, il trouve toujours le geste d’une violence sans nom.
« Patterns, c’est la catharsis. » En approchant ses collaborateurs, Friquet se rend compte que le sujet de son film ne touche pas que lui. Que les enfants mort-nés, les secrets qui hantent des familles sur des générations, il y en a ailleurs que chez lui. « Au début des rencontres, j’en parle : l’enfant dépossédé qui essaie d’entrer dans le corps de son frère… Puis ensuite tu te rends compte qu’ils n’embarquent pas juste parce qu’ils s’intéressent à la réalité virtuelle, mais parce qu’ils ont des intérêts plus personnels. »
Mais la réalité virtuelle, quand même, c’est un choix. Pourquoi? « Le monde physique et réel n’est pas suffisant. Il est absent de quelque chose, d’une dimension spirituelle, métaphysique, et la réalité virtuelle est le meilleur média pour manifester l’invisible. »
Présentéen version immersive pour dôme à la Société des arts technologiques [SAT] du 13 septembre au 7 octobre et en version pour casque de réalité virtuelle au Festival du nouveau cinéma du 7 au 15 octobre dans le salon VR de la SAT.