Perseverance attend beaucoup de ses ordinateurs embarqués. Ces appareils ont sélectionné une zone d’atterrissage puis contrôlé l’entrée, la descente et la pose du robot à la surface de Mars. Pour ce faire, ils ont dû traiter de nombreuses sources d’informations simultanément, communiquer avec les satellites alentour et le centre de contrôle terrien, gérer les propulseurs… Reprogrammés depuis la Terre, ils ont ensuite pris en charge le traitement des images et des données issues des divers instruments de Perseverance. Ces informations sont critiques, car elles permettent aux ingénieurs de la NASA de guider le rover de presque une tonne au milieu des reliefs accidentés de la planète rouge.
Bien que Perseverance embarque plusieurs ordinateurs monocartes aux tâches clairement définies, de la gestion des roues au traitement des images, un seul d’entre eux orchestre leur collaboration : le RAD750, dont la fréquence ne dépasse pas les 200 mégahertz. C’est peu. Avec un peu plus de 5 gigahertz, les derniers processeurs grand public du constructeur Intel sont 25 fois plus puissants que lui. Le RAD750 semble tout de même coûter plusieurs centaines de milliers de dollars. Cela peut paraître cher pour des performances digne d’un ordinateur de salon du milieu des années 90, mais c’est le prix de la résistance aux radiations.
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L’espace est un environnement hostile. Les particules hautement énergétiques des rayonnements cosmiques et des éruptions solaires sont dangereuses pour les humains – elles augmentent vraisemblablement le risque de cancer chez les astronautes – mais aussi pour les machines. Dans le cas des perturbations par une particule isolée, un proton percute le mauvais transistor et hop, votre satellite est mort. Le champ électromagnétique terrestre menace les appareils électroniques en orbite pour les mêmes raisons : quelques électrons de trop peuvent endommager durablement un satellite, tant au niveau matériel que logiciel.
Les effets des particules de haute énergie sur les systèmes électroniques sont divers. Certains matériaux peuvent devenir radioactifs quand un neutron les percute, auquel cas les rayonnements de ces nouveaux noyaux iront perturber les instruments de mesure alentour. Certaines particule bloquent les transistors en position ouverte ou fermée. Quand des rayonnements dangereux inondent trop longtemps un système électronique, celui-ci peut tout simplement griller (comme votre ADN dans la même situation) ou rompre par radiolyse. Les radiations peuvent aussi causer des erreurs dans les calculs de la machine, ce qui est forcément embarrassant dans une mission spatiale à quelques milliards.
Le RAD750 de Perseverance coûte cher parce qu’il a été conçu pour résister aux particules de haute énergie qui balaient l’espace. On parle de « radiation hardening » ou plus rarement de « durcissement ». Pour les humains, la dose létale médiane en cas d’exposition à des rayonnements ionisants est de 450 à 600 rads (même si un malheureux scientifique a survécu aux quelques 300 000 rads qu’il a reçus en passant la tête dans un accélérateur de particules). Le RAD750 a été conçu pour absorber 200 000 à un million de rads avant de rendre l’âme. Des contrats entre la NASA et son constructeur, BAE Systems, établissent que ce petit bout de silicium doit pouvoir passer quinze ans dans l’espace sans subir de problème majeur. Une telle longévité dépend de mesures exceptionnelles.
Les plus soviétiques de nos lecteurs demanderont : « Pourquoi ne pas enfermer ces ordinateurs dans une boîte en plomb ? » Malheureusement, le plomb ne protège pas des neutrons et il est lourd. Or, plus de poids pour un ordinateur veut dire moins de poids pour des instruments de mesure. Ce genre de bouclier » prendrait aussi beaucoup de place. Au niveau matériel, les concepteurs de systèmes électroniques à l’épreuve des rayons cosmiques optent donc pour des solutions plus élégantes : des couches de saphir ou de bore pour une meilleure isolation, des composants dont l’architecture encaisse plus aisément les « trous » que peuvent causer les rayonnements dans le flux des électrons, des résistances plus performantes… Et tout simplement des composants redondants.
Ces mesures physiques posent plusieurs problèmes : les isolants peuvent favoriser le transfert de l’énergie des particules dangereuses et les composants spécialement conçus pour un voyage dans le vide sont plus gourmands en énergie que leurs homologues commerciaux pour des performances nettement inférieures. Or, cette énergie est une ressource précieuse pour toute mission spatiale, surtout quand la redondance augmente le nombre de composants. De plus, ces systèmes de protection matériels sont conçus pour résister au pire scénario possible, alors que les niveaux de radiation évoluent énormément selon les phases de la mission et les « humeurs » du Soleil. Heureusement, des mesures contre les effets des rayonnements peuvent également être déployées au niveau logiciel.
Bon nombres de problèmes spatiaux liés aux radiations peuvent être diagnostiqués et corrigés automatiquement par les systèmes informatiques de bord : les ordinateurs réalisent régulièrement des auto-examens, repèrent les erreurs causées par des particules scélérates et déploient les patches adaptés sur-le-champ. Dans certaines situations plus inquiétantes, les systèmes « durcis » peuvent également cesser toute activité pour éviter des dégâts trop importants. Ces dispositifs ont de deux gros avantages sur leurs pendants matériels : ils ne prennent pas de place et coûtent nettement moins cher, ce qui permet de loger deux voire trois d’entre eux dans les ordinateurs de la mission… Mais ne résout pas le problème de la consommation d’énergie.
Les ingénieurs de la NASA ont conçu les systèmes informatiques de Perseverance pour équilibrer aux mieux leurs objectifs, leur taille, leur poids, leur consommation d’énergie et leur résistance aux conditions spatiales. Au croisement de tels impératifs, une puissance de calcul vertigineuse est inutile. En dépit des limitations que lui imposent les diverses mesures de durcissement qui garantissent sa longévité, le RAD750 est bien assez puissant pour traiter les deux millions de lignes de code qui guident les actions du rover martien et lui permettre de remplir sa mission. Un jour, sans doute, nous enverrons de véritables monstres de puissance informatique qui consomment une électricité folle dans l’espace. Pour le moment, le moins fait le mieux.
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