Culture

Peut-on tomber amoureux d’une végane quand on est un gros viandard ?

Je suis d’origine mexicaine et donc chez moi, j’ai grandi avec de la viande à tous les repas : des huevos con chorizo, des huevos con weenie, du lechón et j’en passe. Aujourd’hui, je suis devenu chef, et ce n’est pas trop exagérer de dire que ma vie toute entière tourne autour de la barbaque. Ma femme, par contre, elle est végétarienne. Depuis toujours.

Quand on s’est rencontré, on s’est tout de suite plu. On avait de grandes discussions sur l’univers, les planètes et la philosophie en général. J’ai su tout de suite que c’était la femme de ma vie. Pour notre premier rencard, je voulais absolument lui cuisiner un truc. Je savais qu’elle n’était pas du genre à accepter une invitation à manger chez un type dès le premier soir, du coup je me suis dit que j’allais plutôt l’emmener dans mon restaurant barbecue coréen préféré. C’était exactement ce que je lui aurai cuisiné, de toutes façon.

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Ma mère m’a toujours dit de ne pas dire aux filles où est-ce que je les emmenais. Donc je suis allé chercher celle qui allait devenir un jour ma femme et on y est allé directement. On s’est garé devant le restaut et déjà, sur son visage, je repérais les premiers signes de malaise. On s’est installé, j’ai ouvert le menu, et j’ai commandé les moins végétariens du monde : des intestins, du poulpe, de l’estomac de porc, du poulet et du bulgogi. Et puis, j’ai levé les yeux vers elle : elle était décomposée.

« Je dois t’avouer un truc », m’a-t-elle lâché.

Comme je l’aimais vraiment beaucoup, j’étais prêt à tout accepter.

« Je ne mange pas de viande ».

Ces mots m’ont mis en état de choc. Vu mon origine et mon éducation, mon rencard était en train de se transformer en rencontre du troisième type – je n’étais encore jamais sorti avec une végétarienne et c’était vraiment l’inconnu pour moi. Ça me paraissait vraiment problématique. Comment une telle relation pouvait marcher ? Et surtout : comment allait-on faire pour se partager des plats au restaurant ?

Le secret de notre entente, c’est que l’on accepte de respecter et d’aimer l’autre tel qu’il est et tel qu’il mange.

Je me suis excusé et j’ai filé aux toilettes. En bon fils-à-sa-maman, j’ai appelé ma mère pour lui demander son avis :

«— Ma ! No come carne !

Ça va ! Tout le monde est différent. Du moment qu’elle n’essaye pas de te convertir, tout va bien se passer. »

Je suis revenu à table et j’ai demandé à ma future épouse : « Ça te pose problème si je mange de la viande ? J’en consomme vraiment pas mal. » Elle m’a répondu un truc exceptionnel, comme d’hab : « Bien sûr. Mais si t’es comme ça, t’es comme ça. Je te respecte tel que tu es. » Là-dessus, j’ai annulé notre commande et on a passé le reste de la soirée à s’enfiler du saké. Ça reste encore aujourd’hui le meilleur moment de ma vie.

Plus notre relation est devenue sérieuse et plus j’ai compris que faire des compromis serait la clef de notre situation. Oui, j’ai grandi dans une famille latino qui adore partager des plats de viande mais là, je sortais avec une Hindoue végétarienne et pratiquante. On était les opposés parfaits. Qui étais-je pour lui dicter comment manger ? Quand il existe de telles différences au sein d’un couple, il y a deux cas de figure : soit on les sublime soit on les subit. Perso, j’ai choisi de célébrer nos différences. J’ai commencé à manger plus de plats de légumes avec elle, parce que son bonheur est la chose qui compte le plus à mes yeux.

La cuisine, c’est de l’amour – pas du racisme, de l’extrémisme ni de l’élitisme.

Finalement, je mange plus de légumes qu’avant et je suis en meilleure santé. Et en ce qui concerne ma carrière de chef, depuis que j’ai une épouse végétarienne-presque-vegan, je mets autant de soin dans les plats végétaux que dans les plats avec de la viande. J’ai réalisé que l’alimentation est censée nous rapprocher, pas nous séparer. Et dans le contexte politique actuel, cette idée est plus que jamais importante. Nous avons tous besoin de nourriture pour survivre. La cuisine, c’est de l’amour – pas du racisme, de l’extrémisme ni de l’élitisme.

Chez moi, le frigo est toujours rempli à moitié de chorizo, de foie gras et de steak. L’autre moitié est pleine de tempeh, de tofu et de seitan. Dès qu’on sort pour manger, on ne se demande pas « de quoi tu as envie ce soir ? » mais on cherche les endroits qui ont de vraies options pour les végétariens. Ce n’est pas cool pour elle si elle se tape une petite salade alors que je m’envoie une grosse entrecôte bien saignante.

Jusque-là, on ne s’est jamais disputé au sujet de la nourriture.

Ça ne vaut pas le coup de laisser tomber votre âme sœur potentielle pour de simples choix alimentaires.

Quand notre fille est née, on a décidé ensemble qu’elle mangerait de la viande. Et si elle décide plus tard d’arrêter, je la soutiendrais dans son choix.

Le secret de notre entente, c’est que l’on accepte de respecter et d’aimer l’autre tel qu’il est et tel qu’il mange. À tous les chefs omnivores qui tomberont amoureux d’un ou d’une végé, sachez que ça ne vaut pas le coup de laisser tomber votre âme sœur potentielle pour de simples choix alimentaires.

Propos rapportés par Javier Cabral.

Le chef Mario Christerna est chef et propriétaire du restaurant The Briks, à Los Angeles. Pour plus d’informations, consultez son site internet.

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