La DJ Soumaya Phéline (36 ans) et le producteur Sagat (31 ans), sont parti·es faire une tournée d’un mois en Chine (Shanghai, Shenzhen, Chengdu, Dali et Kunming) et au Japon, à Tokyo. On en a profité pour leur filer un appareil jetable. En plus des photos qu’iels nous ont ramenées, iels nous racontent leurs souvenirs et nous parlent de musique underground, clopes, mode et pimpage de toutous.
VICE : Hey Soumaya et Wiet. Vous êtes parti·es en tournée dans plusieurs villes en Asie. Comment vous avez été accueilli·es là bas ?
Soumaya : Dans toutes les villes où on est passé·es, on a senti que les gens étaient souvent curieux et assez bienveillants. On nous regardait pas forcément comme « l’autre ». Et Shanghai c’est une ville avec énormément d’expats.
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Sagat : Oui, c’est très international. On a toujours été hyper bien accueilli·es par les promoteurs aussi. En même temps, tu te retrouves en club avec des personnes qui pensent comme toi et qui sont très intéressées par ce qu’on fait.
Et la communication ça se passait comment ?
Sagat : Dans les clubs, tout le monde parle anglais. Mais pas vraiment en dehors de ce milieu. Ceci dit, c’est toujours possible d’avoir un échange.
Soumaya : Tout le monde a une application pour traduire et ça c’est cool. Sans internet c’est plus compliqué mais on trouve toujours un moyen de se comprendre.
Qu’est ce que vous pouvez nous dire sur la vie nocturne chinoise ?
Sagat : Il y a des millions de gens mais pas beaucoup de clubs, surtouts alternatifs. À Shenzhen, il y a plus de 10 millions d’habitant·es et un seul club, le Oil Club, qui représente la musique underground et internationale.
Soumaya : En général, les clubs se trouvent dans de vieux bâtiments et ne peuvent accueillir qu’entre 300 et 400 personnes. C’est une culture niche encore très jeune là-bas. À Dali, une ville située dans le sud-ouest de la Chine, on a joué dans un club qui n’existait que depuis deux ans. Mais tu ressens l’envie de se développer en investissant dans le son et le matos. Iels ont de l’argent et savent où le mettre. Tu peux ouvrir un club en une semaine, donc y en a plein qui ouvrent.
Sagat : Oui, la plupart des clubs existent depuis deux ans. C’est assez jeune. Par exemple à Chengdu, une ville d’ouvrier·es et d’étudiant·es qui compte 15 millions d’habitant·es, qui s’est complètement modernisée depuis 50 ans et sa scène électronique underground s’est développée avec le premier club, TAG Chengdu. Et sur les six derniers mois, cinq nouveaux clubs ont ouverts, il y a vraiment un boum. Mais le clubbing est assez cher. Les prix sont les mêmes qu’en Europe, donc c’est cher par rapport au niveau de vie.
« Ce qui est cool, c’est que pleins de trucs sont ouverts très tard ou très tôt. La Chine vit tout le temps ; il y a tout le temps des gens dans la ville. »
Ça clubbe quand même dur ?
Sagat : Même si t’es dans une niche de gens initiés à la musique, le reste du public vient faire la fête et découvrir. Iels sont tou·tes à fond !
Soumaya : À Chengdu, quand iels sortent, iels sortent ! Parfois les clubs ferment à midi ou restent ouverts pendant trois jours de fête.
Sagat : À Shanghai on a fermé le club à 6h puis on est encore allé·es manger des dim sums juste à côté.
Soumaya : On était super bourré·es avec toute l’équipe et les DJs de All Club et SVBKVLT (33EMYBW & GOOOOOSE). Ce qui est cool, c’est que pleins de trucs sont ouverts très tard ou très tôt. La Chine vit tout le temps ; il y a tout le temps des gens dans la ville.
Vous avez passé Halloween à Shenzhen. Est-ce que tout le monde se déguise à fond comme cette femme-serpent sur la photo ?
Soumaya : Elle c’est « WARMCHAINSS », une DJ très connue dans la ville. Elle jouait après nous. C’est très pêchu ce qu’elle fait ; the end of the world à la fin de chaque morceau. Mais oui, le lendemain on est allé·es jouer à Chengdu, et les gens étaient encore déguisés.
Sagat : Tout le monde était à fond dedans et super bien déguisé. Il y avait énormément de Jokers.
« À Shanghai, la scène musicale électronique est vraiment expérimentale, déconstruite et très future sounds. »
Vous avez aussi joué à la community radio SHCR, une webradio (comme Kiosk Radio) à Shanghai.
Soumaya : C’est dans un vieux bâtiment de bureaux. Iels sont trois dans l’équipe, dont Katy, une Américaine, et Difan, une superbe DJ. Quand tu rentres, tu vois pleins de gens assis dans des chaises de gamers en train de gérer les lives sur leurs écrans. Toutes les community radios de ce côté-là – à Séoul, Hong Kong – ont des fonds verts. Tu viens avec tes visuels et iels publient ça sur Bilibili, un réseau social chinois.
C’est quoi ce gnome qui est venu te rendre visite durant ton set, Soumaya ?
Soumaya : C’est un artiste portoricain. Il avait déjà fait des trucs au Barlok en Belgique. Lui et son frère jumeau font des costumes en mousse sous le nom de Poncili Creation. Il jouait juste avant moi et portait un costume vert. Après, il était hyper motivé de faire une apparition pendant mon set et c’était très drôle.
Par rapport à ton dernier set chez Kiosk, celui chez SHCR est bien plus pêchu, c’est un choix délibéré ?
Soumaya : Ce sont des musiques que j’aime bien jouer en général, mais ce n’est pas toujours propice ici. À Shanghai, la communauté musicale électronique s’y colle, c’est vraiment expérimental, déconstruit et très future sounds.
Sagat : Oui iels sont fort là-dedans et développent vraiment leur propre son.
Alors toi Sagat, tu leur a présenté un set 100% belge…
Sagat : Oui car ce n’est pas tous les jours que tu as accès à une plateforme comme celle-là. Je voulais mettre en avant les musicien·nes belges et bruxellois·es.
Vous êtes aussi passé·es par le Japon.
Sagat : Au Japon, la culture électronique se développe depuis des années donc c’est un autre délire. C’est complètement différent de la Chine où tout est assez nouveau. Au Japon tu as tout ce que tu trouves en Occident, parfois même moins cher. Du coup le rapport avec la musique est différent et leur cadre de référence est dingue. Et tu peux parler avec n’importe qui de musique, iel aura une connaissance, parfois même plus grande que la tienne. Ce sont des samouraïs hyper pointu·es. Il y a une vraie culture du vinyle là-bas qui n’existe pas en Chine car l’import-export est hyper compliqué. Donc oui, c’était super de jouer au Japon et voir les gens faire la fête sur scène.
« Je m’attendais à ce que les gens soient strictes et ne dansent pas vraiment, mais iels font la fête comme des dingues. Après le boulot, iels n’en peuvent plus, donc iels boivent comme des trous. »
Soumaya : Surtout pour un petit club comme le Bonobo, où on a joué. Mais c’est partout comme ça. On a joué avec Fumi Sato, qui joue depuis 25 ans et qui a l’air d’en avoir 25 aussi. C’est un des meilleur·es DJs que j’ai rencontré de ma vie. Par contre les gens sont très vite fatigués. Même Fumi s’est endormi parce qu’en semaine c’est un salaryman et un DJ le week-end.
Sagat : Oui il bosse 60 heures par semaine et puis il joue mais il dort entre-temps. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi rock’n’roll. Je m’attendais à ce que les gens soient strictes et ne dansent pas vraiment, mais iels font la fête comme des dingues. Après le boulot, iels n’en peuvent plus, donc iels boivent comme des trous. Par contre, y a pas trop de drogues, parce que c’est fort lié aux yakuzas.
Soumaya : Ah ouais par contre là, iels boivent ! Iels tiennent bien l’alcool !
Wiet, tu parlais de vinyles. Vous avez eu le temps d’aller digger un peu ?
Sagat : Au Japon non on n’a pas eu le temps, malheureusement.
Soumaya: En Chine, les magasins de vinyles, y en a pas beaucoup, on en a trouvé un à Shanghai, dans le sous-sol d’un bâtiment. Quand tu rentres, rien n’indique que c’est un record shop. Il fait tout noir et ça ne donne pas trop envie d’y aller. Puis en faite c’est un magasin vintage et puis tu passes une autre porte et là y a des vinyls. C’était assez cool et glauque à la fois. Il y avait pleins d’installations dont une reconstitution très drôle de la pochette de l’album de Nirvana.
« Partout en Chine, c’est la culture de la cigarette : iels fument non-stop. »
Sagat : Les réseaux de distribution de vinyls ne sont pas encore implémentés en Chine, iels ont besoin d’accès mais les liens commerciaux ne sont pas encore établis. Donc tout ce qui vient d’Amérique ou de l’Europe va au Japon ou en Corée. À Chengdu, il y en a le Yi Tong / New Coffee & Record store, où Soumaya a joué pour le lancement de CDCR. Aymen & Kristen de CDCR expliquait qu’iels achetait les vinyls à des revendeur·ses coréens ou japonais pour que le shipping soit moins cher. Sinon c’est beaucoup trop, raison pour laquelle c’est compliqué.
Parlez-nous du mec avec le bong.
Soumaya : Dans le Yunnan ils fument leurs cigarettes avec ça. Le mec est un vendeur de thé, un vrai showman, il était trop chaud de nous montrer son truc et être pris en photo.
Sagat : Partout en Chine, c’est la culture de la cigarette : iels fument non-stop, tu peux acheter des clopes à 2 € mais un paquet peut aller jusqu’à 100€, parce que c’est encore considéré comme un symbole. On offre une cartouche de cigarette à son patron. Il y a même des magasins qui ne vendent que ça et on en voit plus que des magasins de chaussures.
C’est vraiment une mode de pimper son chien ?
Soumaya : Les Chinois·es adorent surtout les petits chiens, mais c’est aussi parce qu’iels ont des petits appartements.
Sagat : Énormément de gens ont un chien en Chine. Il y a des clubs de chiens où les mamies font des réunions une fois par semaine et friment avec leurs chiens. Iels les habillent en fausse marques, les contrefaçons sont partout.
« C’était nouilles épicées au petit déj’. »
Quid de la bouffe ?
Sagat : La bouffe est super bonne, le seule truc chiant c’était l’absence du petit déjeuner : il n’y en a juste pas.
Soumaya : On commandait à l’oeil sans savoir que c’était. Souvent les promoteur·ices choisissaient pour nous, et généralement c’était bon. Mais ouais, c’était nouilles épicées au petit déj’.
Y a-t-il des trucs que vous avez vu là-bas qui serait inimaginable ici ?
Sagat : J’ai kiffé comment les gens étaient habillé·es, surtout à Shanghai. Il y a énormément de créativité dans les outfits. Il y a d’autres possibilités pour se sapper parce qu’iels ont Taobao, le Amazon Chinois, et c’est pas cher. Donc iels peuvent rendre leur style unique, tellement plus diverse qu’ici.
« Si t’as besoin d’aide pour la moindre petite course ou tâche, tu peux appeler quelqu’un via ton smartphone et iel arrive dans les 15 minutes, où que tu sois. »
Soumaya : Toutes les mobylettes sont électriques ; c’est interdit d’avoir une mobylette avec un moteur à essence. Tout le monde, jeune ou pas, a une mobylette ; et aussi l’application WeChat avec lequel iels ont un code QR pour effectuer n’importe quel paiement. On avait déjà testé le service l’année dernière. J’ai commandé une bière dans un parc et elle est arrivée en 15 minutes, et fraîche.
Sagat : Oui tu peux tout commander et tout le monde paie tout grâce à son smartphone. Si t’as besoin d’aide pour la moindre petite course ou tâche, tu peux appeler quelqu’un qui arrive dans les 15 minutes, où que tu sois.
L’Asie c’est le paradis des goodies, quelle est l’histoire du chapeau-crabe ?
Soumaya : Dès que j’ai posté cette photo sur mon Instagram, j’ai reçu pleins de messages de gens que je connais qui avaient porté le même truc ! Ce magasin, Don Quijote, à Tokyo est devenu une attraction au Japon et tout le monde essaie ce crabe.
« Dans les grandes villes, tu n’as plus ce rapport avec le passé. Les gens vivent dans le futur. »
Vous avez fait un bon petit tour. Si vous deviez conseiller un seul endroit ce serait lequel ?
Sagat : Shanghai. C’est bien pour arriver en douceur, car c’est très international. Sinon la province de Yunnan, pour son patrimoine et ses éléments plus anciens. Dans les grandes villes, tu n’as plus ce même rapport avec le passé. Les gens vivent dans le futur.
Soumaya : Le Oil Club a tout compris. Il ne se focus pas uniquement sur la musique, mais aussi le design. Iels sont vraiment bons. Il y avait des écrans devant le club avec les stories Instagram de l’année qui passent en boucle. Et surtout, le meilleur sound system !
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