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Foule santé mentale sur TikTok

santé mentale sur TikTok

Le ton assuré, de grands yeux foncés cachés derrière une paire de lunettes argentées et de longs cheveux rouge dignes des plus grandes héroïnes de Disney, Zelliana n’en est pas à son coup d’essai sur TikTok. Tous les jours, elle partage sur son compte plusieurs vidéos pour parler de sa maladie, un état dissociatif qu’on appelle le TDI (Trouble Dissociatif de l’Identité). Une maladie caractérisée par la présence d’états de personnalité distincts, appelés des “alters”. Zelliana est le nom choisi par l’ensemble de ses alters et désigne le “système” entier qui la représente. En ligne, elle propose à ses abonnés des vidéos pour expliquer comment vivre au mieux avec ce trouble, comment il fonctionne, quelles sont ses astuces pour gérer au mieux ses multiples personnalités… Un travail de vulgarisation scientifique qu’elle enrichit de sa propre expérience et de son expérience d’étudiante en neurosciences et neurobiologie. 

Dans les commentaires sous ses vidéos, les remerciements pleuvent. « Merci, c’est grâce à vous et aux autres influenceurs de ce genre qu’on va finir par gagner du crédit ! », peut-on y lire. Comme elle, de nombreux créateurs de contenus ont décidé de s’emparer de la question de la santé mentale sur TikTok. Conseils pour calmer ses crises d’angoisses, de boulimie ou encore d’insomnie… chacun peut y trouver son compte. Le phénomène est tel que les hashtags comme #bpd (Trouble de la personnalité limite) ou  #tdah (Trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) font respectivement 6 milliards et 1,5 milliards de vues sur la plate-forme. 

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« Il fallait qu’il y ait quelque chose pour que cette information soit accessible, ça m’énervait de voir tout ça si fermé, il fallait le rendre public pour que les autres ne soient pas perdus comme je l’ai été quand on m’a diagnostiqué ». C’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle elle lance sa chaîne en 2020 : informer pour mieux prévenir. « Je voulais me rendre utile, il y avait pour moi cette mission d’information ». Et si son dévolu s’est jeté sur TikTok, c’est avant tout pour son algorithme, « je me suis dis que c’était la meilleure plateforme, car les vidéos sont courtes et grâce à l’algorithme on peut toucher plus de gens plus vite ». 

« On ne se rend pas compte tout de suite, voire pas du tout, que les personnes qui font ça vont mal. Mentir sur ses troubles mentaux, ce n’est pas normal. C’est déjà un trouble en soi » – Zelliana

Car sur cette plate-forme, il n’est pas toujours facile de bien s’informer. Non seulement la majorité des contenus proposés sont en anglais, mais les quelques productions pertinentes sont souvent noyées dans un océan de désinformation. La plate-forme ne vérifiant pas les informations partagées sur le réseau, les vidéos les plus populaires peuvent parfois véhiculer des idées reçues, des mensonges ou même des “contenus dangereux” prévient Zelliana. Puisque seuls les chiffres comptent, n’importe qui peut s’improviser gourou de la santé mentale et promouvoir telle ou telle super technique censée calmer les crises de panique.

Cette situation est d’autant plus problématique que « TikTok devient la source d’information principale chez les très jeunes explique Delphine Py, une psychologue présente sur TikTok avec plus de 181 000 abonnés. Il faut qu’il y ait des gens présents sur la plate-forme qui puissent donner une information sourcée, rigoureuse et surtout exacte concernant la santé mentale, c’est ça que je veux prodiguer via mon compte ». Certaines vidéos, explique-t-elle, conseillent même des pratiques dangereuses pouvant mener à de fortes crises d’angoisses. « Quand je tombe dessus je signale, mais parfois cela ne donne rien ». 

TikTok d’une jeune femme qui conseille entre autre de souffler dans un sac pour calmer une crise d’angoisse alors que cela peut provoquer des malaises. 

Pour la professionnelle de santé, la situation est d’autant plus critique lors du confinement, en mars 2020, lorsqu’elle remarque une forte hausse des états dépressifs chez les adolescents et une augmentation des hospitalisations en pédopsychiatrie pour geste suicidaire. « C’était alarmant alors j’ai décidé de donner des conseils et de les aider via une plateforme qu’ils connaissent bien », avance la psychologue. Alors qu’ils allaient de plus en plus mal, totalement enfermés chez eux à cause du confinement, beaucoup d’adolescents ont vu le réseau social comme une opportunité de témoigner. 

Une libération de la parole louable mais qui s’est rapidement noyée dans des mises en scène faites de musiques tristes et de défis en tendance. Après tout, cette plate-forme s’est construite sur une forme de romantisation de tous les aspects de nos vies et la santé mentale n’est pas épargnée. Faux tics, faux symptômes… quelques personnes fantasment des maladies, parfois consciemment, parfois non. Le but est de ressembler aux personnages qu’on adore regarder comme ceux de la série Skins ou Euphoria plus récemment. Les vidéos de comparaison entre les vidéastes et des personnages de fiction se multiplient. Puisque les réseaux sociaux et particulièrement TikTok, ont rendu tous les aspects de la vie quotidienne esthétiques, on pleure désormais devant des milliers de personnes, on parle cash, on se clash… 

Pour Zelliana, il ne faut pas prendre ces mensonges à la légère. « On ne se rend pas compte tout de suite, voire pas du tout, que les personnes qui font ça vont mal. Mentir sur ses troubles mentaux, ce n’est pas normal. C’est déjà un trouble en soi ». Elle ajoute que pour elle, ce qui engendre la romantisation, c’est justement la désinformation présente sur la plate-forme. « Montrer des choses fausses à propos des troubles pour les rendre esthétiques, voire glamour en quelque sorte, c’est dangereux. » Entre créateurs bienveillants et ceux qui profitent de la naïveté de leur public, il devient difficile de démêler le vrai du faux. « Certaines personnes transforment des anecdotes personnelles en vérité générale et ça inquiète les psychiatres. Ils se retrouvent avec des adolescents qui arrivent avec des idées très préconçues », avance l’étudiante en neurosciences. Sur Twitter, le hashtag #autodiag semble d’ailleurs de plus en plus populaire.

Le docteur Patrick Barillot, psychiatre habitué à recevoir des patients très jeunes, le constate au quotidien. « Des gens arrivent avec leur diagnostique déjà fait. Même si c’est vrai que c’était aussi le cas avant les réseaux sociaux où les gens allaient chercher leurs réponses sur Google. » On peut toutefois noter deux différences entre le moteur de recherche et la nouvelle plate-forme. La première c’est que sur TikTok, aucun compte de professionnel n’est référencé comme tel et laisse donc plus de place aux bêtises et aux charlatans. La seconde est la force de frappe immense du réseau social qui, par son aura, touche des centaines de millions de jeunes par jour. 

« Cela ne relève pas des personnes mais ce sont les institutions qui devraient prendre en charge ces campagnes de prévention sur les réseaux. » – Delphine Py

Selon Delphine Py, le développement de ces auto-diagnostiques n’est pas forcément une mauvaise chose. « Le risque de l’auto-diagnostique c’est de s’enfermer dans une case et de ne pas avoir accès aux soins dont on a besoin. Il n’est ni bon ni mauvais. Il faut pouvoir s’écouter mais il faut aussi pouvoir l’affirmer ou non avec un professionnel. »

Les risques liés à l’auto-diagnostique et aux fausses informations étant trop grands, ils poussent le docteur Barillot à se questionner sur l’utilité de se créer un compte professionnel sur les réseaux sociaux, « Qui voulez-vous conseiller et sur quoi ? Cela n’a pas trop de sens ». Possédant un compte personnel, il ne se verrait pas en créer un second professionnel, loin de là, préférant laisser la responsabilité de l’information à l’État, « Cela ne relève pas des personnes mais ce sont les institutions qui devraient prendre en charge ces campagnes de prévention sur les réseaux. » Un État qui peine pourtant à aborder cette question tabou, « La question de la santé mentale n’avance pas au niveau politique car les politiciens ne veulent pas le voir », déplore Patrick Barillot.

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