« Plus une institution qu’un restaurant, ici vous entrez dans un monde parallèle », « J’y ai croisé Dionysos avec un fusil en train de chanter », « Patron beurré à 13h30, s’essaie au ball-trap sur le parking, mölkky avec des boules de pétanque et jeux de fléchettes avec des couteaux » … Ces extraits, recueillis parmi quelques centaines d’avis Google, ne sont qu’un aperçu des récits fantasques circulant sur un bar-restaurant routier de la périphérie de Besançon, dans le Doubs.
Ouverte depuis plus de 15 ans, « La Cocotte », du nom du lieu-dit où se trouve l’établissement à Chemaudin et Vaux, s’est construite malgré elle une importante notoriété sur les réseaux sociaux, qui dépasse le milieu des routiers. « On m’en parle, mais j’en ai rien à branler. J’ai même pas internet, je fais juste mon boulot », lance d’un ton goguenard Christophe, identifié par tout le monde comme le patron, même s’il est en réalité salarié de sa mère, Josiane, qui gère l’entreprise.
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Beaucoup de témoignages pourraient laisser imaginer une invention farfelue, voire un mythe absurde construit au gré d’histoires orales. Pour une part, sans doute. Mais cette maison n’en reste pas moins « atypique », « anachronique » voir « unique en son genre », selon les sources que nous avons nous-même contactées.
« Quand on commande un dessert, il peut nous amener une crème et le chalumeau. Une fois, je me suis même retrouvé dans les cuisines, à préparer le repas pour quatre ou cinq personnes » – Un habitué
De l’avis de tous, La Cocotte constitue « une affaire en or » : l’établissement est grand, au calme et bien situé, à deux pas de l’autoroute. Mais si on en franchit la porte, mieux vaut y être préparé. « Je suis tombé dessus par hasard il y a plus d’un an. Je n’avais jamais vu ça, raconte Grégory, un routier chevronné. J’arrive à 16 heures, je vois quatre gars torchés. Je demande le patron, il était parmi eux. J’ai essayé d’engager la conversation. Impossible. Quand je suis reparti, le soir, je n’avais pas eu le plat commandé, et il a fini la tête dans l’évier. Certains, ça les amuse, pas moi. »
Ce bar-restaurant apparaît comme un vestige des années 80, avec ses excès. Ici, on fume au comptoir au point d’être noyé sous un nuage de fumée, on picole allègrement en se servant souvent soi-même et on discute dans un langage décomplexé qui ferait même pâlir les plus fervents adversaires du wokisme. « Ce n’est pas un endroit où emmener sa petite famille », souffle Yoann, un routier s’arrêtant une fois par an dans l’établissement, qui salue néanmoins « un des rares lieux de liberté encore existants. Si vous voulez quelque chose d’aseptisé, y’a un McDo pas loin ».
Sans faire l’unanimité, l’affaire attire une clientèle de festoyeurs nostalgiques, qui vient davantage pour ripailler et s’amuser que pour respecter les codes de la restauration. « Ça me rappelle ma jeunesse, confie Maurice, routier de 59 ans habitué des lieux. Le parking est souvent plein. Beaucoup crachent sur le patron alors qu’il rend de grands services, même s’il faut parfois se démerder un peu. Quand on commande un dessert, il peut nous amener une crème et le chalumeau. Une fois, je me suis même retrouvé dans les cuisines, à préparer le repas pour quatre ou cinq personnes. »
Sur les groupes Facebook de routiers, la popularité du lieu n’est plus à faire. Les publications relatives à la Cocotte pullulent de commentaires binaires, d’anecdotes en tout genre et même d’images saugrenues. Parmi elles, on peut notamment voir un chat boire à la tireuse ou encore un sanglier fraîchement abattu gésir sur le sol du restaurant. Le patron, Christophe, est chasseur, tout comme certains clients réguliers. « Ce n’est pas sur les horaires d’ouverture, c’est seulement en comité restreint, se défend-t-il. Je n’oserais quand même pas faire ça devant les clients. »
« J’ai déjà reçu des coups de poing dans la gueule, on m’a menacé avec un couteau, et un gars m’a braqué un pistolet sur la tempe sous prétexte que je couchais avec sa femme » – Christophe
Déjà peu ordinaire en temps normal, l’établissement semble entrer dans une autre dimension lorsqu’il est « fermé mais ouvert », selon les termes de Christophe. Celui-ci a raconté à plusieurs clients avoir tiré au fusil sur le plafond de son restaurant. « Des salades », répond sa mère. « Non, c’est vrai. On voulait juste s’amuser », assure pourtant son fils, dont l’utilisation des armes à feu laisse perplexe. Surtout lorsqu’il prétend avoir « déjà tiré pour effrayer des routiers polonaiss qui restaient dans leur camion, sur le parking, sans venir consommer ».
« J’ai déjà reçu des coups de poing dans la gueule, on m’a menacé avec un couteau, et un gars m’a braqué un pistolet sur la tempe sous prétexte que je couchais avec sa femme », poursuit calmement Christophe. Plusieurs routiers évoquent des interventions régulières des forces de l’ordre, en raison de rixes diverses ou de tapage nocturne. Quand on l’interroge, le patron part dans un délire loufoque – « le GIGN est intervenu parce qu’il y avait trop de monde dans le bar » -, tandis que les gendarmeries et commissariat locaux indiquent ne pas avoir connaissance de l’établissement.
Au fil de la conversation, on reste parfois sceptique face aux réponses de Christophe, dont on se demande s’il est sérieux ou s’il cherche à cultiver sa propre légende – même s’il dit s’en moquer. D’autres s’en sont de toute façon chargé·es pour lui. La Cocotte et son patron se sont fait connaître au-delà du Doubs et des routiers sous l’action des comptes Mêmes décentralisés et la Sotizerie – qui relaient sur Facebook et Instagram des contenus décalés sur la ruralité -, ainsi que du twitto @paul50890, auteur d’un thread immersif qui cumule plus de 10 000 retweets.
« Ça a fait marrer les habitués de voir débarquer des Normands », sourit ce dernier, qui a profité d’un voyage à Dijon pour découvrir l’endroit. « La Cocotte, c’est totalement notre ligne éditoriale, explique un membre de la Sotizerie. Quand on a découvert l’artiste, on savait que beaucoup seraient tentés d’y aller. » Au point de devenir un lieu de pèlerinage pour quelques bandes de potes. « Des gens viennent de Marseille, c’est des fous. Des Lyonnais, des Belges … J’suis débordé par ces conneries », s’agace pourtant Christophe, décrivant des clients devant faire la vaisselle face à l’afflux de visiteurs intrigués.
« Ça fait trois ans que j’ai pas dormi sur le bar, depuis que ma mère m’a acheté un lit dans la salle de stockage » – Christophe
« Ceux qui y vont doivent vraiment rester dans l’esprit du lieu, prévient notre interlocuteur de la Sotizerie, qui s’y est rendu trois fois. Le patron est une proie facile, mais il ne faut pas profiter de lui. » Selon plusieurs sources, l’établissement est en effet victime de vols réguliers, simplifiés par l’ivresse récurrente du maître des lieux. Christophe le confirme lui-même : « On m’a chourré de l’argent, des bouteilles de whisky. Tant pis, je m’en fous. Mais on m’a aussi volé mon chat … Des clients me l’ont raconté. Je ne le comprends pas. Mes enfants m’en veulent à cause de ça ».
Sur sa consommation d’alcool, dont les clients interrogés s’inquiètent, il répond : « Ça fait trois ans que j’ai pas dormi sur le bar, depuis que ma mère m’a acheté un lit dans la salle de stockage. » Et de poursuivre : « Je ne suis pas un pompeur de fric. J’offre de bons moments aux clients. Et ils partent plus bourrés que moi », conclut Christophe, qui arrête un instant la conversation. Il peste. « C’est rien, c’est un jeune qui voulait boire dans ma bouteille de Pontarlier. »
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