Ces deux dernières années, Paul McCartney, Beck, Coldplay, Jack White, la Philharmonie de Los Angeles et de nombreux autres artistes ont donné des concerts virtuels, recréant l’ambiance d’un concert live avec des vidéos à 360° assorties d’une sonorisation 3D qui permet de retranscrire l’acoustique de la scène de manière réaliste. Dans l’idéal, le spectateur a la sensation de se situer lui-même dans la salle de concert.
Le son est aussi essentiel que la vidéo pour faire croire à votre cerveau que votre corps est immergé dans une réalité alternative : il permet au cerveau de s’orienter dans l’espace. Sans un enregistrement audio 3D qui reproduit fidèlement l’environnement sonore réel, l’illusion s’évanouit rapidement. À l’inverse, s’il est suffisamment convaincant, l’auditeur se sent immédiatement transporté dans le studio d’enregistrement ou au premier rang d’un concert de rock.
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De la même façon que la réalité virtuelle vous propulse au-delà des limites de l’écran, le son 3D pourrait nous aider à dépasser le modèle de concert traditionnel qui consiste à rassembler un public devant une scène. Pourquoi se contenter d’une simulation de concert approximative quand vous pouvez être téléporté au milieu des cordes d’un orchestre philharmonique, avec le point de vue du musicien ?
En d’autres termes, allons-nous entrer dans l’ère du post-spectacle ?
« Dans dix ans, vous pourriez être un surfeur professionnel à Tahiti, et vous dire ‘Ce soir, je vais à un concert de musique symphonique. Non, plutôt au ballet, à Paris. Ou alors les Stones, à Madison Square ?’ Ça serait formidable, non ? » se demande David Chesky, fondateur du label newyorkais Chesky Records, spécialisé dans la musique pour audiophiles.
« Je suis sûre qu’après ça, un jeune producteur un peu snob dira : ‘Mince, c’est idiot, on pourrait faire des trucs encore plus cool. Pourquoi ne pas organiser un concert dans le désert de Gobi, sous les étoiles ? » ajoute Chesky. « Imaginez que vous êtes installé au milieu d’une île au milieu de l’océan et que vous écoutez un concert de musique classique en voyant des baleines passer au loin sous un ciel illuminé. L’idée est tout à fait réalisable. »
« On pourrait transporter les auditeurs n’importe où. La seule limite est celle de l’imagination. »
Si l’audio 3D constitue une opportunité évidente pour les concerts virtuels, elle pourrait également bouleverser la façon dont nous écoutons la musique enregistrée. Pendant des décennies, les musiciens, dont des sommités comme Lou Reed, Pearl Jam et Radiohead ont tenté d’ajouter une dimension supplémentaire à leurs titres. Mais l’audio 3D n’a jamais vraiment décollé. L’envie d’écouter de la musique reproduisant parfaitement l’expérience live n’existait tout simplement pas.
Depuis, les choses ont changé. La musique en trois dimensions est de nouveau sous le feu des projecteurs depuis que l’industrie de la réalité virtuelle a fait valoir que les vidéos immersives ne seraient jamais vraiment crédibles sans leur pendant sonore. Tandis que le marché VR fait son possible pour développer la technologie qui plongera les auditeurs dans un environnement acoustique optimal, il entraine les producteurs de musique dans son élan.
« Transporter les auditeurs dans des endroits spécifiques n’a jamais intéressé les producteurs jusque là. »
« Nous allons voir émerger de tous nouveaux genres d’expériences auditives, » explique Gabe Liberti, un artiste spécialisé en installations musicales. Sa prochaine installation sera présentée au South By Southwest festival, qui sera en partie consacré au son 3D. « Transporter les auditeurs dans des endroits spécifiques n’a jamais intéressé les producteurs jusque là. Tout cela est complètement nouveau. »
Le son « spatialisé » en 3D ajoute une dimension supplémentaire à la musique enregistrée : la profondeur. Adieu les oscillations droite/gauche de la musique stéréo classique. Ce nouveau format vous situe en un point défini de l’espace musical. Le son semble venir d’en-haut, d’en-bas, circuler tout autour de vous, vous envelopper complètement. On peut en faire varier la distance, la direction, comme si vous étiez au milieu d’une véritable sphère sonore.
Les humains sont naturellement capables d’entendre en 3D, même si nous ne possédons que deux oreilles, un nombre passablement ridicule. Cependant, leur position sur la tête permet cette capacité. Un son venant de la droite arrivera à l’oreille gauche une fraction de seconde seulement après l’oreille droite, et sera perçu de manière plus douce tandis que le bruit diminue en intensité et est absorbé par l’oreille externe, la tête et le torse. Ces signaux sonores permettent au cerveau d’identifier la direction d’un son et de repérer sa localisation avec une grande acuité. C’est grâce à ce système que vous avez le réflexe de tourner la tête quand vous entendez un froissement de brindilles sur le sol, juste derrière vous.
La technique la plus connue pour enregistrer du son en 3d, l’enregistrement binaural, imite ce processus acoustique naturel grâce à des micros en forme de canaux auditifs synthétiques placés de chaque côté de la tête d’un mannequin.
Thom Yorke en compagnie d’un mannequin portant un système binaural. Image: Green Plastic Radiohead
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Il est important de noter que la technique binaurale fonctionne uniquement avec un casque. Cela a sérieusement limité son potentiel commercial dans le passé. Puisque l’enregistrement est basé sur le positionnement spatial des deux oreilles, les sons doivent uniquement atteindre l’oreille cible. À l’inverse, avec des haut-parleurs, les sons se propagent dans l’espace et se mélangent. L’oreille droite entend les sons destinés à l’oreille gauche, et vice-versa. On appelle ce problème la diaphonie, ou crosstalk.
Mais d’ici un an ou deux, tout cela pourrait changer. Un professeur du département de l’Université de Princeton, le Dr. Edgar Choueiri, a trouvé comment diffuser des enregistrements binauraux sur haut-parleurs, ce qui pourrait donner une nouvelle impulsion à la musique 3D.
La technologie, appelée son BACCH 3D sound, résous le problème de la diaphonie grâce au placement d’un filtre numérique entre les deux haut-parleurs afin de simuler la tête physique d’un humain (il explique en détail son fonctionnement dans cette vidéo). Princeton a d’ores et déjà signé un contrat avec Jawbone qui utilisera cette technologie pour le haut-parleur Jambox « LiveAudio » de sa gamme.
Chesky, qui s’est associé avec Choueiri, prédit qu’une version commerciale du filtre sera prête d’ici un an. Les audiophiles pourront alors tester les sons binauraux dans une pièce, sans nul besoin de casque audio.
« C’est bien mieux que les écouteurs. Ça vous retournera le cerveau, vous verrez. »
Pour le moment, la technique de la spatialisation sonore est réservée à un public de niche, comme les fans de musique expérimentale. J’ai passé plusieurs jours à écouter des enregistrements binauraux (avec un casque), et s’ils sont effectivement plus riches que des enregistrements stéréo d’un point de vue acoustique, proposant une large gamme de textures sonores, ils n’ont pas réussi à me transporter. Certes, les sons qui semblaient être produits au niveau de ma nuque m’ont bien procuré quelques frissons et m’ont fait dresser les poils des bras plusieurs fois. En cela, il n’est pas étonnant que les enregistrements binauraux aient eu un tel succès au sein de la communauté ASMR.
Maintenant, imaginez que ce même effet est produit tandis que votre chanteur préféré susurre les paroles d’une chanson sensuelle à proximité de votre oreille. Là, on se représente mieux en quoi la spatialisation de la musique peut renforcer l’intimité entre les artistes et leurs fans.
Parce que les enregistrements binauraux reproduisent la musique telle qu’elle sonne dans la vraie vie, ils permettent également de créer une esthétique musicale inédite, en exploitant l’écho du métro de New York ou une atmosphère folk chaleureuse, par exemple.
« Vous vous situez dans un espace, » explique Chesky, qui décrit le nouvel album de City of the Sun. « Il a plusieurs dimensions, une texture, une densité. L’expérience est plus intense qu’un tour de montagnes russes. »
Cependant, même le binaural souffre encore de quelques défauts qui nous empêchent d’accéder à une expérience 3D réellement immersive.
Défaut n°1 : Les enregistrements sont faits pour être écoutés en gardant la tête immobile. Quand l’auditeur la tourne à droite à gauche, il entraine avec lui la « scène acoustique » binaurale, ce qui provoque la destruction de l’illusion sonore. L’auditeur ne peut pas s’orienter au sein du champ sonore de la façon dont il peut se déplacer dans un environnement en réalité augmentée.
Défaut n°2 : Chacun possède une paire d’oreilles différentes de celle de son voisin, un peu à la manière des empreintes digitales. Le mannequin utilisé pour l’enregistrement binaural fonctionne comme un prototype du système auditif humain, et ne prend pas en compte les variations anatomiques et psychophysiologiques individuelles. Or, de la différence entre les oreilles du l’auditeur et de celles du mannequin dépendra la qualité d’écoute.
Le Graal du son 3D immersif est la spatialisation sonore en temps réel, calibrée à partir des caractéristiques anatomiques d’un auditeur spécifique. La technologie de détection des mouvements permet d’adapter le paysage sonore de manière synchrone aux mouvements de tête de l’auditeur. « Cela donne l’impression d’être immergé dans une nouvelle réalité acoustique, hyperréaliste. Vous avez vraiment l’impression d’avoir été téléporté ailleurs, » explique Liberti.
« Cela donne le sentiment d’être immergé dans une nouvelle réalité acoustique. »
Le binaural « n’est pas assez saisissant dans la mesure où bouger la tête suffit à diminuer la qualité de l’expérience, » ajoute-t-il. « Je pense que la réussite de l’audio 3D dépendra de la gestion de ce problème. »
La technologie qui permet de créer un environnement sonore immersif en temps réel est en phase de développement à l’heure où j’écris ces lignes. Elle combinera d’autres techniques 3D comme l’ambisonie, l’holophonie, la Wave Field Synthesis (WFS), la spatialisation sonore virtuelle, et la sonorisation orientée objet.
Le nouveau casque audio Ossic, financé par Kickstarter, utilise un système de détection des mouvements et un système d’étalonnage qui mesure la forme des oreilles de l’auditeur et d’utiliser ces données pour diffuser les sons de manière plus précise. La plupart des prototypes de casque de RV développent actuellement de nouvelles fonctions pour accroitre cette même précision. Le marché émergent de la RV déterminera sans aucun doute de quelle façon la technologie du son 3D sera incorporée à la production musicale.
Les audiophiles obsédés par les câbles d’alimentation à 5000€ sensés améliorer la qualité sonore de leurs appareils « cherchent une meilleure fidélité audio, mais à un niveau où la variation de cette fidélité est quasiment imperceptible, » explique Liberti. « En revanche, en ce qui concerne la différence entre un enregistrement stéréo classique et un et un enregistrement audio spatialisé en temps réel, la différence entre les deux expériences sonores est radicale. Et les possibilités sont tellement vastes… Je commence à peine à les imaginer. »
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Avec les années, la musique a, progressivement, propulsé le son dans l’espace. D’abord avec le remplacement de la mono par la stéréo, lui-même remplacé par le surround sound puis par l’object-based audio comme le Dolby Atmos, qui peut diriger le son vers des points précis dans l’espace. La spatialisation sonore est la prochaine technologie à adopter. Bientôt, nous y serons tellement accoutumés que nous aurons de la peine à croire que nous avons un jour pu nous contenter du son 2D.
« Cela nous fera le même effet que regarder une vieille vidéo d’Elvis Presley, tressautante, en noir et blanc, pleine de neige. »