Après trois mois de divagations et de vaines tentatives, j’ai enfin réussi à quitter ma psy. Je voyais Madame X depuis plus d’un an, deux fois par mois. Je mentirais si je vous disais que ça ne m’a pas servi, au contraire, je ne regrette pas du tout. Mais le temps est passé et j’ai réalisé que je n’avais plus besoin de la voir. Tant mieux, vous me direz. Pourtant, c’est à ce moment précis que la situation s’est tendue. Et a débuté une succession de stratagèmes, tous plus ou moins foireux, pour lui avouer mon désir de liberté.
Réduire la fréquence, annuler les rendez-vous, parler moins, parler plus, rassurer en disant que tout va bien… À la fin, j’en étais arrivée au point où je me faisais des listes de sujets à aborder avant chaque séance : face à elle, assise dans ce fauteuil en cuir relativement confortable, les mouchoirs à portée de main, j’étais prête à tout dégainer pour passer le temps. J’essayais de me trouver des problèmes, insignifiants au passage, pour avoir des choses à lui dire et éviter ce blanc si déstabilisant qui me fait dire tout et n’importe quoi à toute berzingue. En fait, je me sentais coupable. J’avais peur de sa réaction, qu’elle le prenne mal. J’avais fini par m’attacher à elle. Elle était devenue mon repère, ma boussole.
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Quitter son psy, c’est un peu comme mettre fin à une relation amoureuse : cette personne vous fait du bien, vous appréciez les moments passés ensemble jusqu’au jour où vous sentez que vous n’en avez plus envie. Après une phase de déni plus ou moins longue, vous décidez qu’il est grand temps d’en finir. Et les techniques choisies sont toutes aussi diverses que celles utilisées dans le cas d’une rupture.
Parmi elles, vous avez le ghosting. Du jour au lendemain, vous ne donnez plus aucune nouvelle. C’est un grand classique. C’est un peu comme si tout ça n’avait jamais existé. Vous avez aussi le texto envoyé à la va-vite pour dire que vous ne viendrez pas à la prochaine séance. Ici, vous laissez planer un doute. La rupture n’est pas totale. Ou encore le fameux coup du “Je vous rappellerai pour caler une date” en fin de séance. Chose qui n’arrive jamais, vous n’êtes pas fous.
« Je n’y arrive pas, j’ai peur, j’appréhende » – Rachel
Je ne suis pas la seule à vivre cette galère. Le nombre de messages reçus, après mon appel à témoignages, m’a conforté dans l’idée que nous sommes nombreux à nous enliser. Rachel* voit des psys depuis qu’elle a l‘âge de 6 ans. Elle souffre de troubles compulsifs mentaux. Depuis 1 an, elle voit une psy spécialisée en hypnose qui l’aide sur le plan émotionnel mais qui ne correspond pas à ses besoins psychiatriques. « J’ai vraiment du mal à lui dire que j’ai besoin d’autre chose. Ça fait 2 mois que ça traîne, avec 2 séances par mois à 70 euros la séance, j’en suis à 280 euros de séances supplémentaires. Je n’y arrive pas, j’ai peur, j’appréhende », explique-t-elle.
D’ailleurs, bien souvent, vous en faites toute une montagne pour pas grand chose. Dans mon cas, c’est une phrase de ma mère qui m’a fait réagir : « Camille, sois honnête sur tes intentions. Tu es allée la voir pour des raisons précises. Si tu n’en as plus envie, ne lui mens pas. Si on commence à mentir à son psy, on ne s’en sort plus ». Comme toutes les mères, la mienne a toujours raison. J’ai alors décidé de l’annoncer par téléphone. Et j’ai joué la carte de l’optimisme : « C’est plutôt une bonne chose, non ? Ça veut dire que je vais bien et que je n’ai plus besoin de vous ». Ma psy n’a montré aucun signe de rébellion et l’appel a duré 2 minutes 30.
Jeanne*, elle, a plutôt opté pour la stratégie de l’auto-persuasion. Après 6 mois à tergiverser, et 1 000 euros déboursés, elle a franchi le cap : « C’était devenu une vraie contrainte. J’avais l’impression de tourner en rond. J’ai décidé de dire à tout le monde que j’allais le quitter : à mes collègues, ma meuf, mes potes… J’étais au pied du mur, j’étais obligée de le faire. Je devais mettre un terme à ma relation avec lui ».
« La fin de la thérapie fait partie de la thérapie » – Ghislain Rubio de Teran
Mais alors pourquoi est-ce si dur d’arrêter sa thérapie ? Pourquoi ressentons-nous un sentiment de culpabilité ? Selon Ghislain Rubio de Teran, psychopraticien spécialisé en psychothérapie relationnelle, il y a des enjeux affectifs qui se jouent dans la relation praticien-patient, au même titre que dans une relation amoureuse ou familiale. « Il y a trois phrases en thérapie. Il y a la phase du début, le moment où l’on se rencontre, où l’on crée l’alliance. Puis, la phase de travail et, enfin, la phase de séparation où l’on va réfléchir à la manière dont on va se dire au revoir. Dans cette dernière, il y a des questions d’autonomie et d’attachement », explique-t-il. « C’est courant d’avoir des difficultés : la fin de la thérapie fait partie de la thérapie », ajoute-t-il.
Et certains ont plus de mal que d’autres à s’en défaire. En 2016, Adrien* décide d’aller voir un psy. Un an plus tard, après une rupture, il passe à 2 séances par semaine. Puis, après un été joyeux où il se sent bien, il décide de réduire. « Mon but n’avait jamais été de m’éterniser chez mon psy et je voulais que ce soit le plus bref possible pour ne pas créer une relation de dépendance trop forte. Je lui en ai parlé et il m’a dit que ce n’était pas le bon moment », témoigne-t-il.
Adrien est embourbé depuis plusieurs mois dans cette relation sans réussir à déterminer s’il doit s’écouter ou écouter son psy : « C’est difficile de savoir s’il estime que c’est pour mon bien ou s’il ne veut juste pas perdre cette séance par semaine. J’ai envie d’arrêter et, en même temps, une séance, ça fait toujours du bien ». Car, oui, la thérapie est un espace rassurant : « On se sent écouté, accepté comme on est. On peut se montrer vulnérable. C’est précieux mais ça peut créer une forme de dépendance. C’est là que se trouve la responsabilité du thérapeute : ne pas maintenir le patient dans la dépendance et l’amener vers l’autonomie », poursuit Ghislain Rubio de Teran.
Comment se séparer de son psy si lui-même empêche la séparation ? Un psy a-t-il le droit de s’opposer à la volonté de son patient ? Pour Ghislain Rubio de Teran, « La déontologie est très claire: le thérapeute s’attache à favoriser l’autonomie de la personne et respecte son désir de partir ».
« Au bout d’un an, une ambiguïté s’est installée » – Noémie
Certains se retrouvent même dans des relations malsaines et, malgré ça, n’arrivent pas à s’en débarrasser. C’est le cas de Noémie* qui suit une thérapie depuis plusieurs années et qui a fait un transfert amoureux sur son psy. « Au bout d’un an, une ambiguïté s’est installée. Il y a eu des échanges en dehors des séances, pas de la drague mais des échanges amicaux », confie-t-elle. Son psy finit par mettre le holà et ne lui répond plus. « J’ai essayé de comprendre mais il a tout retourné contre moi. Pour lui, j’avais tout inventé. C’était dans ma tête, j’étais parano. On continue à travailler ensemble mais il me menace d’arrêter la thérapie. Il sait que mon point faible, c’est l’abandon. C’est un psy qui a nourri un transfert et ne l’a pas assumé », ajoute-t-elle.
Comment se séparer sans rompre brutalement ? Il n’y a pas de recette miracle, il vous faut juste un peu de courage et d’honnêteté. Ghislain Rubio de Teran prodigue quelques conseils : « En tant que patient, on a le droit de partir. Même si le psy n’est pas content, on n’est pas là pour le rendre heureux. Il faut oser le dire, en parler. Et se donner un peu de temps. Parfois, on peut aussi décider de faire une pause si le patient hésite à continuer. C’est une façon de tester son autonomie ». Allez, vous y êtes presque.
*Les prénoms ont été modifiés
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