Music

Pourquoi il est impossible de tirer son coup en tournée

Si vous êtes musicien, l’un de vos oncles par alliance (celui qui passe les fêtes constamment bourré) a sans doute dû essayer de vous soutirer sur un ton faussement fraternel et clairement libidineux quelques anecdotes salaces de tournée. Vous pouvez sentir ses postillons glaireux alors qu’il vous chuchote à l’oreille : « Et donc, c’est comment la vraie vie de rockstar ? Je veux dire… les groupies ? J’imagine que tu tâtais de la petite anglaise tous les soirs, hein ? »

Et la réponse est… Non. Non, vous n’avez pas vu un cul de tout le mois. À moins que vous ne soyez rappeur, gay ET alcoolique ou membre de Led Zeppelin (où c’était les roadies qui faisaient tout le sale boulot, pendant que le groupe s’amusait avec une fan et un requin); il est peu probable que vous ayez fait monter le score sur la route.

Videos by VICE

J’ai passé une bonne partie de ma vie en tournée, et il se peut que ça vous surprenne, mais je n’ai JAMAIS vu un seul musicien coucher avec une personne qu’il avait rencontré le soir-même. J’imagine bien ce que vous devez penser : vous vous dites que j’ai probablement une tronche à faire goutter les robinets et que j’ai uniquement voyagé avec des types dégueulasses qui ont fait un trait sur leur diginité et leur hygiène sexuelle. Non. C’est juste que les tournées réunissent un tas d’éléments qui rendent techniquement impossible le moindre quickie avec une hystérique bourrée portant le T-shirt de votre groupe.

Voici les raisons qui font que vous ne pouvez pas choper en tournée.

VOUS SUEZ DU CUL

Je vous rappelle le contexte. Vous vous réveillez à six heures du matin dans un van pourri, au beau milieu d’un brouillard d’haleines fétides, ça fait quinze heures que vous ne vous êtes ni douché, ni même déplacé, si ce n’est pour acheter des sandwiches triangle et quelques cannettes de Coca Zero. Vous fumez à la chapine des clopes achetées pendant vos dates en Espage, dans l’attente de trouver une station essence qui aurait de ces douches pour routiers, pour pouvoir enfin démouler le bronze qui vous martèle les entrailles et commence à vous donner des sueurs froides. Vous finissez par arriver à la salle, portez quelques 110 kilos d’amplis, mangez un mauvais burrito, et terminez la journée par un concert de 40 minutes sous des lampes brûlantes.

À la fin de la journée, tous ces éléments combinés ont fait de votre caleçon un puits d’un enfer si féroce que personne n’est techniquement en mesure de s’en approcher à moins d’un mètre sans faire la même tête qu’un bébé qui suce son premier citron.

VOTRE VAN N’EST PAS UN ENDROIT POUR BAISER

Vous aimeriez que ça soit le cas, mais non. Et même si vous parvenez à convaincre votre conquête de s’allonger sur le sol poisseux de votre van, transformer votre véhicule de tournée en temple de l’amour est bien la pire des saloperies que vous puissiez faire à vos camarades.

Et si vous pensez que vous pouvez vous amuser vite fait pendant qu’ils ont le dos tourné, vous avez tort, même si les paquets de chips vides et les bouteilles d’eau minérale premier prix qui jonchent le sol de votre van sont des cachettes idéales pour votre capote usagée. Quand votre chanteur verra les traces de fluides corporels aigres que vous avez laissé sur les sièges arrière, vous serez immédiatement banni de toutes les prochaines activités du groupe et imposé sur votre dîme journalière -qui n’est déjà pas fameuse à la base, je vous le rappelle.

VOUS DEVEZ CHARGER LE MATOS

Charger le van est une vraie plaie. S’il y a un moment où vous pouvez vraiment faire impression, c’est à votre sortie de scène. Votre plan de la soirée vous y a vu étaler votre créativité pendant une heure, et vous bénficiez désormais de cette irrésistible aura sexuelle qui lui donne envie de vous grimper dessus, là, tout de suite.

Mais à l’instant-même où vous vous apprêtez à en profiter, votre bassiste vient vous rappeler qu’il est l’heure de charger le matos.

Chaque soir sans exception, charger le van anéantira toutes vos chances de faire entrer le basilic dans la Chambre des Secrets. Après avoir rangé votre matériel, vous vous enverrez une dernière pinte avant de reprendre la route vers l’hôtel miteux où vous passerez la nuit. Vous avez vraiment envie de rater votre unique chance de finir la nuit allongé sur autre chose qu’un lit de chips écrasés ? Vous êtes au beau milieu de nulle part et vous devez repartir tôt le lendemain matin. Ouais mec, ce soir, le mieux que tu peux espérér, c’est un regard langoureux et un échange de numéros sans lendemain.

VOUS AVEZ QUELQU’UN QUI VOUS ATTEND À LA MAISON

Tout le monde a un copain ou une copine chez soi. Même ceux qui n’en ont vraiment pas l’air… quelqu’un les attend. Et cette personne lui manque vraiment beaucoup. Quand vous passez la majorité de votre temps assis dans un van, à porter des tonnes de matériel, l’idée de pouvoir vous pelotonner dans un lit avec cette personne, de la bouffe asiatique et une clé USB avec la filmographie complète de Klaus Kinski devient plus qu’une alternative, c’est une putain de religion.

Ah, piétinons un autre mythe rock’n’roll au passage : j’ai vu plus de musiciens pleurer backstage qu’essayer de serrer une groupie. Véridique.

SI VOUS ETES UNE FILLE, IL EST PROBABLE QUE VOUS EN AYEZ JUSTE MARRE DES MECS

Une fille dans un groupe est une fille obligée de voyager et de travailler régulièrement avec des mecs. Et en général, les gars qui bossent pour les salles de concert ne sont par vraiment du genre graphic designer en cardigan qui sait comment faire infuser un bon thé : ce sont des gros lourds d’ex-musiciens qui ont trouvé un job en tant qu’ingénieur du son, technicien lumières ou (les pire de tous) organisateur.

Au bout du deuxième soir, vous n’en pouvez tellement plus de ces mec bizarres que vous finissez par vous tourner vers les gars de votre groupe pour un peu de soutien ; ce qui est une idée vraiment craignos. Vous avez droit à la pire version d’eux-mêmes en tournée, la route les ayant transformé en gigantesques bébés puants incapables d’aligner deux mots intelligibles. 80 % de leurs conversations tournent autour de leurs selles et les 20 % restants concernent la groupie qu’ils ont essayé de se faire la veille. De quoi vous faire regretter de ne pas avoir terminé cette école de design et d’avoir choisi cette profession inhumaine à la place. Voilà pourquoi tant de filles achètent des magazines féminins en tournée. Pour respirer.

VOS TICKETS BOISSONS NE VOUS PERMETTENT D’ACHETER QUE DE LA BIERE DE CLODO

S’il y a bien une chose qui importe en tournée, c’est : être méchamment bourré, vite et bien, histoire de lutter contre l’ennui mortel qui forme la substantifique moelle des longues heures précédant votre concert. Les musiciens en tournée ont donc des standards extrêmement faibles en matière de spiritueux. Vous envoyer un pack de Faxe ou d’Atlas peut, dans ce contexte précis, vous sembler tout à fait respectable, et vous faire totalement oublier le fait lors que vous êtes en train de vous pinter avec de la bière de SDF. La personne avec qui vous allez essayez de coucher est, pendant ce temps, dans sa ville natale, en train de siroter la bière artisanale d’une micro-brasserie de quartier, en attendant l’ouverture des portes. Vous finirez par claquer vos tickets boissons pour vous payer deux bières coupées à l’eau (une pour elle, une pour vous), qui ne lui feront aucun effet et lui amèneront à se demander ce qu’elle fout là exactement.


L’auteur, qui est passé de « pas de coup en tournée » à « pas de coup au boulot ».

VOUS AVEZ UNE AUTRE ACTIVITÉ

Plus jeune, je n’avais jamais réalisé que la plupart des musiciens gardaient leurs jobs de freelance quand ils étaient en tournée. Cela implique en général de mentir à votre boss, histoire de passer pour un respectable citoyen plutôt que pour un clodo troubadour, et requiert un niveau d’endurance que je n’imaginais pas trouver chez des musiciens avoir, hormis peut être les batteurs. Du coup, après le concert, vous vous retrouvez souvent à chercher un réseau wifi, histoire de pouvoir envoyer votre dossier à rendre pour plus tôt dans la matinée à votre boss. Dans ces cas-là, jouer au docteur avec une locale ne figure pas vraiment en haut de votre liste de priorités. C’est d’ailleurs comme ça que je me suis retrouvé chez VICE : parce que c’était juste impossible de tirer son coup en tournée.


Ben est sur Twitter – @b_shap