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Pourquoi Instagram est infesté de spams et de “double tap”

Les images dites “double tap” peuvent prendre plusieurs formes. Certaines photos sont floues, d’autres sont tellement basiques qu’on dirait des stock photos. Parfois, elles sont vaguement pornographiques – des cartoons un peu scabreux, ou des célébrités affligées d’un camel toe assez voyant. Certaines n’ont tout simplement aucun sens. Et puis il y a les mèmes un peu poussifs et sentimentaux, comme cette photo d’une femme et d’un homme au genou saillant (esthétiquement, ça fait penser au clickbait “One Weird Trick“.)

Image: so_art_less/Instagram

Certaines de ces photos donnent des instructions dans les commentaires. Il vous faut alors commenter d’un simple mot : “stop” ou “tombe” (sur une photo d’un homme suspendu à un rocher), ou encore “cul” (une photo d’Iggy Azalea avec son “nouveau mec” anonyme). D’autres se contentent d’entourer un détail précis – et souvent salace – d’un cercle rouge.

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Évidemment, sous chacune de ses photos, des gens énervés se plaignent que rien n’ait changé quand ils ont cliqué 2 fois sur l’image.

Qu’est-ce que c’est que ce délire ? Pourquoi des utilisateurs s’attendraient-ils à ce qu’il se passe un truc “magique”, et pourquoi les créateurs de ces mèmes font-ils ce genre de promesses ?

Image: xo_art_less/Instagram

On tombe rapidement sur de nombreux comptes intégralement dédiés à propager ce genre de spams. L’un en fait même son titre : le feed du compte @doubletap.me est privé, mais on peut voir les images qui y sont postées ici. On trouve très facilement des applications de type “double tap sticker” sur Internet (et même sur l’App Store), qui vous permettent d’ajouter automatiquement des instructions sur vos images (“double tap to high five“, “double tap to rock on“, etc.)

Que peuvent bien rapporter ces étranges images à ceux qui les postent ? Essaient-ils de rassembler un maximum d’abonnés en vue d’une attaque dans quelque temps ?

Au fond, c’est avant tout pour avoir un maximum de likes, explique Satnam Narang, chef de département de cybersécurité chez Symantec, et expert en virus et spams. Vu que les utilisateurs d’Instagram peuvent voir ce qu’aiment leurs amis, ces posts finissent par apparaître dans un coin de leur feed. En demandant aux gens de commenter, on accroît le taux d’engagement dans le but d’avoir plus d’abonnés.”

Le feed de notre collègue Nicholas DeLeon consiste essentiellement en un flux de corgis et de combattants de MMA. Image : Nicholas DeLeon.

Selon Narang, l’objectif de ces comptes est de se retrouver dans la partie “Explore” d’Instagram. Les comptes qui partagent des images comparables – voire identiques – se likent et se commentent mutuellement, créant ainsi un “effet de réseau” grâce auquel ceux qui ont beaucoup d’abonnés aident les plus petits comptes à grossir.

Il note aussi qu’il a déjà vu des spams semblables par le passé : “On a déjà vu des posts demandant aux utilisateurs d’”appuyer deux fois pour X”, mais la variante actuelle va plus loin en tentant de faire croire à l’utilisateur que son commentaire va modifier l’image. Comme on peut s’y attendre, il ne se passe rien de “magique” au final, même si certains continuent à y croire.”

Il est intéressant de voir combien ce genre de choses faites à la va-vite fonctionnent parfois mieux que des campagnes de marketing en bonne et due forme. Le “call to action” est l’un des plus vieux trucs du marketing, tout comme l’utilisation de la couleur rouge, dont on sait qu’elle attire l’attention et stimule l’impulsivité.

Clique deux fois et commente “tombe” pour que la magie opère.

Instagram a un problème avec les spams depuis quelques années, ce qui a valu à certains commentateurs d’affirmer que “le futur d’Instagram, c’est le spam.” Le site est infesté de pubs pour des sites de “rencontres pour adultes“, d’images volées et de “questionnaires de satisfaction“dont la seule récompense est un vol d’identité. Les spams se repaissent de notre vanité, de notre frustration sexuelle et de notre avidité, misant tout sur les plus bas instincts. Nombre de comptes de spam ne postent même pas d’images ; ils se contentent de promettre “100 FOLLOWERS OU PLUS.”

Les photos dotées de cercles rouges profitent aussi du fait qu’Instagram ait en quelque sorte légitimé le spam en l’attribuant à la simple nature humaine, surtout parmi les utilisateurs les plus jeunes. Les commentaires en un mot du style “preum’s” et la promesse implicite d’échanger les likes et les abonnements font la loi sur le réseau, et ce n’est pas la faute des robots. Dans ce paysage, les pros du marketing naviguent à vue : où se situe la frontière entre marketing et spam, quand tout ressemble plus ou moins à du spam ?

La course aux likes est une véritable affaire de dalleux.

C’est marrant de voir comment le spam est devenu une véritable esthétique, plus ou moins volontairement, au fil des ans, grâce à ces innombrables images. Pendant ce temps-là, sur YouTube, une chaîne de type “copypasta” continue à tourner, promettant aux heureux élus de gagner un iPad qu’ils trouveront sous leur oreiller (sans déconner). On a aussi tous eu affaire au “spooky skeleton” qui hante les forums, tandis que sur Twitter, les faux comptes de jeunes filles sexy promettant des followers se multiplient.

Le monde des spams est une sorte de Far West. Les attaques de virus ont un taux de succès élevé, mais qui peut dire que le clickbait sur Instagram ne fonctionnera pas tout aussi bien ? “Le chaos est une échelle“, comme dirait l’autre, et les candidats à l’ascension ne manquent pas.