Blanquette de veau baignant dans son jus ou encore brandade de poisson suspecte pour les plus braves… Ce n’est un secret pour personne, les plateaux repas servis à l’hôpital sont plus infects les uns que les autres. On dit souvent que la santé est dans l’assiette mais face à ces barquettes en plastique sous vide, on ne peux pas s’empêcher de penser le contraire.
Pour voir l’étendue du problème, il suffit de jeter un oeil à l’annuaire en ligne des hôpitaux français, Hôpital.fr. Dans la section commentaires, même les plus grandes cliniques en prennent pour leurs grades. “Restauration dégueulasse” ou encore “je n’ai rien mangé du début à la fin” garnissent les pages. En moyenne, 40 à 50% des repas distribués aux patients ne sont pas consommés et finissent à la poubelle. En 2017, le Centre national de l’Alimentation s’est intéressé à ce gâchis alimentaire et a remarqué que les personnes en court séjour à l’hôpital jetaient deux fois plus que la moyenne. Moins on reste, moins on mange comme s’ils n’avaient pas le temps de s’habituer à ces charmantes barquettes.
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Derrière ces plats qui finissent bien souvent dans la benne à ordures se cachent soit des cuisines internes, soit la sous-traitance avec des plats refroidis. Les repas peuvent arriver tout prêts, cuisinés par des restaurants collectifs mais aussi en boîtes conditionnées prêtes à être réchauffées. Beaucoup de ces plats sous plastique sont préparés par la société française Sodexo, leader mondial de la restauration collective qui écoule environ 90 000 repas quotidiens. Cantines scolaires, détenus et patients ont droit aux mêmes repas. Avec ces économies d’échelle, les hôpitaux peuvent tenir leurs budgets serrés dédiés à la restauration.
Pour les trois repas de la journée on dépense, en moyenne, 3,73 euros par jour et par patient.
Car on s’en doute si on mange mal ce n’est pas la faute de la Sodexo mais du porte-monnaie. Selon le CNA, l’alimentation ne représente que 1 à 2% du budget d’un hôpital public. Concrètement, pour les trois repas de la journée l’hôpital dépense, en moyenne, 3,73 euros par jour et par patient. Et les baisses de dotation ne peuvent qu’inquiéter quant à l’avenir de ce budget déjà ridiculement faible. Même si de plus en plus d’hôpitaux produisent eux-mêmes leurs repas, il est difficile de proposer un repas plaisant lorsque Ie prix prime sur la qualité.
Alors oui, les choix de plats en sauce bon marché n’aident pas à l’appréciation générale de ces repas mais est-ce seulement le produit qui fait qu’ils termine trop souvent à la poubelle ? Certaines pratiques de fabrications très courantes altèrent considérablement le goût des aliments. Beaucoup de cuisines préparent les barquettes un jour à l’avance et les conservent par liaison froide (les denrées subissent immédiatement après leur cuisson une réfrigération rapide avant d’être stockées à basse température). Une technique qui ne réussit pas du tout à certains ingrédients comme la viande qui se retrouve sans goût.
Qui dit repas d’hôpitaux dit repas de personnes malades. Les plats sont donc adaptés à un régime souvent pauvre en sucre, en sel et en gras ce qui explique l’ajout régulier de sauce pour rehausser le goût. Les menus respectent un équilibre alimentaire et les grammages et variétés d’aliments sont eux définis par les directives du ministère de la Santé et du ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Mais ces directives ne rendent pas la nourriture infecte puisque des repas bien meilleurs sont distribués dans le privé.
La comparaison avec les hôpitaux privés ou encore les cliniques à l’étranger comme les Japonaises qui servent des plats dignes de restaurants reste difficile à faire. « Dans le privé, on voit un effort fait sur la question alimentaire car la qualité de l’accueil, des chambres et de la restauration est une manière de se différencier par rapport au public. Sauf que l’on se retrouve parfois avec des offres différentes qui sont facturées à différents prix pour le patient et qui ne sont pas toujours prises en charge par les mutuelles » affirme Clémentine Hugol-Gential, coordinatrice du projet ALIMS (Alimentation et Lutte contre les Inégalités en Milieu de Santé). Ceux qui ont les moyens peuvent se permettre de payer des plateaux repas de qualité alors que cela devrait être la norme et non un surcoût pour le patient. Ce qui prime dans votre barquette à l’hôpital n’est pas la qualité mais son prix.
Le statut nutritionnel du patient se dégrade souvent lors de son hospitalisation à force de ne pas manger.
Pour augmenter le budget, il faudrait peut-être prouver un jour que l’alimentation peut aider les patients à aller mieux. Aujourd’hui, c’est presque le contraire. Vous sortez de l’hôpital certes (normalement) soigné mais en état de dénutrition. 20 à 40% des patients arrivent déjà dénutris selon une grande étude d’ALIMS et une des Hospices civils de Lyon et l’hospitalisation empire leur cas. Le statut nutritionnel du patient se dégrade souvent lors de son hospitalisation à force de ne pas manger. Chez les plus âgés, cela entraîne une perte de muscle et des difficultés à se mouvoir. « La dénutrition a un effet délétère sur la plupart des pathologies, c’est une conséquence de comorbidité trop souvent négligée » nous raconte Clémentine Hugol-Gential.
Le collectif de lutte contre la dénutrition a aussi étudié les apports caloriques journaliers des repas. Les menus sont généralement faits par des diététiciens sauf que l’apport calorique est suffisant. Il est à 1700 à l’hôpital (alors qu’il est entre 1800 et 2100 conseillé par jour) et encore faut-il que le repas soit consommé. En 2018, le Conseil National de l’Alimentation a rendu ses observations et conseils au gouvernement concernant la nourriture distribuée en hôpitaux. Louis Bresson, pédiatre-nutritionniste à l’hôpital Necker (AP-HP) de Paris fait partie du groupe de travail et alerte sur les conséquences directes de ces repas jetés à la poubelle : « Le statut nutritionnel des patients se détériore de façon significative lors des séjours. Indépendamment de leur pathologie, les patients maigrissent et des situations qualifiées de dénutrition apparaissent »
Il ne s’agit pas uniquement de santé ou de gaspillage alimentaire. Le repas est un acte de socialisation complètement oublié dans les soins. Manger c’est aussi partager la table. À l’hôpital, c’est à peine si on a une table. Certains malades ne supportent plus de manger seuls mais rien n’est fait pour ceux qui ont les capacités de se lever et qui pourraient manger à plusieurs. Par manque de moyen et de temps, les patients sont laissés au lit avec un plateau repas. Le plaisir d’un repas joue beaucoup dans le respect d’habitudes alimentaires, que cela passe par l’heure, le partage ou tout simplement l’installation à table. Lorsqu’il arrive en soin, le patient donne ses aversions alimentaires et est ensuite uniquement représenté par sa pathologie. Il n’a pas le choix de ses repas ou l’heure à laquelle il va les manger.
Les avis négatifs sur la nourriture en hôpital ne font qu’empirer au lieu de s’améliorer. Dans la dernière enquête de satisfaction menée début 2019, dans 18 établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) (où 62 000 repas sont servis chaque jour), les patients ont noté 50/100 les repas servis. C’est quatre points de moins que l’année précédente. La qualité des plats ne peut pas être améliorée faute de budget mais d’autres petits détails pourraient bien changer la donne.
« On peut penser que cela coûte de l’argent car cela mobilise du temps que d’aller au lit du patient pour présenter le menu et demander si cela convient ou non mais si l’on met cela en regard de la diminution du gaspillage, cela fait gagner de l’argent. »
Entre 2015 et 2019, le projet ALIMS (Alimentation et Lutte contre les Inégalités en Milieu de Santé) a étudié l’impact du choix du repas sur le patient. Un groupe qui pouvait choisir son repas sur un menu avec plusieurs propositions a été comparé à un groupe avec un repas imposé. L’expérimentation a montré que le patient a une meilleure représentation de ce qu’il mange quand il a le choix. Quand il sait ce qu’il va manger, le malade trouve les plats plus savoureux et goûteux malgré le fait qu’ils étaient préparés dans la même cuisine centrale. Lors de ce test, il y a eu 20% de gaspillage en moins lorsque les patients avaient le choix. « On peut penser que cela coûte de l’argent car cela mobilise du temps que d’aller au lit du patient pour présenter le menu et demander si cela convient ou non mais si l’on met cela en regard de la diminution du gaspillage, cela fait gagner de l’argent. Sans compter que cela va du coup aussi avoir un impact sur le moral et sur le statut nutritionnel du patient » déclare Clémentine Hugol-Gential.
Actuellement, les repas sont très peu personnalisés. Un patient qui mange halal se verra proposer du poisson à la place et il aura quasiment toujours le même poisson. La prise en compte des spécificités alimentaires est encore chancelante. Proposer un peu plus de choix de plats mais aussi servir dans une vraie assiette et non une barquette plastique peut faire la différence pour des patients qui ont souvent déjà peu d’appétit face à la maladie. Comme quoi, le problème ne vient pas que de la crème aux champignons qui baigne dans le plat…
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