La vague de chaleur historique qui a frappé les États-Unis début juillet a vu certaines parties du Nord-Ouest battre des records de température. Et les autorités se sont préparées à des risques d’incendies de forêt. On attribue désormais à ces températures extrêmes des centaines de décès dans la région.
La chaleur peut donner un sentiment d’apocalypse, et les scientifiques étudient de plus en plus les conditions de chaleur et d’humidité à partir desquelles certaines personnes meurent de manière soudaine, un phénomène de plus en plus courant en raison des conditions météorologiques extrêmes dues au changement climatique. Ce phénomène a été remarquablement illustré par une étude publiée l’année dernière dans Sciences Advances, sous le titre alarmant « L’apparition de conditions de chaleur et d’humidité trop extrêmes pour l’être humain ».
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À l’origine, selon les modèles climatiques, de telles conditions n’étaient pas attendues avant la deuxième moitié du 21e siècle. Mais, voilà, nous sommes en avance sur le calendrier. Pour cette étude, Radley Horton, chercheur à l’Observatoire de la Terre Lamont-Doherty de l’Université de Columbia, et ses co-auteurs ont examiné les données recueillies par des stations météorologiques du monde entier, entre 1979 et 2017. Et ils ont trouvé plus de 7000 cas de conditions de « wet bulb » qui peuvent entraîner la mort chez un être humain. La température au thermomètre-globe mouillé, « wet bulb » en anglaise, est le moment où l’humidité et la chaleur atteignent un point où l’évaporation due à la sueur ne suffit plus à refroidir le corps d’une personne. La plupart de ces situations de « wet bulb » étaient concentrées dans le Sud de l’Asie, sur le littoral du Moyen-Orient et dans le Sud-Ouest de l’Amérique du Nord (des zones indiquées en rouge et en orange sur la carte ci-dessous créée par Horton et ses collègues).
Ces conditions ne sont pas si difficiles à imaginer. Selon l’étude, les conditions du « wet bulb » sont réunies lorsque l’humidité relative est supérieure à 95 % et que les températures sont d’au moins 31°C. D’après l’étude d’Horton, le corps humain est totalement incapable de résister à ces conditions dès que les températures atteignent les 35°C. Dans cette situation, même des personnes en bonne santé peuvent mourir. « Et ce, même en parfaite santé, même assis à l’ombre, même avec des vêtements censés faciliter la transpiration, même avec une quantité d’eau infinie, dit Horton. S’il y assez d’humidité dans l’air, il est thermodynamiquement impossible d’empêcher le corps de surchauffer. »
L’étude de Horton est soutenue par la Direction nationale de l’Océan et de l’Atmosphère (NOAA), ce qui signifie que le gouvernement américain étudie activement les conditions météorologiques à partir desquelles des êtres humains, même en bonne santé, meurent spontanément : « Dans certains endroits, des combinaisons de chaleur et d’humidité extrêmes ont déjà été relevées qui vont au-delà des limites du supportable pour les humains », indiquait la NOAA dans un communiqué de presse. La NOAA soutient également quelques projets qui étudient de manière plus poussée les conditions du « wet bulb ».
Transpirer est une fonction primordiale pour faire face aux chaudes journées. Une fois à la surface de la peau, les gouttelettes de sueur peuvent devenir suffisamment chaudes pour se transformer en gaz et se dissoudre, éliminant ainsi la chaleur et maintenant le corps à une température acceptable.
Le problème, c’est que la capacité de l’atmosphère à absorber l’humidité est limitée ; l’eau ne peut passer à l’état gazeux que si l’air qui entoure le corps est suffisamment sec pour accepter cette eau. Dans des conditions excessivement humides, la sueur aura plus de difficultés à s’évaporer dans l’atmosphère que dans des conditions sèches, explique Horton. C’est pour cette raison qu’une chaleur sèche, comme celle du désert, est généralement plus supportable qu’une chaleur humide.
« Nous avons besoin d’un différentiel entre le corps humain et l’environnement, et si l’air retient déjà toute l’humidité qu’il peut emmagasiner, vous n’avez pas cette possibilité, poursuit Horton. Votre corps n’est pas en mesure de perdre cette humidité en la faisant passer dans l’atmosphère. »
Ainsi, lors des journées humides, l’eau que notre corps émet reste là, de plus en plus chaude, sans jamais s’évaporer sous forme de gaz. (Pensez à ce qui se passe dans un hammam, lorsque votre corps accumule la sueur au lieu de l’éliminer, jusqu’à ce que la chaleur devienne trop accablante et que vous soyez obligé de sortir.)
De plus en plus de régions du monde se rapprochent de ce point : le Sud-Est des Etats-Unis, le golfe du Mexique et le Nord de l’Australie, tous indiqués en vert sur la carte, connaissent des températures maximales quotidiennes plus élevées et relevant du « wet bulb ».
Horton pense qu’à court terme, la réduction de l’exposition à la température du « wet bulb » sera une question d’adaptation comportementale – il suffira d’éviter ces conditions en prenant un répit, grâce à la climatisation par exemple. Mais comme les fortes chaleurs touchent tout le pays et que les réseaux énergétiques du Texas, de New York et d’ailleurs montrent des signes de faiblesse sous la pression d’une utilisation trop extrême, la fiabilité des climatiseurs devient de plus en plus incertaine.
Horton indique que l’accès à la climatisation n’est pas non plus garanti. Il souligne notamment que les travailleurs migrants et du monde agricole, ainsi que ceux qui vivent dans la pauvreté énergétique, auront plus de mal à trouver des intérieurs rafraîchissants pour résister à ces conditions.
Matthew Lewis, directeur des communications du groupe de défense du logement California YIMBY, a indiqué dans un récent fil Twitter que les températures du « wet bulb » pourraient rapidement devenir un facteur à prendre en considération au niveau des migrations climatiques.
« De nombreux endroits dans lesquels des gens vivent actuellement sont en passe d’être fonctionnellement inhabitables par l’être humain, dit-il. Et ces gens devront se déplacer. »
Lewis exhorte les États et les municipalités à se préparer à cette éventualité : « Installez les NIMBY dans vos administrations. Combattez les partisans de l’automobile qui continuent de nier la réalité de tous ces changements », a-t-il écrit.
Il invite également les bulletins météo à inclure les indices de « wet bulb » dans une optique de « service public », comme certains le font déjà pour la qualité de l’air et l’humidité. Selon Horton, les mesures de l’indice d’humidité sont ce qui se rapproche le plus de ce principe dans de nombreuses prévisions, mais les unités ne sont pas normalisées entre les stations météorologiques, ce qui peut prêter à confusion.
« Le fait même qu’il n’y ait pas une seule norme commune à tout le monde, et que la plupart des gens ne puissent pas expliquer exactement ce que cela signifie indique que nous pourrions faire plus », dit-il.
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