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Pourquoi l’art créé par les intelligences artificielles est tellement nul

Un collage d'un vieil ordinateur peignant un vilain tableau sur un chevalet avec une palette de peintre - sur un fond bleu dégradé.

Quand l’IA est apparue pour la première fois comme étant du domaine du possible à la fin des années 1950, tout le monde s’est empressé d’imaginer un futur fait de voitures volantes ou de robots qui sauveraient le monde. On est en 2023 et, malheureusement, au lieu de résoudre les grands problèmes de notre époque (comme le changement climatique, par exemple), on se retrouve à scroller sur des « selfies d’IA ». Certes, Siri et Alexa nous facilitent la vie au quotidien, mais le dernier buzz en date autour de l’art créé par IA existe malgré son manque flagrant d’utilité. Pire encore, cet art semble vraiment n’avoir aucune âme. Alors pourquoi l’art créé par les intelligences artificielles est-il tellement nul ?

Depuis le lancement d’outils de génération d’images tels que DALL-E 2, Stable Diffusion et Midjourney, l’internet a fait ce qu’il fait le mieux : les tourner en machines à mèmes. Ces outils ont également lancé des débats plus larges sur ce qui constitue de l’art et sur le plagiat. OpenAI est en effet formé à partir d’images d’œuvres d’art protégées par des droits d’auteur. Si le magazine Cosmo a publié l’année dernière la première couverture (franchement pas mémorable) générée par l’IA, ces créations n’ont pas encore donné de résultats convaincants. Jusqu’ici, la seule chose qu’elles ont vraiment réussi à faire, c’est énerver les gens : le logiciel de Lensa a été critiqué pour l’hypersexualisation des portraits de ses utilisateurs et l’artiste Jason Allen a essuyé un tollé pour avoir remporté le prix d’art numérique de la Colorado State Fair avec une œuvre générée par l’IA.

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Pour Allen, utiliser cette technologie revient à canaliser une « force d’un autre monde », voire un démon. Et quand on regarde les oeuvres d’IA qui ont généralement l’air tout droit sorti d’un film d’horreur, il tient peut-être quelque chose. Pour Lolita Cros, conservatrice et consultante en art basée à New York, l’art créé par l’IA n’est pas près de disparaître. « L’impressionnisme est le produit d’un tube de peinture et l’art numérique est le produit d’ordinateurs », dit-elle. « Non seulement l’art sera à jamais influencé par le support, mais le support lui-même peut créer un mouvement artistique entièrement nouveau. » Cros prédit que l’IA deviendra à terme un outil incontournable.

Si Cros est convaincue que cette forme d’art n’est pas près de disparaître, elle n’a encore rien vu de vraiment « convaincant ». « Je pense que c’est parce que nous n’en sommes qu’aux débuts », dit-elle. « Quand cet outil sera mieux maîtrisé, je suis sûre que des œuvres d’art intéressantes en sortiront. » Cros compare notre obsession actuelle pour les selfies d’IA avec des tableaux comme Le portrait de Cosimo I de Médicis de l’artiste connu sous le nom de Bronzino. « Les portraits sur commande sont généralement de mauvais goût, et je n’ai pas encore rencontré d’artiste qui aime les faire », dit-elle. « Les gens ne commandent pas de portraits pour immortaliser leur mauvaise mine. S’ils le font, c’est généralement pour paraître plus sexy, plus forts, plus grands. Si Bronzino avait peint la famille Médicis avec des épinards entre les dents, je ne pense pas qu’il aurait fait une longue carrière. »

On peut donc se demander si l’art créé par l’IA est aussi nul parce que nous sommes comme ces clients exigeants peu imaginatifs. Ce manque de caractère qu’on remarque dans l’art d’IA actuellement est aussi la faute des personnes derrière les algorithmes. « Je pense que ce qui fait la qualité de l’art, ce n’est pas le fait qu’un humain en soit l’auteur, mais plutôt l’idée qui l’a fait naître », explique Cros. « Si des algorithmes peuvent être créés par un humain avec de bonnes idées, alors j’ai hâte de voir les œuvres qu’ils produiront. Le problème, c’est que les humains qui créent ces algorithmes n’y connaissent souvent rien à l’art. »

Selon Paul Hill, fondateur de la galerie Gen Z Strada, si l’on trouve actuellement autant d’œuvres d’IA pourries, c’est parce qu’il y a toujours eu une énorme quantité d’œuvres physiques tout aussi terribles. En d’autres termes : que vous donniez un pinceau à une personne ou à un service de génération d’images, la plupart des résultats n’auront pas leur place dans une galerie. Hill préfère considérer ces outils comme une « ressource interne ». « Le principal avantage de ces outils est qu’ils permettent d’étoffer les idées et les variations avant de se pencher pleinement sur quelque chose », explique-t-il. « Je crois que retirer l’humain du processus de création, et se reposer uniquement sur une machine, retire tout son art à cette création. »

Pour Hill, les outils de génération d’images par l’IA sont un bon moyen de « réduire le temps perdu par les humains impliqués », et non un moyen de supprimer complètement l’humain du processus artistique. C’est une approche qui pourrait éventuellement nous sauver de la médiocrité que nous inflige actuellement la technologie « de pointe ». Après tout, ce sont souvent les histoires derrière l’art, ou l’artiste, qui attirent les foules en dehors des galeries et des musées. Pensez à l’histoire séduisante de « l’artiste torturé » que l’on retrouve autour de Vincent van Gogh et de sa fameuse oreille, ou aux débuts de Banksy, un artiste de rue anonyme et mystérieux.

Tout au long de l’histoire, il a été prouvé à maintes reprises que l’art gagne en popularité (et en rentabilité) avec le bon storytelling. Si l’art créé par IA est si nul aujourd’hui, c’est parce qu’il n’est pas utilisé comme un outil pour mettre en valeur un message, mais comme le message lui-même. Soyons honnêtes, une bande de gars de la tech qui codent un logiciel que les internautes ont transformé en usine à mèmes, ce n’est pas folichon comme histoire. Il en va de même pour la montée en puissance des marques qui se servent de l’art numérique comme un moyen original de vendre des produits. Dans cette optique, l’art généré par l’IA ne deviendra un outil artistique innovant que lorsqu’il sera réellement utilisé pour l’innovation artistique. En attendant, on reste des enfants qui font des dessins à accrocher sur le frigo (aka Instagram).

Il va peut-être falloir se rendre à l’évidence : si l’art créé par l’IA est nul actuellement, c’est un peu de notre faute. On ne vaut pas mieux que les personnes peu imaginatives et égocentriques des livres d’histoire qui commandaient de vilains portraits. Il y a peut-être une leçon à tirer de cette première phase de l’art créé par l’IA, à savoir que ce n’est pas parce que la technologie rend quelque chose possible qu’il faut le faire. Comme le dit Hill, « il y a si peu de bonnes œuvres d’art numériques parce qu’il y a peu de bonnes œuvres d’art tout court ». Il existe des montagnes d’œuvres d’art physique pourries dans le monde, alors il faut nous résigner pour l’instant et voir passer des montagnes d’œuvres numériques tout aussi nulles.

@lauraepitcher

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