Cet article a d’abord été publié sur VICE UK.
Joe est un hétéro dans la vingtaine. Comme beaucoup de gars, il dénigre passionnément l’astrologie.
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« Ça enlève aux gens leur unicité et les réduit à des ensembles de caractéristiques catalogués, m’a-t-il dit. Je n’aime pas jouer le un tyran de la logique qui te dit : “Les faits se fichent de tes sentiments, compadre!” Par contre, je trouve ça franchement irritant, et les mèmes sont tous vraiment pénibles, et je déteste l’autoglorification du genre : “C’est la saison des [son signe du zodiaque], bitches!” »
Il fait référence à ceux et celles qui annoncent dans les médias sociaux que l’on entre dans la période de leur signe astrologique. Jusqu’au 22 novembre, par exemple, c’est la saison du Scorpion, bitches.
Je lui ai demandé : « Tu es un Taureau, non? », sachant très bien qu’il en est un. Il m’a répondu : « Tu vas me dire que mon comportement est typique des Taureaux? » Je lui ai dit que les Taureaux sont souvent les moins susceptibles de croire à l’astrologie.
Au cours des deux ou trois dernières années, l’astrologie est passée d’un intérêt de niche à une passion pour beaucoup de femmes et de queers. Sur Broadly, qui est destiné aux femmes et à la communauté LGBTQ, les articles sur l’astrologie et l’horoscope sont extrêmement populaires. Sur d’autres plateformes médiatiques destinées aux femmes, l’astrologie, qui ne servait auparavant qu’à boucher des trous, est passée au premier plan. Au Royaume-Uni, les recherches de birth chart (« thème astrologique ») sur Google ont doublé entre novembre 2013 et novembre 2018. Depuis septembre 2017, le nombre de personnes à la recherche d’une « compatibilité astrologique » est en augmentation constante. Cet intérêt a été profitable pour les maisons d’édition : les ventes de livres sur le corps et l’esprit ont explosé, augmentant de 13 % en un an seulement, de 2016 à 2017.
En 2016, la psychologie était le thème le plus récurrent des mèmes. Maintenant, ce sont les mèmes sur l’astrologie qui sont omniprésents. Dans les applications de rencontres, on trouve sans mal des femmes qui ont donné leur signe du zodiaque en émoji dans leur profil, comme s’il s’agissait d’un résumé de sa personnalité, ses goûts et une indication de compatibilité.
Mais tout le monde n’a pas emboîté le pas. Joe n’est pas le seul chez qui le boom de l’astrologie a suscité de l’aversion : les gars hétéros soit se fichent éperdument de l’astrologie, soit la dénigre entièrement. Selon un sondage Gallup mené au Royaume-Uni en 2005, les femmes britanniques qui croient en l’astrologie sont deux fois plus nombreuses que les hommes (30 % contre 14 % parmi 1010 répondants). Et selon une enquête menée en 2017 par le Pew Research Center aux États-Unis, 20 % des hommes adultes croient en l’astrologie, contre 37 % des femmes.
Si vous êtes un hétéro et qu’il y a beaucoup de filles dans votre entourage, vous tolérez peut-être l’astrologie. (« C’est au point où je partage les mèmes de Vierge dans les conversations de groupe, mais je n’aime toujours pas ça », m’a dit Adam Snape.) Sinon, vous pensez probablement que ce ne sont que des conneries. (« Si une fille tente de me parler de ces conneries, je vais me dire que c’est une bimbo stupide », m’a dit Tom, 25 ans.) Il y a évidemment des femmes et des personnes LGBTQ qui sont du même avis, mais pourquoi est-il si répandu chez les hétéros en particulier? Est-ce que c’est parce que l’astrologie est généralement vue comme un « intérêt féminin »?
Quelques gars à qui j’ai parlé m’ont dit que leur père, lisant l’horoscope dans le journal et réalisant que n’importe lequel des vagues résumés pouvait s’appliquer à eux, avait décidé de ne plus jamais accorder d’attention à l’astrologie. « Ç’a été la première fois que je me rendais compte que quelque chose d’aussi bien ancré dans notre culture était certainement de la bullshit, et ç’a été marquant », m’a dit Sam Hill, 27 ans.
La plupart ont admis avoir rejeté l’astrologie parce qu’elle est genrée. « Quand j’étais petit, des femmes prenaient le thé chez ma mère, où l’horoscope du Mail et du Sun était lu à haute voix avec différents degrés de mystère et de rire dans la voix », m’a dit Bob, 36 ans. « De nos jours, les horoscopes sont près de la section pour les femmes dans les journaux ou dans des magazines destinés aux femmes comme Woman’s Own ou Take a Break. Je ne me souviens pas qu’il y en ait eu dans Esquire ou Loaded quand je les lisais dans le temps. »
Son opinion sur l’astrologie? « Gaspillage de temps. Gaspillage d’énergie. Gaspillage de papier. C’est une loterie pour personnes seules. »
Sam pense aussi que l’astrologie a toujours été genrée, et que la réaction masculine — qui est de l’ignorer — est logique. « C’est difficile à expliquer, mais si, par exemple, une fille à l’école aime un livre, les garçons ne vont pas l’aimer pour ne pas se faire traiter de gais, alors ce livre devient un livre de fille, m’a-t-il dit. C’est la même chose avec l’horoscope. Je pense que les femmes y sont attirées par curiosité et spiritualité, ce que les garçons apprennent à rejeter dès le début de l’enfance. »
Sans surprise, les rencontres amoureuses ont causé une tension. À mesure que la passion des filles pour l’astrologie s’accroît, le nombre d’hétéros qui y sont confrontés augmente. La plupart des gars à qui j’ai parlé m’ont raconté que des rencontres avaient été ruinées par des conversations sur l’astrologie ou que leurs anciennes copines étaient « trop obsédées » par les astres.
« Après qu’on a fait connaissance, il est devenu évident que son côté spirituel était très fort : à part le piercing à la narine et une année sabbatique passée en Inde, c’était une membre en règle du club d’astrologie, avec un peu de tarot et d’avertissements comme “méfie-toi du karma” en plus, m’a dit Laurie, 29 ans. Au début, ça m’a plu : en tant que gars en panne sèche de spiritualité, c’était bien d’avoir des repères pour m’orienter dans la vie. J’ai présenté ma copine à mes parents, et, à mon avis, la rencontre se passait bien, jusqu’à ce que mon père lui rie au nez parce qu’après lui avoir demandé son signe du zodiaque, elle lui avait dit que les Cancers avaient typiquement du mal à apprécier la musique. »
Le retour en métro a été « froid ». Sa copine était fâchée que le père de Laurie avait fait preuve de peu de patience à l’égard de ses convictions. Le couple a ensuite eu une violente dispute sur l’astrologie, et « elle s’est mise à lire des cartes pour voir si ma prise de décision et mon jugement étaient affectés négativement par Mercure, ou une connerie de ce genre ». Laurie a fini par rompre avec elle par message texte.
Kevin m’a dit que son ex a utilisé son thème astrologique pour justifier des comportements inadéquats ou sa mauvaise humeur, tandis que Paul m’a raconté qu’une fille avec laquelle il avait couché avait jeté un œil sur son thème astrologique et était ensuite allée très vite en affaires en raison de leur supposée compatibilité, « mais elle a laissé de côté tout ce qui laissait entendre que j’étais une personne difficile (je le suis) et qu’on n’était pas destinés à être ensemble (on ne l’était pas) ».
Adam, 26 ans, fréquentait une fille dont l’intérêt pour l’astrologie est devenu une porte ouverte vers toutes sortes de trucs nouvel âge, comme le tarot et la lecture des lignes de la main. « Ça a pris une place vraiment importante dans notre relation, c’était un cas de “non, ce n’est pas pour moi, merci”, m’a-t-il dit. C’est passé d’un intérêt à sa personnalité entière. »
Est-ce qu’Adam sortirait avec une autre passionnée d’astrologie? « Si c’est un intérêt mineur dans sa vie, ça ne me dérange pas. Mais si c’est majeur, non. »
Chez les astrologues, on a aussi remarqué la perception de l’astrologie qu’ont les gars hétéros. Jessica Lanyadoo, de Ghost of a Podcast, m’a dit : « Je connais beaucoup d’astrologues hétérosexuels, mais pas autant d’amateurs d’astrologie hétérosexuels. » L’astrologue Randon Rosenbohm m’a dit sensiblement la même chose : « C’est pour les filles et les gais. »
« L’astrologie est un moyen naturel et intuitif de voir les choses, et les femmes sont plus en phase avec la nature, a poursuivi Randon. Les hommes, cependant, sont des bâtisseurs qui travaillent avec le monde matériel. À moins que vous ne leur donniez la preuve incontestable que l’astrologie dit vrai, ils sont moins susceptibles d’y voir de l’intérêt. »
En d’autres mots, Randon pense que les hommes seraient plus susceptibles de rejeter l’astrologie, tandis que les femmes ressentiraient quelque chose. Une vaste étude publiée ce mois-ci a révélé que les femmes étaient plus empathiques et les hommes plus analytiques, et il y a des preuves montrant que les femmes examinent les sentiments perturbants alors que les hommes cherchent une solution. Mais la biologie sexospécifique est un domaine très controversé : tous les hommes ne sont pas des bâtisseurs, pas plus qu’une personne possédant un utérus n’est tenue de communier avec la nature.
Avec ou sans cette supposée « intuition naturelle », ce sont quand même sans aucun doute les femmes qui font vivre les industries de la croissance personnelle et des soins thérapeutiques. Et souvent, l’astrologie et la croissance personnelle ne sont pas loin l’une de l’autre : la première étant un moyen de la seconde. La première moitié de Ghost Of A Podcast, d’ailleurs, est consacrée à la croissance personnelle, et la seconde aux prévisions pour la semaine qui suit basées sur l’astrologie.
« L’astrologie n’évite pas les symboles qui explorent nos faiblesses et nos “sentiments faibles”, comme le deuil, les traumatismes, la peine, le déni, les perceptions erronées, la projection, l’autosabotage, la victimisation, m’a expliqué l’astrologue Danny Larkin. C’est le contraire de ce que les hétéros sont constamment encouragés à faire dans leur vie : se montrer fort plutôt que de s’ouvrir. On a tendance à davantage croire que les femmes et les queers n’ont souvent pas le gros bout du bâton dans de nombreuses situations, alors il leur est plus facile de se reconnaître dans ces thèmes difficiles qu’explore l’astrologie. »
Comprendre votre personnalité et celle des autres, essayer de prédire l’avenir, c’est somme toute une tentative de prendre le contrôle quand nous ne l’avons pas. Les femmes et les queers sont attirées par l’astrologie, car elles y trouvent une communauté et un refuge sur lesquels elles peuvent compter à une époque où la religion a perdu de son importance. Dans un patriarcat hétérosexuel, les hommes hétéros et cisgenres ont moins de raisons de chercher refuge. C’est dans les épisodes de grand stress que les gens se tournent vers l’astrologie. Dans une étude menée en 1982, le psychologue Graham Tyson a constaté que les personnes qui consultent des astrologues le faisaient en réponse à des facteurs de stress : « Dans des conditions de stress élevé, une personne sera prête à recourir à l’astrologie dans sa stratégie d’adaptation, même si, dans des conditions de stress réduit, cette même personne n’y croira pas. »
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Personnellement, le vague intérêt que j’avais pour l’astrologie depuis l’enfance s’est consolidé une fois que j’ai créé mon thème astrologique et constaté qu’il était étrangement exact. Dès que des échéances conflictuelles entraînent une hausse de mon stress, et si je n’ai pas bien pris soin de moi, je sais que je consulte davantage les applications et les podcasts d’astrologie. Mais sans cette incursion initiale, je n’aurais jamais exploré le terrier du lapin. C’est une question de personnalité et de point d’entrée.
J’ai demandé à Joe si je pouvais faire son thème astrologique, et il a accepté, alors je suis allée sur Cafe Astrology et je l’ai fait. On a des points en commun : entêté, stoïque, on aime le plaisir et les arts, on a facilement l’ego froissé si l’on n’est pas entendus.
C’est, dit-il, plutôt exact, mais il n’ira pas jusqu’à exprimer de l’enthousiasme parce que l’astrologie a dit vrai.
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