Pourquoi les jeunes Français ne trouvent pas de job

Après cinq ans d’un quinquennat dont la jeunesse devait être la « priorité », le constat est cruel pour François Hollande. Et pour cause, d’après les chiffres publiés en décembre 2016 par Eurostat, le taux chômage des Français actifs de moins de 25 ans atteint 25,8 % – soit 7 % de plus que la moyenne européenne (18,4 %).

Quoique la situation reste moins dramatique qu’en Grèce ou en Espagne, culminant respectivement à 46,5 % et 43,6 % de chômage chez les jeunes, ces statistiques sont tout de même bien pires qu’en Allemagne (6,9 %). Si cette éternelle comparaison avec le voisin de l’est doit être relativisée par des contextes et des droits du travail nationaux différents, le constat n’en est pas plus reluisant. D’autant plus que d’après les chiffres de l’Insee, le taux de chômage global en France métropolitaine est actuellement contenu à 9,7 %, révélant en creux à quel point la jeunesse de France est maintenue à l’écart du marché de l’emploi.

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À cela, s’ajoute une rhétorique selon laquelle cette dernière serait désormais classable en « générations » X, Y, Z et autres, dont les noms sont aussi vides de sens que le contenu sociologique qui y est associé. Si de l’avis de pas mal de gens, son niveau de pertinence n’est pas beaucoup plus élevé que celui d’une segmentation marketing, sa récurrence finit par ancrer dans les esprits qu’être né il y a moins de 30 ans vous rend inemployable – car rebelle, refusant l’autorité et ne faisant preuve d’aucune sorte de fidélité envers votre entreprise. Et bien pire encore, si vous êtes né après 1995.

Si ce portrait n’est pas négatif du point de vue de tout le monde, il se pourrait toutefois qu’il effraie les dirigeants actuels des entreprises qui, eux, s’épanouiraient dans le travail et les défis. Cela peut-il suffire à expliquer que près de 26 % des jeunes Français ne trouvent pas de job ? Pas sûr.

C’est pourquoi j’ai demandé à des professeurs et économistes – de gauche, de droite et d’extrême droite – qui travaillent sur le sujet, de m’expliquer plus en profondeur ce phénomène national.

Gabriel Colletis, professeur d’économie à l’Université Toulouse 1-Capitole, conseiller économique du parti de gauche grecque Syriza, gauche libérale

« Pour comprendre le chômage des jeunes, il faut d’abord évoquer le chômage de manière générale. Ce dernier est principalement la conséquence de deux phénomènes distincts, à commencer par une croissance économique trop faible. Il est très clair que l’économie française ne peut créer d’emplois avec une activité aussi faible que celle qui est la sienne depuis plus de 30 ans.

Le second facteur est démographique – et nous mène directement au chômage des jeunes. En effet, il y a aujourd’hui bien plus de jeunes qui tentent d’entrer sur le marché de l’emploi que de départs de celui-ci. Et c’est d’autant plus vrai qu’on a rallongé la période d’activité des Français. Plus les gens travaillent longtemps, moins il y a de places disponibles pour les jeunes.

En France, la démographie est particulièrement problématique du point de vue du chômage des jeunes car elle est très dynamique, avec plus de deux enfants par femme. Mais si cela encourage le phénomène, ça n’explique pas tout : l’Allemagne et la Grèce ont toutes deux des démographies faibles et enregistrent des taux de chômage des jeunes très différents.

Enfin, une partie de l’explication relève de raisons assez diversifiées comme la place de l’apprentissage dans la société française. Si les jeunes Allemands ne sont pas au chômage, c’est parce qu’ils sont nombreux à être apprentis. Tandis qu’en France, seuls les jeunes en échec scolaire partent vers des formations techniques, qui ne sont pas des filières très valorisées.

Je terminerais en disant qu’on peut aussi regarder la question du côté des jeunes. Sont-ils véritablement prêts à accepter le monde du travail dans sa forme actuelle ? Je crois que non. Et pour cause : ce qu’on leur propose, ce sont des emplois extrêmement précaires et souvent peu intéressants par rapport à leur niveau de formation. Cela peut pousser beaucoup d’entre eux à retarder leur entrée sur le marché de l’emploi plutôt que d’accepter ce genre de travail. »

Heureux comme un jeune qui trouve un job. Photo : ITU Pictures, via Flickr CC.

Thomas Coutrot, économiste membre du conseil scientifique d’ATTAC, extrême gauche antilibérale

« D’abord, c’est évidemment lié au taux de chômage en général, très haut en France. Vient ensuite, le fait qu’en France on a privilégié le prolongement de la durée de travail des seniors à travers des réformes des retraites, ce qui pousse les travailleurs vieillissants à rester plus longtemps en emploi. De ce fait, on a sacrifié les jeunes générations. Le taux d’emploi des seniors a donc augmenté depuis dix ans, au détriment de celui des moins de 25 ans.

Plus largement, il existe un chômage de masse en Europe, lié à la structure même de notre économie, puisqu’elle fonctionne avec un système dans lequel il est absolument nécessaire d’avoir un taux de rentabilité des investissements extrêmement élevé, fixés par les marchés financiers, d’environ 15 % par an. Ce qui est énorme, en comparaison des précédents historiques.

Comme cet objectif est difficile à atteindre, il y a naturellement une restriction de l’investissement qui pèse sur l’économie et donc, provoque du chômage. Cette financiarisation de l’économie, ce transfert de richesses des salariés vers les actionnaires et les détenteurs de capitaux est la principale cause de notre économie languissante du point de vue de l’investissement et de l’emploi.

Les grandes entreprises ont besoin d’une masse salariale qualifiée et stable – elles ne peuvent s’en passer. Ce qui implique que la main-d’œuvre jeune demeure cantonnée à des stages, des contrats courts, des contrats précaires, etc. Cela permet d’utiliser cette main-d’œuvre dynamique et soucieuse de s’insérer à moindre coût.

À cause du déséquilibre sur le marché de l’emploi, les jeunes sont donc souvent obligés d’accepter ces conditions de travail précaires qui sont imposées comme condition à une insertion plus durable qui ne viendra que cinq ou dix ans plus tard. C’est un coût très élevé en termes de précarité pour les jeunes, qui entraîne parfois un phénomène de déclassement qui est bien documenté par de nombreuses d’études. Il se traduit par le fait que de jeunes diplômés acceptent des emplois moins qualifiés. Faute de mieux, il y a aussi un phénomène de mouvement vers l’auto-entrepreneuriat et d’autres formes de travail non-salariée ; c’est à la fois subi et voulu car ça permet de ne plus dépendre d’un patron. C’est une sorte de rébellion-soumission, mais une soumission malgré tout car on se met volontairement dans la position du travailleur autonome précaire, qui est en fait soumis aux aléas du marché et des donneurs d’ordre. C’est une libération sous fortes contraintes.

Il n’y a pas de chiffres là-dessus mais on a beaucoup d’anecdotes qui semblent montrer que c’est une pratique courante qui permet d’éviter de donner des contrats aux jeunes. »

Hervé Lambel, entrepreneur et président du Cerf (Créateurs d’emplois et de richesses de France), droite libérale

« D’abord, il y a un sujet que personne n’aborde : c’est que la France est, depuis des années, sur le podium des pays de l’OCDE dans lesquels on détruit le plus d’entreprises. Et je ne parle pas de délocalisations, mais bien de destructions. Ce qui évidemment détruit aussi de nombreux emplois. Ça, c’est la première des raisons.

Ensuite, il y a la croissance – ou son absence. Sans activité, pas d’emplois. Et pour les emplois qui restent, les entreprises sont condamnées à faire des choix difficiles. Les baby-boumeurs y occupent encore beaucoup de place et on a beaucoup de mal à faire sortir de l’emploi ceux que l’on pourrait remplacer par des jeunes. Parce qu’en ce moment, on parle clairement de remplacement, pas de créations d’emploi. Il n’y donc ni création d’activité nouvelle, ni possibilité de remplacement.

En conséquence, quand il s’agit de recruter, même si les jeunes sont plus dynamiques et moins chers que les seniors, les entreprises leur préfèrent la sécurité et quelqu’un d’opérationnel tout de suite. Ce qui s’explique par les lois sur le travail qui rendent compliqué de se séparer de quelqu’un cas de difficulté. Vous savez, en France, la moitié des chefs d’entreprise ne gagnent pas le SMIC et entre 10 % et 13 % d’entre eux ne se paient pas, contrairement à ce que les salaires des grands patrons laissent penser. C’est parce que le véritable objectif d’un chef d’entreprise est de faire tourner sa boîte. Et dans le contexte économique actuel, il choisit donc la personne qui a un historique de carrière et de l’expérience sur lesquelles s’appuyer.

Ce qui est d’autant plus dommage, c’est que ces jeunes sont formés sur des logiciels ou des machines que les anciens ne maîtrisent pas ou peinent à maîtriser. Les jeunes eux, apprennent très vite, s’adaptent. Leur arrivée apporterait donc un surplus de compétitivité aux entreprises françaises – mais pour l’instant, ils restent un risque. Parce que si on engage quelqu’un en apprentissage et que ça se passe mal, le seul moyen d’y mettre fin, c’est les Prud’hommes. Et le temps que la procédure aboutisse, le contrat est terminé ou presque. Vous imaginez le risque que ça représente pour une entreprise. Donc un jour ou l’autre, quoi qu’on en pense, il va falloir flexibiliser l’emploi et créer les conditions de la croissance pour que ce soit pertinent. »

Le monde du travail pour les 22-35 ans : chez soi, avec des ordinateurs Apple. Photo de Linh Do, via Flickr CC.

Gilbert Cette, professeur d’économie à l’Université Méditerranée Aix-Marseille II, ancien conseiller économique du candidat Hollande en 2012, libéral

« D’abord, notre système de formation est trop peu professionnalisé – cela rend très difficile l’entrée des jeunes sur le marché du travail. Qui plus est, l’apprentissage a une mauvaise image. Quant à l’alternance, qui est une forme d’apprentissage avec un autre nom, elle commence tout juste à connaître un certain succès, mais encore loin de son potentiel maximal. C’est pourtant une bonne manière de donner aux jeunes la possibilité d’avoir un pied sur le marché du travail.

On remarque ensuite le grand nombre de filières qui ont un contenu professionnel assez faible, voire inexistant, en France. Elles aboutissent à former, diplômer et diffuser un savoir à des jeunes dont l’efficacité est réduite en termes professionnels. Là encore, c’est loin de les aider à entrer sur le marché de l’emploi.

Enfin, il y a le manque de fluidité du marché du travail. Les insiders, les gens travaillant déjà au sein des entreprises, y sont très protégés. Cela amène les chefs d’entreprise à être frileux quant à leurs embauches. De plus, le faible turnover laisse encore moins de possibilités d’entrée pour les jeunes.

À cela s’ajoute que, à part les apprentis et les stagiaires, les jeunes peuvent sembler assez chers pour une expérience professionnelle assez faible. Pourtant, ce n’est pas le cas partout, au Pays-Bas par exemple, il existe un SMIC transitoirement, et j’insiste sur ce mot, un peu plus bas pour les jeunes, ce qui facilite grandement leur insertion. Sans surprise, on y constate que leur taux d’emploi est plus important. »

Lorrain de Saint Affrique, secrétaire général du Comité Jeanne et assistant parlementaire européen de Jean-Marie Le Pen, extrême droite libérale

« Je crois que c’est la perte d’espérance dans la société française qui est à l’origine de ce départ dans l’échec pour beaucoup jeunes. Sauf dans les classes sociales qui bénéficient d’un certain avantage, comme les enfants de professeurs, de tous niveaux, qui seront préparés par des précepteurs à domicile. Mais pour le reste, il y a un climat ambiant d’échec collectif qui joue un rôle majeur là-dedans – dans l’absence d’espoir, d’espérance, d’énergie et d’ardeur.

L’ouverture et la réhabilitation du travail manuel aussi sont essentielles à restaurer les possibilités pour eux. Il faut réhabiliter la condition sociale qui est liée à ce travail, et qui mérite autant de respect que l’autre. Ce climat entretenu par la société et qui consiste à dire qu’un gamin qui ne fait pas de “bonnes études” est foutu, qu’il ne suscite pas la fierté des parents, doit être changé. Tout le monde n’est pas voué à être Einstein. C’est tout ça qu’il faut changer pour que nos jeunes retrouvent l’espoir – et du travail.

Il faut développer un état d’esprit collectif, en parallèle d’une exemplarité et d’une action qui commencent au sommet de l’État. Mais ce n’est pas une mesure qui changera tout ça, c’est un ensemble. Car dans un premier temps, je ne vois qu’un réflexe national, sur la base de fierté, dans le calme, pour que tout ça rentre dans l’ordre. C’est une question d’ambiance avant d’être une question de mesures.

Cela dit, je crois qu’il y a pas mal d’espoir pour la jeunesse de France. À condition d’arrêter les frais avec Schengen, et tout le bordel européen qui va avec. »

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