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Pourquoi nous devrions construire des villes dans les nuages de Vénus

Geoffrey Landis, 59 ans, est un chercheur et auteur de science-fiction prolifique. En 2014, il a remporté le prix Robert A. Heinlein, décerné en l’honneur de l’écrivain de science-fiction ; en 1992, il a été nominé pour un Hugo, l’équivalent SF du Pulitzer, et en 2011, il a également été nominé pour un Hugo pour une nouvelle intitulée The Sultan of the Clouds. Imprégné des écrits de Heinlein et Arthur C. Clarke, « Sultan » raconte l’histoire d’un technicien nommé David Tinkerman qui vit sur Mars et qui accompagne son béguin secret, la scientifique Leah Hamakawa, dans un voyage mystérieux vers Vénus. En entrant dans l’atmosphère de la planète, Tinkerman décrit ce qu’il voit :

« À la surface de Vénus, la pression est écrasante et la température digne de l’enfer. Mais dès qu’on s’élève un peu, la pression se relâche, et la température baisse. À 50 kilomètres de la surface, à la base des nuages, la température est tropicale, et la pression similaire à celle de la Terre. Vingt kilomètres plus haut, l’air se fait rare et il fait un froid polaire.

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Entre ces deux niveaux, on trouve les dix mille villes flottantes de Vénus. »

Le premier paragraphe est rigoureusement exact. Ce n’est évidemment pas le cas du deuxième, mais Landis, qui a travaillé comme scientifique à la NASA pendant 26 ans, tente depuis plus de quinze ans d’y remédier.

Une comparaison entre la Terre et Vénus, parfois surnommée “la jumelle de la Terre” en raison de sa taille similaire. Image: NASA

La gravité sur Vénus équivaut à 90% de celle de la Terre, et il est plus facile de s’y rendre que sur Mars : cinq mois de voyage, contre neuf pour Mars.

À la NASA, l’idée d’envoyer des hommes sur Mars et sur Vénus a germé peu avant les premiers pas sur la Lune de Neil Armstrong, au cours du programme Apollo, à l’époque où l’agence spatiale était ambitieuse et disposait de fonds colossaux. Elle bénéficiait également d’un fort soutien du public, une popularité jamais égalée depuis. La NASA avait envoyé des sondes vers Vénus dès 1961, dans le cadre du programme Mariner. En ce qui concerne l’envoi d’humains sur Vénus, les ingénieurs considéraient que les trois astronautes à bord de la navette ne disposeraient que de peu de temps (entre 45 minutes et deux jours) pour mener des observations. Même avec des moteurs à réaction nucléaire (qui n’existaient qu’en théorie), cela ne suffirait pas à justifier un voyage long de 400 jours. Quant à aller sur Mars, c’était considéré comme impossible. Pour explorer ces planètes, on devrait se contenter de robots.

Landis, qui arbore une barbe et une chevelure tirant vers le roux, a rejoint la NASA vingt ans après Apollo, à la fin de l’ère Reagan, et deux ans après la tragédie de Challenger qui a mis un sérieux coup d’arrêt aux velléités d’exploration spatiale de l’humanité. Après avoir obtenu son doctorat en physique à l’université Brown, Landis a fait un post-doctorat à la NASA, avant d’être nommé à l’Ohio Aerospace Institute et d’enseigner l’astronautique au MIT.

Landis est désormais chercheur au sein de la branche Photovoltaïque et énergie de la NASA, où il a notamment travaillé avec les équipes qui ont fait atterrir les rovers Spirit et Opportunity sur Mars. Il a également inventé huit appareils photovoltaïques, développé des systèmes de propulsion laser pour les voyages interstellaires, et a collaboré à un projet visant à envoyer un sous-marin sur Titan dans le cadre du programme « Innovative Advanced Concepts » de la NASA.

Lors d’une conférence sur l’exploration spatiale à Albuquerque, en 2001, Landis a fait une présentation qui lui a valu d’intégrer le petit groupe de scientifiques qui envisagent sérieusement l’exploration et la colonisation de Vénus par l’Homme.

Landis en 2011. Image: Geoffrey Landis

Pour commencer l’exploration de la planète, ceinturée de nuages constitués de dioxyde de carbone et d’acide sulfurique, Landis a proposé d’utiliser un appareil fonctionnant à l’énergie solaire qui pourrait se promener dans son atmosphère, et même un véhicule capable de survivre au climat extrême que l’on rencontre à la surface de Vénus. Il est même allé plus loin lors d’une autre conférence en 2003, quand il a affirmé que « l’exploration de Vénus par des robots pourrait potentiellement conduire au développement d’une mission habitée visant à explorer les nuages de Vénus en aéronef », avant de conclure que « nous pourrions même envisager à terme une colonisation de l’atmosphère de Vénus. »

Ses toutes premières propositions, qui suggéraient d’explorer l’atmosphère vénusienne grâce à d’imposants ballons et des avions à énergie solaire, pouvaient sembler improbables, mais elles ont incité d’autres chercheurs de la NASA à envisager récemment cette idée. En octobre 2014, Dale Arney et Chris Jones, des chercheurs de la NASA basés à Langley, en Virginie, ont publié une étude consacrée à une idée qu’ils ont baptisée « High Altitude Venus Operational Concept » (HAVOC). Leur proposition : qu’une première mission habitée soit mise en orbite autour de Vénus pendant 30 jours, avant que l’on tente de vivre au-dessus de cette planète si peu hospitalière. La vidéo qui accompagnait leur présentation, visible ci-dessous, a été vue plus de 700.000 fois sur YouTube.

POURQUOI VÉNUS

Ces idées vont évidemment à l’encontre du sens commun, qui veut que le prochain habitat de l’humanité soit sur la surface de Mars ou dans l’espace, c’est-à-dire des endroits où l’environnement unique de la Terre peut être presque recréé pour le bénéfice des explorateurs humains. Mais Arney et Jones affirment que l’atmosphère de Vénus est « probablement ce qui se rapproche le plus de la Terre ».

Dans ses nuages, la température est comparable à celle de la Terre, et sa taille – à peu près similaire à celle de notre planète – signifie que sa gravité équivaut approximativement à 90% de celle de la Terre, ce qui serait extrêmement compliqué à simuler ailleurs. C’est ce qui vaut à Vénus son surnom : la jumelle de la Terre.

Il est aussi bien plus facile d’aller sur Vénus que sur Mars. Il faut cinq mois pour rejoindre Vénus, contre 9 mois pour Mars. Si l’on prend le chemin le plus court, les opportunités de se rendre sur Vénus se présentent tous les 1,6 ans, alors que la fenêtre optimale pour aller sur Mars ne se présente que tous les deux ans. Par ailleurs, si les deux planètes offrent de grandes quantités d’éléments nécessaires à la vie comme l’hydrogène, le carbone ou le nitrogène, seule l’atmosphère dense de Vénus protègerait efficacement les humains contre les assauts des radiations solaires. Mars n’a presque aucune atmosphère, ce qui lui vaut d’être couverte de glace et représente un danger pour de potentiels futurs colons.

Image extraite d’un article de Landis publié en 2003.

L’épaisseur et la forte teneur en CO2 de l’atmosphère de Vénus ont également transformé sa surface en véritable fournaise. En pleine journée, les températures dépassent généralement les 500°c, de quoi faire fondre du plomb. Au niveau du sol, la pression atmosphérique est 92 fois plus forte que sur Terre, équivalente aux pressions rencontrées à un kilomètre sous la surface des océans.

C’est justement cet environnement complexe et inhospitalier (et notre ignorance globale de ce qui l’a façonné) qui appelle à une exploration de la planète. L’environnement brûlant et l’atmosphère riche en carbone de Vénus offrent le meilleur exemple de réchauffement climatique extrême de tout le système solaire. Les scientifiques pensent qu’il y a à peine un milliard d’années, Vénus était nettement moins chaude, c’est-à-dire une planète déserte et hospitalière. Mais certains événements hypothétiques, comme par exemple l’arrêt de la tectonique des plaques il y a environ 700 millions d’années, pourraient avoir contribué à l’amassement de carbone dans l’atmosphère, réchauffant la planète jusqu’à l’extrême et faisant évaporer les océans qui y ont peut-être existé.

À la fin des années 1970, le climatologue de la NASA James Hansen a affirmé le CO2 combiné aux aérosols sulfatés étaient « responsables du climat actuel de Vénus. » Hansen écrivait également que cela nous renseignait sur la Terre, dans la mesure où l’industrie dégageait de plus en plus de CO2 et de sulfates, s’ajoutant ainsi aux sources d’émissions plus naturelles telles que les volcans. Hansen est devenu l’une des premières voix à se faire entendre quant aux effets du dioxyde de carbone sur notre climat.

Le pôle sud de Vénus, avec ses deux tourbillons. Image: ESA

« Vénus est un exemple parfait de l’effet des gaz à effet de serre. C’est peut-être le futur de notre planète, mais un futur très, très lointain », affirme Landis. Malgré tout, « nous apprenons beaucoup de choses sur notre propre planète en observant les autres, et nous apprendrons aussi à vivre sur Terre en vivant sur d’autres planètes. »

L’exploration de Vénus a véritablement débuté en 1961, quand l’URSS a lancé Tyazhely Spoutnik, une mission visant à envoyer une sonde vers Vénus. Mais la fusée a explosé avant même d’avoir quitté l’atmosphère terrestre. En 1962, Mariner 2 a révélé que le rayonnement thermique détecté par les télescopes venait de la surface brûlante de la planète, et non de son atmosphère. « Beaucoup de gens ont été déçus, se souvient l’un des auteurs de la découverte. Ils n’étaient pas prêts à renoncer à l’idée d’une planète “sœur”, et même peut-être à la possibilité qu’on y trouve de la vie. »

En 1966, après plusieurs nouvelles tentatives ratées de faire décoller leur programme, les Soviétiques parvinrent finalement à faire atterrir le premier objet fabriqué par l’homme sur une autre planète, quand Venera 3 a « atterri » (ou s’est écrasée, plutôt) sur Vénus. Le 15 décembre 1970, Venera 7 parvint à atterrir sur la surface de la planète sans être endommagée et devint ainsi la toute première sonde à envoyer des données depuis la surface de Vénus. Mais cela ne dura pas longtemps, en raison de l’environnement extrême auquel elle fut confrontée.

Une photo de la surface prise par la sonde soviétique Vanera en 1981. Elle a survécu 127 minutes.

“La surface de Vénus est un avertissement : un tel désastre peut arriver à une planète qui ressemble beaucoup à la nôtre”, écrivait Carl Sagan.

Selon Landis, sa propre passion pour Vénus lui vient d’un article publié en 1961 – l’année où les Soviétiques lancèrent le programme Venera – par un autre scientifique et écrivain. Cette année-là, le jeune astronome Carl Sagan, qui était à l’époque doctorant et travaillait au sein du Jet Propulsion Laboratory de la NASA où il travailla notamment sur la première mission Mariner, publia un article dans Science intitulé « La planète Vénus ». Dans cet article, il proposa pour la toute première fois de coloniser la jumelle de la Terre.

Pour commencer, Sagan proposait de bombarder l’atmosphère de Vénus avec des cyanobactéries (ou algues bleues) génétiquement modifiées. L’idée étant de réduire les niveaux de CO2 de l’atmosphère jusqu’à atteindre des niveaux permettant d’accueillir une vie terrestre. Selon Sagan, ces algues sont connues pour survivre à une immersion dans du nitrogène liquide et dans des sources chaudes dont les températures dépassent parfois les 80°c, ce qui en fait des candidates idéales pour altérer les conditions atmosphériques extrêmes rencontrées sur Vénus. Ces algues sont également connues pour être capables de photosynthétiser de « l’oxygène moléculaire en évolution », ce qui signifie qu’elles pourraient être capables de dissocier le dioxyde de carbone et de le séparer entre oxygène et carbone élémentaire, faisant ainsi chuter significativement la température de la planète et permettant aux plantes vertes de réaliser leur photosynthèse.

La proposition de Sagan n’est pas allée très loin. « C’était une idée merveilleuse et radicale en 1961, mais à l’époque on commençait tout juste à comprendre Vénus », dit Landis. Sagan ne savait pas vraiment à quel point l’atmosphère de Vénus était épaisse. Il fut l’un des premiers à comprendre que Vénus possédait une atmosphère très riche en CO2, « mais ils ne réalisaient pas qu’elle était 92 fois plus dense que l’atmosphère terrestre. Il est tout simplement impossible de transformer autant de dioxyde de carbone en oxygène. »

Trois décennies plus tard, Sagan reconnut lui-même que son idée était « vouée à l’échec. » Mais il pensait toujours que Vénus pouvait nous offrir des leçons précieuses pour la Terre. Dans son livre Cosmos, paru en 1980, Sagan soulignait le côté « Boucles d’or » de la Terre en insistant sur les effets que le CO2 avait eus sur le climat de Vénus :

«Tout comme Vénus, la Terre possède également 90 atmosphères de dioxyde de carbone ; mais celui-ci réside dans la croûte terrestre sous forme de calcaire et d’autres carbonates, pas dans l’atmosphère. Si la Terre se rapprochait un tout petit peu du Soleil, la température grimperait légèrement. Cela ferait sortir le CO2 des pierres présentes à la surface du globe, générant ainsi un effet de serre plus important, ce qui ferait encore grimper la température. Une surface plus chaude transformerait encore plus de carbonates en CO2, et l’effet de serre se renforcerait progressivement jusqu’à atteindre des températures très élevées. Nous pensons que c’est ce qui est arrivé à Vénus, en raison de sa proximité avec le Soleil. La surface de Vénus est un avertissement : un tel désastre peut arriver à une planète qui ressemble beaucoup à la nôtre. »

COMMENT TERRAFORMER

Aussi farfelu que le projet de Sagan ait pu paraître, d’autres propositions se sont fait jour au cours des cinq dernières décennies, dans le but d’inverser totalement l’effet de serre dont est affectée la planète. Dans son livre New Earths, publié en 1981, James Oberg proposait de rendre Vénus habitable en supprimant 98% de sa masse atmosphérique en évacuant 10 quintillions de tonnes de CO2 dans l’espace. Selon ses calculs, si un tel projet était lancé et devait durer 100 ans, cela signifierait qu’il faudrait supprimer environ 300.000 tonnes de gaz par seconde. Par comparaison, l’Amazone déplace environ 10.000 tonnes d’eau par seconde.

Image conceptuelle d’une Vénus terraformée. Image: Daein Ballard/Wikimedia Commons

En 2010, le prix Nobel de chimie et spécialiste de l’atmosphère Paul Crutzen proposa de diffuser d’énormes quantités de dioxyde de soufre dans l’atmosphère vénusienne, ce qui selon lui ferait chuter la température de la surface et ralentirait l’effet de serre en recréant des conditions comparables à une éruption volcanique massive sur Terre. L’idée faisait écho à celle qu’il avait développée pour la Terre : diffuser du gaz dans l’atmosphère pour juguler les effets du réchauffement climatique – une sorte de plan B pour le climat qui donna naissance à la folie de la géo-ingénierie.

Au début des années 1990, un scientifique nommé Paul Birch proposa une autre approche pour terraformer Vénus et remédier au problème du CO2 : diffuser 40.000.000.000.000.000.000 kg d’hydrogène dans l’atmosphère, de l’hydrogène obtenu sur les géantes gazeuses que sont Jupiter et Saturne (on ne sait comment). Selon Birch, l’hydrogène réagirait avec le dioxyde de carbone présent en quantité excessive dans l’atmosphère au travers d’un processus connu sous le nom de réaction de Bosch, produisant ainsi du carbone élémentaire et de vastes quantités d’eau – suffisamment d’eau, selon lui, pour recouvrir 80% de la surface de Vénus. Ce processus permettrait de réduire la pression atmosphérique jusqu’à 3 bars, c’est-à-dire trois fois la pression terrestre, et cette atmosphère riche en nitrogène verrait encore sa pression baisser à mesure que le nitrogène se dissoudrait dans les océans nouvellement créés.

« L’autre idée de Paul Birch, c’était d’installer des écrans pare-soleil autour de Vénus pour faire geler l’atmosphère, et c’est assez fou, dit Landis. Ce processus impliquerait de placer de gigantesques miroirs solaires à un point de Lagrange entre Vénus et le Soleil. Ces miroirs serviraient à la fois à générer de l’énergie solaire et à réfléchir la lumière excessive pour qu’elle ne parvienne pas jusqu’à la planète, faisant ainsi chuter la température de la surface. Mais ce plan est incroyablement ambitieux. « Paul Birch a des idées incroyables pour terraformer des planètes, c’est vraiment un penseur futuriste, m’a dit Landis. Mais je pense qu’il est peut-être un peu optimiste. »

DANS LES NUAGES

Pour Landis, qui se veut plus terre-à-terre, la place de l’humanité sur Vénus ne sera pas à la surface de la planète, mais plusieurs dizaines de kilomètres plus haut, dans les épais nuages qui la surplombent. « Mon idée, c’est qu’il ne faut même pas essayer de terraformer la surface, dit-il. Je ne sais pas s’il faut totalement écarter les solutions biologiques, mais je pense que le meilleur endroit sur Vénus, celui sur lequel il faut se concentrer, se trouve à 50 ou 60 kilomètres d’altitude. Construisons donc des villes flottantes. »

Il évoque la poésie inhérente à un tel projet dans « The Sultan of the Clouds », quand son protagoniste perce pour la toute première fois l’atmosphère de la planète :

« 150 millions de kilomètres carrés de nuages, un milliards de kilomètres cubes de nuages. Dans cet océan de nuages, les cités flottantes de Vénus ne sont pas limitées, comme les villes terrestres, à deux dimensions, mais peuvent flotter de haut en bas selon le bon vouloir de leurs maîtres, vers ce soleil froid qui brille sans cesse ou vers les profondeurs les plus obscures et brûlantes… Notre barque passa au-dessus de cathédrales de nuages et de montagnes de nuages, leurs contours sublimés par la lumière. Nous dépassâmes des tanières remplies de monstres de nuages hauts d’un kilomètre, de cous de nuages arqués se projetant vers l’avant, menaçants et montrant leurs dents de nuages, d’immenses corps nuageux que prolongeaient des pieds munis de griffes faites d’éclairs. »

À 50 kilomètres d’altitude, Vénus ressemble énormément à la Terre, ce qui nous dispense de tout projet de terraformation. La pression atmosphérique y est confortable, à un bar, la gravité y équivaut à 90% de celle de la Terre, et les températures y tombent à un niveau raisonnable, entre 0 et 50 degrés Celsius.

Ces villes flotteraient à proximité du sommet de la couche de nuages de Vénus, leur permettant ainsi d’accumuler un maximum d’énergie solaire au cours d’une journée vénusienne, qui dure environ 117 jours terrestres. Même si les humains devraient malgré tout faire face à certains facteurs environnementaux typiquement vénusiens – des vents à 350 km/h balaient la planète tous les deux jours au cours d’un processus baptisé « super rotation », entraînant ainsi des nuages d’acide sulfurique dans leur sillage – il serait relativement facile de trouver des solutions techniques à ces problèmes, comparé à la tâche colossale que représenterait l’idée de pomper l’atmosphère entière d’une planète dans l’espace.

Le projet le plus récent visant à bâtir des villes flottantes au-dessus de Vénus, développé par le Systems Analysis and Concepts Directorate de la NASA, basé à Langley, impliquerait que des vaisseaux spatiaux pénètrent l’atmosphère vénusienne et y déploient des ballons de taille plus réduite, ce qui fait écho à l’idée proposée par Landis.

Selon le projet HAVOC, des ballons de 129 mètres de long seraient déployés après avoir pénétré l’atmosphère de Vénus et constitueraient ensuite la base d’habitats flottants plus grands. Image: NASA

Même si les plans de Landis précèdent ceux de la NASA de plus d’une décennie, il ne considère pas que les deux projets soient en compétition, mais plutôt qu’ils tendent vers le même but : placer des humains sur Vénus. « Le travail mené par les gens de Langley se concentre davantage sur les premières phases de l’exploration, dit Landis. Nos idées vont dans la même direction, mais je ne peux pas m’attribuer leur mérite. Ils ont accompli un travail formidable pour peaufiner les détails des premières missions. »

Pour les chercheurs de Langley, l’idée initiale de Langley a été une source d’inspiration. « Cela fait longtemps que ses idées servent de base à de nombreux projets d’exploration de Vénus, m’a affirmé Dale Arney, co-auteur de la proposition HAVOC. Nous avons lu l’un de ses articles et nous nous sommes dits que c’était une idée qui méritait qu’on s’y penche, pour savoir ce que nécessiterait une mission de ce type pour être faisable. »

La proposition initiale de Landis était nettement plus ambitieuse que la mission HAVOC, puisqu’elle impliquait la construction d’immenses habitats flottant à 50 kilomètres au-dessus de la surface de la planète. Ceux-ci serviraient de « bases opérationnelles » pour des missions à la surface et de stations de relai pour des voyages interplanétaires. Ces villes existeraient au sein d’énormes bulles d’air respirable, un mélange d’oxygène et de nitrogène qui permettrait de subsister au sein de l’atmosphère riche en CO2 de Vénus.

D’après le projet HAVOC, des ballons reliés les uns aux autres constitueraient des habitats flottants. Image: NASA

C’est vraiment une question d’exploration de l’espace à long terme. C’est notre futur. Nous allons essaimer dans notre système solaire.” —Dale Arney

Quid du risque de voir des colonies entières s’effondrer et chuter de plusieurs dizaines de kilomètres vers la surface tout en brûlant dans des nuages d’acide sulfurique ? Landis ne semble pas perturbé par cette idée.

« Évidemment que tout ce que nous entreprenons présente un risque, dit-il. Mais nous devrons faire en sorte que nos villes soient assez robustes. Bien sûr, plus un ballon est gros, plus vous avez de temps pour réparer une fuite éventuelle. Un petit ballon, comme celui d’un enfant, éclate instantanément. Il nous faudrait un ballon géant, avec plusieurs chambres à l’intérieur [pour ces villes flottantes]. En termes de taille, cela n’aurait rien à voir avec ce que nous connaissons sur Terre. Un tel ballon ferait passer le Hindenburg pour un vulgaire ballon de baudruche. »

Les vaisseaux envisagés pour la mission HAVOC feraient 130 mètres de long, soit l’équivalent de deux Boeing 747 mis bout à bout, ce qui ne représente que la moitié de la longueur du Hindenburg. Pour donner vie à l’idée de Landis, il faudrait des habitations beaucoup, beaucoup plus grandes. Les habitats flottants qu’il a imaginés se composeraient de plusieurs ballons, chacun d’entre eux faisant un kilomètre de diamètre, et capables d’accueillir des dizaines de milliers de gens.

Pour saisir ce que cela représente, un ballon d’un kilomètre de diamètre est théoriquement capable de soulever environ 700.000 tonnes, soit le poids de deux Empire State Buildings. Ajoutez un second ballon de la même taille, et leur capacité de levage combinée s’accroît exponentiellement : l’ensemble est désormais capable de supporter presque 6 millions de tonnes. Et d’ailleurs, il serait plus facile de faire flotter de tels ballons dans l’atmosphère vénusienne que sur Terre, étant donné que la gravité est légèrement plus faible sur Vénus.

Un concept d’avion solaire imaginé par Landis pour Vénus. Image: NASA

Dans « Sultan of the Clouds », Tinkerman et Hamakawa voient la ville d’Hypathia apparaître entre les nuages :

« La ville était un dôme, ou plutôt, une dizaine de dômes étincelants se fondant l’un dans l’autre, chacun d’entre eux recouverts d’un million de panneaux de verre. Les dômes étaient immenses, le plus petit se trouvant à près d’un kilomètre de nous, et alors que la barque glissait à travers le ciel les facettes de ces dômes saisirent la lumière du soleil et se mirent à scintiller.

“Vous trouvez ça beau, oui ? Comme les superbes méduses qui peuplent les océans de votre planète bleue. Vous vous rendez compte qu’un demi-million de gens vivent ici ?” »

Malgré l’enthousiasme du public pour la mission HAVOC et son propre optimisme, Landis reconnaît que les chances qu’une mission habitée vers Vénus décolle prochainement sont minces. Les financements pour des missions vers la Lune se sont taris en 1973 ; le budget global de la NASA s’est réduit comme peau de chagrin entre 1966 et 1974, passant de 5,9 milliards à 3,2 milliards de dollars. En pourcentage du budget fédéral, il chute encore : en 1966, la NASA représentait 4,4% des dépenses fédérales américaines. Aujourd’hui, elle doit se contenter de 0,5% à peine.

« Comme pour toutes les missions, les vrais problèmes, ce sont l’argent et la politique. Techniquement, je pense que nous sommes prêts, même s’il y a encore pas mal de travail à faire sur des détails en termes d’ingénierie. C’est au niveau politique que ça coince, dit Landis. Selon moi, nous devons coloniser notre système solaire dès maintenant, mais nous ne pouvons rien faire sans qu’il existe un consensus politique en ce sens. »

Pourquoi, alors que Vénus promet tant, toute notre attention est-elle accaparée par Mars ? Ironiquement, c’est sans doute du en partie à ces fameux rovers que Landis a contribué à y faire atterrir. « Je pense que si nous ignorons Vénus, c’est parce que les images qui nous parviennent de Mars sont si spectaculaires », dit-il. Le meilleur moyen d’obtenir le soutien politique et économique nécessaire au lancement de missions habitées vers Vénus, c’est tout simplement de commencer par y envoyer davantage de robots.

« À mon avis, si vous voulez envoyer des humains, il faut déjà que des robots explorent l’environnement local en détail », assure Landis. Son concept d’avion à énergie solaire pourrait s’avérer utile. « Je pense que nous pouvons construire un appareil de ce type avec notre technologie actuelle. Il faudra un peu de temps pour le développer, mais c’est clairement un projet faisable qui nous permettrait d’étudier les couches supérieures de l’atmosphère de Vénus. » Un rover pourrait également être utile : « Ce que nous devons faire, c’est envoyer sur Vénus des missions comparables à celles que nous avons envoyées sur Mars ces derniers temps, pour susciter l’intérêt des gens. »

Issu d’un projet soviétique pour coloniser les nuages de Vénus dans les années 70. Image via Technica Molodezhi

Pendant ce temps-là, l’équipe d’HAVOC a été dissoute. Le temps qui avait été accordé à Arney et Jones pour leur « petit projet » par le Systems Analysis and Concepts Directorate a fini par expirer, et les deux hommes ont réintégré la Space Mission Analysis Branch, pour y travailler sur l’exploration de notre système solaire.

« Actuellement, Chris et moi n’avons pas de projets imminents dans ce domaine précis, mais il est évident qu’il serait tout à fait possible et intéressant d’envoyer des robots et de monter ce genre de missions, dit Arney. C’est même nécessaire, à l’image de ce que nous faisons sur Mars depuis quelques décennies. Il est temps de s’y mettre. Il faut commencer à plancher sérieusement sur des missions vers Vénus. »

Pour l’heure, l’équipe d’HAVOC n’a pas eu de retours de la part de l’administration ou des membres du Congrès concernant ses propositions. « Je ne peux pas vraiment en dire plus, mais à l’heure actuelle le Congrès et le Président se concentrent plutôt sur l’évitement des astéroïdes et sur Mars. »

Pour qu’un rover résiste à la chaleur de Venus, il faudrait qu’il soit équipé d’un système de refroidissement extrêmement puissant. Image: Geoffrey Landis et Kenneth Mellott du centre de recherche de la NASA à Glenn.

Au-delà de ce que cela nous apprendrait sur les conséquences du changement climatique, Arney avoue qu’il n’y a pas vraiment d’incitation immédiate, sur les plans économique et militaire, à envoyer une mission habitée vers Vénus. « J’ai bien peur qu’il soit compliqué de justifier économiquement l’exploration de Vénus à l’heure actuelle, reconnaît-il. Il faut penser à plus long terme, ou – si j’ose dire – de façon plus idéaliste. C’est vraiment une question d’exploration de l’espace à long terme. C’est notre futur. Nous allons essaimer dans notre système solaire. »

Financièrement, il y a tout de même quelques raisons de s’intéresser à Vénus. Certes, la planète n’est pas une mine d’or, mais à long terme, il y a des choses à en tirer. « Il y a beaucoup de ressources à la surface, mais cela coûte cher d’y aller pour exploiter ces ressources, donc pour l’heure nous nous concentrons essentiellement sur ce que l’on pourrait tirer de l’atmosphère, c’est-à-dire essentiellement du nitrogène et du dioxyde de carbone », explique Arney.

« Économiquement, je ne suis pas sûr que ces ressources atmosphériques vaillent grand-chose dans un futur proche, ajoute-t-il. Mais si on réfléchit à long terme, quand les humains vivront sur plusieurs planètes, des ressources atmosphériques aussi aisément accessibles pourraient s’avérer très précieuses. »

Quoi qu’il en soit, Arney pensent que des compagnies privées, telles que SpaceX et Boeing, ont aussi un rôle à jouer dans le développement de la technologie nécessaire au lancement de missions de la NASA vers Vénus. « Traditionnellement, les missions robotiques ont eu recours à des lanceurs disponibles dans le commerce, donc je pense que le secteur privé pourrait être impliqué dans l’exploration de Vénus », dit-il.

Pour Landis, il y a déjà beaucoup à faire dans un futur proche pour ouvrir la voie de l’exploration de Vénus. En attendant, il est reconnaissant à l’équipe de Langley d’avoir ravivé l’intérêt pour la planète, et déplore que la dernière tentative d’envoyer une sonde dans son atmosphère ait été l’œuvre de l’URSS.

« Il faut toujours commencer par une bonne séance de brainstorming, avant de passer à l’étape suivante et d’entrer dans les détails les plus concrets, affirme-t-il. Je pense que nous devons arrêter de négliger ainsi Vénus. Retournons-y avec notre technologie moderne, explorons son atmosphère d’un pôle à l’autre et voyons à quoi nous avons affaire. Je pense que cela nous permettrait de nous intéresser enfin autant à Vénus qu’à Mars. »

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