Les Alouettes de Montréal ont invité VICE à passer la saison 2018 au sein de l’équipe. Notre dossier spécial sur la culture du football est disponible ici.
Vincent Aubry est probablement le DJ le plus écouté du Québec : il joue en moyenne devant un million de personnes par an. DJ à plein temps à 45 ans, il joue dans les clubs quelques fois par mois, et ça fait 22 ans qu’il chauffe la foule aux matchs des Alouettes, des Canadiens et des Carabins, en plus d’être DJ remplaçant pour l’Impact. Ce n’est peut-être pas ce que le métier a de plus glamour, mais pour ce passionné de sport et de musique, ce n’est pas ça qui compte. Vincent le sait bien, le public du stade ne vient pas pour le voir. Ce qu’il veut, c’est savoir que ses choix musicaux vont avoir un effet sur les joueurs et sur l’ambiance dans le public.
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On l’a rencontré lors d’un match des Alouettes au Stade Percival-Molson. Dans une cabine vitrée, il est assis devant ses platines, bouteille d’eau vitaminée à la main. Souriant mais concentré, il surplombe les 18 000 spectateurs du stade.
VICE : Est-ce que tu joues de la musique différente à chaque sport?
Vincent Aubry : Aux Carabins, on peut se permettre de jouer des groupes québécois indés plus obscurs. Mais le football canadien, ça va être rock, raunchy, brut, garage, un peu de distorsion à la Black Keys. C’est ce qui évoque le foot pour moi. Faut que ça reste pas trop loin des racines country, parce que le football à Calgary, Edmonton, c’est plus country. On l’est moins à Montréal, mais j’aime avoir la petite saveur grass roots dans le rock qu’on joue. Évidemment, le plus francophone et québécois possible.
Puis pas forcément les sons les plus évidents, c’est le fun d’aller dans les terrains moins visités. Loud par exemple, je le jouais depuis tellement longtemps, je suis content qu’il ait autant de succès aujourd’hui.
Ça arrive d’ailleurs que des artistes m’envoient ce qu’ils font, parce que c’est une bonne exposure de se faire écouter par autant de gens.
Parfois, les coachs me donnent une liste de chansons que les joueurs veulent entendre pendant l’entraînement avant la game. Généralement, c’est du hip-hop, c’est ce que je joue quand ils s’échauffent sur le terrain avant le match, c’est vraiment cool, j’aime beaucoup ça.
Et pendant le match, est-ce tu dois connaître parfaitement toutes les règles pour savoir quand envoyer les sons?
C’est sûr que pour être DJ de sport, il faut bien comprendre ce qui se passe sur le terrain. Je suis un gros fan de sport à la base, donc je n’ai pas eu de problème. L’erreur la plus commune qu’un DJ pourrait faire en football, c’est que la musique forte d’encouragement, on la joue quand l’équipe est en défensive, alors que pour tous les autres sports, on encourage l’ offense. Au football, quand l’ offense a le ballon, on veut au contraire ne faire aucun bruit parce qu’on veut absolument qu’ils s’entendent. Et dès que l’équipe adverse a le ballon, là on fait du bruit.
J’ai 3, 4 secondes pour réagir entre deux actions, et souvent 3,4 secondes de musique à jouer, donc il faut que le message passe très vite. C’est pas toutes les tounes qui envoient un message. Mes amis DJ de club ont l’impression que c’est facile, et puis ceux qui viennent voir live me disent tous « ah ouais, ça va vite quand même ».
C’est surtout ça, la réactivité, la pression et la concentration. Tu veux être prêt en général, mais tu ne veux pas être à 100 % prêt; il faut improviser aussi, selon ce qui se passe sur le terrain.
D’ailleurs, c’est quoi ton processus pour choisir la musique selon ce qui se passe pendant le match?
Faut que ça reste assez évident. Un match avec beaucoup de vent, où le ballon ne tient pas sur le porte-ballon pour le botté, dans l’instant du moment, tu mets Free Fallin’ de Tom Petty. Il pleut, tu passes Toute la pluie tombe sur moi de Sacha Distel ou Here Comes The Rain Again de Eurythmics. Si la pluie s’arrête, tu passes I Can See Clearly Now de Jimmy Cliff. Faut tout de suite faire le lien entre ce qui se passe et une chanson.
Je fais aussi ça dans la vie de tous les jours. Ma blonde trouve ça très fatiguant, parce que tout ce que je fais, je l’accompagne d’une trame sonore. Je transforme tout en paroles de chanson. Si quelqu’un casse une assiette chez nous, je vais chanter « Pourquoi t’es dans la lune »; si on est en train de ranger la vaisselle, Un peu plus haut, un peu plus loin; si elle part au travail Ne me quitte pas. C’est une déformation professionnelle!
Dans la voiture aussi, je fais reconnaître à ma blonde les tounes qui passent à la radio. Et ça, c’est qui? Et ça? Ma blonde en a marre. Elle me répond « Led Zeppelin » à chaque fois, pour n’importe quelle toune.
Quels sont les incontournables du DJ de stade?
Une partie des chansons est définie avant la saison. Ça, c’est le côté marketing, c’est pas moi qui choisis, et c’est pas forcément mon goût. Avec les Alouettes, par exemple, quand il y a un touché c’est J’aime les oiseaux de Yann Perreau qui joue. Mais je suis bien à l’aise avec ça.
Quand l’équipe perd et qu’on a besoin d’espoir, le classique nord-américain, c’est bien sûr Don’t Stop Believin’. Ça, c’est quand on perd par quelques points et qu’on veut revenir. Ça peut te paraître trop évident, mais ça reste un bon classique, c’est efficace. [Il se met à la chanter] Living On A Prayer aussi, quand on espère revenir. Et bien sûr, en fin de match, je passe Final Countdown. C’est comme We Will Rock You, c’est les deux tounes obligatoires.
Celle que j’ai tout le temps envie de passer, c’est I Gotta Feeling. Ça build l’ambiance et ça marche très bien pour accompagner l’espoir. Le fan en moi veut voir ma ville gagner, et le DJ en moi a envie de pouvoir passer I Gotta Feeling.
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On a un groupe sur internet avec les DJ des autres équipes, et on parle de nos playlists en début de saison. C’est une communauté vraiment trippante. Pour la saison du Canadien, tu peux jaser avec le gars des Bruins, même si nos équipes ne s’aiment pas, on se dit vers quoi on va, ce qu’on va jouer.
Est-ce qu’il y a des chansons que tu n’as pas le droit de jouer?
La seule chose que j’ai pas le droit de passer en fait, c’est les fuck, les ass et les bitches. J’adorerais pouvoir jouer Killing in the Name sans la censurer, mais bon, une game, c’est un spectacle familial.