Lola est un·e escort bruxelloise et représente ce qui fait vivement débat au sein même du mouvement féministe. Entre les abolitionnistes et les pro-émancipation des travailleur·ses du sexe, les avis divergent à ce sujet ; et ce depuis plusieurs siècles. Dans le milieu depuis sept mois, Lola, non-binaire, est aussi étudiant·e en théâtre. Après ses études, iel compte continuer le travail du sexe en parallèle de ses projets artistiques. Son investissement dans son métier mais aussi le fait d’avoir conscience de ses privilèges l’amène à militer au nom des autres TDS, celleux qui exercent dans des conditions plus difficiles. Pute et féministe, Lola nous explique en quoi tout ça est compatible.
« Je suis Lola Red, @lola.redpute sur Instagram, et j’ai 23 ans. J’ai fait mes premiers pas dans le travail du sexe à Bruxelles en janvier 2020. J’avais été approché·e par une société de cams érotiques, et je me suis fait·e complètement arnaquer. En fait, je n’y connaissais rien à ce moment-là.
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Suite à cette mésaventure, j’ai fait des recherches, j’ai lu, écouté des podcasts sur le sujet, je me suis confronté·e à différents points de vue, mais surtout à la parole des TDS. Et j’ai très vite eu envie de tenter l’escorting. J’ai fait des photos avec un ami photographe et j’ai posté mon annonce sur un site belge de référencement de TDS. L’idée c’était que j’essaie un rendez-vous d’une heure. Si ça se passe bien, je continue, sinon, ça dégage. Ça s’est hyper bien passé. Je me suis rendu·e compte que cette activité était facile pour moi, et bénéfique à pleins de niveaux. Alors, j’ai continué.
Je voudrais commencer par préciser que je suis une personne blanche, qui fait des études, a ses papiers, et possède d’autres sources de revenus que le TDS. C’est important de le préciser car ces privilèges me permettent de vivre mon activité avec beaucoup de liberté et de choix. Ce n’est pas le cas de tou·tes mes collègues. Les TDS viennent de mille backgrounds différents. Il n’existe pas de profil type, contrairement à ce qu’on croit. Et chaque parole est unique et légitime.
« J’aime avoir plus de moyens financiers qu’avant, et pouvoir économiser facilement sans bosser 35 heures par semaine. Je suis en contrôle et je possède mon corps comme jamais auparavant. »
Ce que j’aime dans ce boulot, c’est l’autonomie qu’il me procure. Je choisis mes horaires, mes tarifs, mes pratiques. Je définis un cadre à prendre ou à laisser. J’aime beaucoup la relation avec mes clients, que j’ai le privilège de pouvoir choisir soigneusement. Il y a la relation sexuelle (et encore, pas toujours), mais aussi la discussion et le jeu de la rencontre. Ces personnes me désirent et sont enchantées de me voir. J’aime repartir avec ma liasse de billets à la fin d’un rendez-vous, et la sensation de puissance que cela me procure. J’aime avoir plus de moyens financiers qu’avant, et pouvoir économiser facilement sans bosser 35 heures par semaine. Je suis en contrôle et je possède mon corps comme jamais auparavant. En fait, j’ai la sensation de m’emparer du patriarcat et d’en faire du profit, de le tourner à mon avantage, littéralement. Et ça, c’est jouissif.
Côté vie sentimentale, je suis en relation libre. Quand j’en ai parlé à mon amoureux, il a très bien réagi. Il sentait que l’escorting m’attirait depuis un bon moment, alors quand je lui ai annoncé que j’allais le tenter, il était à peine surpris. En fait, il m’a suivi dans toute ces histoires d’arnaques de cams et de déconstruction, de prises d’informations, et il m’a dit : « Je pense que tu sais ce que tu fais, et si tu aimes ça, c’est très bien. » C’est le meilleur allié féministe et TDS que je connaisse. C’est tellement précieux au quotidien, car je n’ai pas à mentir et je peux en parler librement.
En ce qui concerne mes potes, j’avoue avoir prudemment choisi à qui je l’ai dit et à quel moment. Dans l’ensemble, toutes les réactions ont été positives, ou absentes, ce qui est toujours mieux qu’un flot d’intolérance injustifié. À chaque fois que je l’ai annoncé, ça a ouvert un débat et des questions qui m’ont permis d’affiner ma réflexion, et de déstigmatiser ce taf.
« Je pratique en sécurité et par choix. Et c’est ce qui est encore inentendable pour énormément de gens. »
Y’a pas mal de préjugés sur le TDS ; un imaginaire crasse et un imaginaire édulcoré qui collaborent étroitement… Pour une fois, je vais citer les préjugés positifs et irréalistes que j’entends souvent : “Du coup, tu gagnes combien par mois ? Genre 5000 ?”, “Est-ce que tu es déjà tombé·e amoureux·se d’un client ?”, “Est-ce que tu te sens comme Pretty Woman ?” ou “Ça doit être trop bien de travailler juste 3/4h par semaine.”
Ma famille, quant à elle, ne le saura jamais. Je sais pertinemment qu’iels ne comprendraient pas, s’inquièteraient et me jugeraient lourdement. Iels ne savent même pas que je suis non-binaire, alors TDS ! Je suis très proche d’elleux, et je sens très bien que ça pourrait détériorer nos relations. C’est fou de subir ce stigmat jusqu’au noyau familial, alors qu’au fond, cette activité m’épanouit. Je la pratique en sécurité et par choix. Et c’est ce qui est encore inentendable pour énormément de gens. On pense directement à la jeune fille mineure exploitée par un mac dans une ruelle sombre d’une capitale européenne. Oui, ça existe, et c’est intolérable, et on se bat pour ces personnes-là. Mais moi, j’existe aussi. Et je n’ai pas envie que mon métier disparaisse ou devienne criminalisé.
Aujourd’hui, auprès des personnes proches qui connaissent mon métier, c’est devenu un sujet de conversation comme un autre. Je leur parle de mes rendez-vous comme on raconte une journée de taf. Je n’ai pas été confronté·e à beaucoup d’intolérance de leur part, heureusement. En plus, iels savent qu’iels peuvent me poser des questions sans problème. Moi je ne demande que ça, parler du TDS, des TDS, déstigmatiser le bazar et repartir sur des bases véridiques. Et on est plusieurs à faire ce travail de pédagogie ; mes collègues et adelphes tiennent par exemple des comptes Instagram extraordinaires qu’il faut impérativement relayer et soutenir comme @tapotepute, @tds_vs_grindrr, @vismaviedetds pour ne citer qu’eux.
« Je parle à mes proches de mes rendez-vous comme on raconte une journée de taf. »
Pour beaucoup, le féminisme et le TDS sont incompatibles. La société me considère comme une femme cisgenre. Alors le patriarcat, je connais. Je suis blanc·he et valide, j’ai des privilèges en plus, je le sais. Mais le harcèlement sexuel, je connais. Les agissements et agressions sexistes, je connais. Le conditionnement aux carcans d’une féminité, je connais. L’injonction permanente à être un peu désirable mais pas trop, un peu forte mais pas trop, un peu payée mais pas trop, je connais. Toute la violence qu’on reçoit dans la gueule à peu près partout et tout le temps, je connais. Et je suis loin d’être une exception.
Que fait la pute qui choisit cette activité, quelle qu’en soit la raison ? Elle tire profit de sa propre désirabilité et de sa propre oppression. De tous ces rôles et ces représentations qu’on lui fait avaler de force depuis sa naissance – plus ou moins consciemment, bien sûr. Elle joue le jeu du patriarcat pour s’en mettre plein les poches et s’extirper du système. Ça, c’est pour la pute qui exerce dans un pays où son activité n’est pas criminalisée (dans certains pays dont la France, être travailleur·se du sexe est en soi légal, mais tout ce qui entoure son activité est pénalisé : les client·es, l’organisation entre TDS et la promotion de services sexuels). Mais il y a aussi la pute qui a quitté son pays natal et qui vend ses services en attendant la prochaine étape – à moins qu’elle y reste et que ça lui va. Il y a la pute trans, la pute mère, père, la pute homme, la pute de rue, la pute en ligne… Ce que je veux dire par là, c’est que de par la diversité des profils de TDS, ce métier a une dimension fondamentalement féministe mais aussi anti-raciste, anti-capitaliste, anti-transphobie et queer. Je considère la lutte pour nos droits comme hyper intersectionnelle. Qu’est-ce qu’on représente, au fond ? Une personne qui utilise ce qui l’oppresse, en l’occurrence le patriarcat capitaliste, pour faire du blé et regagner sa confiance, parfois regagner sa propre vie.
« De par la diversité des profils de TDS, ce métier a une dimension fondamentalement féministe mais aussi anti-raciste, anti-capitaliste, anti-transphobie et queer. »
Toutes les putes ne se revendiquent pas comme féministes. Mais nos conditions de travail, la façon dont notre métier a été perçu selon les cultures au fil de l’histoire, la répression qui nous a toujours couru après et les récits et les représentations du métier ont donné lieu à une lutte très forte pour nos droits en tant que TDS. Cette lutte, qui est bien sûr en grande partie féministe, nous la menons fièrement et nous la mènerons toujours.
« On sait parfaitement ce qu’on fait et ce dont on a besoin. La dernière chose qu’on souhaite, c’est se faire victimiser, infantiliser ou tuer. »
Si TDS et féminisme sont incompatibles pour beaucoup – coucou les abolos -, cela montre qu’on a besoin de plus de discours frontalement pro-TDS et féministes dans l’espace public. Plus de visibilité pour chaque groupe de TDS. Il faut que les gens qui dirigent s’assoient avec nous et nous écoutent. Parce que sincèrement, on sait parfaitement ce qu’on fait et ce dont on a besoin. La dernière chose qu’on souhaite, c’est se faire victimiser, infantiliser ou tuer.
Je finirais en citant la fin de mon premier manifeste : “Parce que j’incarne autant la convoitise que l’indésirable. La fascination et le rejet. L’envie et le dégoût. L’endroit précis où toutes les femmes se débattent. Moi je ne veux ni l’un ni l’autre. Qu’on me laisse, mes collègues, adelphes et moi, aller en paix. Vos jugements hâtifs, votre violence inouïe, on n’en veut plus, on n’en a jamais voulu. Que vos discours et actes dominants brûlent.” »
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