Drogue

Pourquoi les psychédéliques agissent différemment sous antidépresseurs

ce efect au antidepresivele combinate cu droguri

Que vous soyez une bête de la teuf ou plutôt du genre sobre, les psychédéliques sont de plus en plus présents dans vos week-ends.

Et c’est peut-être à encourager. Une étude publiée en 2010 dans The Lancet a montré qu’ils présentaient bien moins de risques que des drogues comme l’alcool et la cocaïne, et qu’ils n’entraînaient généralement pas de descente existentielle (au contraire, la psilocybine, aka les champis, et la MDMA sont parfois reconnues pour leur effet « afterglow » post-consommation).

Videos by VICE

Mais avez-vous récemment consommé un psychédélique et constaté que les portes de la perception restaient fermées ? Ou remarqué que la kétamine est la seule drogue qui vous fasse réellement planer ? Si c’est le cas et que vous êtes sous antidépresseurs, vous voulez peut-être savoir comment vos médocs affectent votre déf’.

Selon une étude menée par Sciensano, en 2018, près d’un·e Belge sur dix (âgé·e de 15 ans et plus) présentait des troubles dépressifs. Et l’agence intermutualiste Atlas AIM a relevé qu’en 2020, plus de 13% des adultes en Belgique ont consommé au moins un antidépresseur dans leur vie. Ce chiffre était en très légère diminution depuis 2015, mais est remonté en 2021. Par ailleurs, le volume d’antidépresseurs délivrés a légèrement augmenté ces dix dernières années, passant de près de 74,8 doses journalières standards pour 1 000 bénéficiaires en 2011 à 79,6 en 2021. Bien que ces chiffres restent relativement stables à l’échelle nationale, la consommation en Belgique reste élevée à l’échelle européenne.

Selon la Global Drug Survey, qui étudie les habitudes des consommateur·ices de drogues dans le monde, la consommation de tous les psychédéliques a augmenté au cours des sept dernières années. Cette augmentation coïncide avec l’essor de la recherche sur les bénéfices des psychédéliques pour les troubles de santé mentale. Cependant, les premiers tests et expériences persos ont suggéré que certaines de ces substances ne sont pas très efficaces lorsqu’elles sont associées à certains antidépresseurs tels que les ISRS (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine : citalopram, fluoxétine, sertraline) et les ISRN (inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline : duloxétine, venlafaxine, milnacipran).

Bien sûr, chacun·e vit les drogues différemment et c’est pareil pour les médocs, que vous les mélangiez avec des pralines aux champis dans un champ ou avec une clé de kéta en after. Pour déterminer ce qui est safe, complètement débile ou probablement inutile en matière de psychédéliques et d’antidépresseurs, VICE a fait appel aux spécialistes les plus calé·es en matière de drogues et thérapie.

LSD et antidépresseurs

Vous avez certainement entendu parler de la sérotonine, un neurotransmetteur qui aide à réguler les émotions et que l’on appelle parfois l’hormone du bonheur. Les antidépresseurs ISRS agissent principalement en inhibant les récepteurs qui la transportent, maintenant ainsi les niveaux de sérotonine dans le cerveau, qui améliorent l’humeur.

Le LSD et la psilocybine (qu’on retrouve dans les champis) activent un sous-type de récepteurs de sérotonine appelé 5-HT2A : c’est là que se produisent les effets visuels, le centre de l’expérience psychédélique. Le fait que les ISRS bloquent les récepteurs de la sérotonine signifie qu’en théorie, la drogue ne peut pas accéder au 5-HT2A pour faire son effet. Vous vous êtes déjà retrouvé·e devant la porte d’une soirée appart’, super chaud·e avec un sac rempli de boissons, mais personne ne vous entend toquer ni ne décroche son téléphone pour vous laisser rentrer ? C’est, en quelque sorte, un peu la même chose.

Le professeur David Nutt, directeur de recherche de la clinique Awakn, spécialisée dans la thérapie à la kétamine, et l’une des personnes les plus compétentes en matière de drogues et de thérapies psychédéliques, le confirme. « Beaucoup de personnes qui consomment de la psilocybine et du LSD dans un cadre non clinique signalent des effets moindres si elles prennent des ISRS », explique le professeur, qui a déjà proposé que les ISRS et les psychédéliques puissent un jour fonctionner en tandem dans des recherches antérieures. « Mais il y a encore beaucoup d’incertitudes dans ce domaine. »

Les données manquent, mais les recherches plus anciennes vont également dans le même sens : une étude à petite échelle menée en 1996 auprès de 32 sujets utilisant des antidépresseurs a révélé que 28 d’entre elleux (88%) ont fait état d’une « diminution subjective ou d’une quasi-élimination de leurs réactions au LSD ».

Mais est-ce potentiellement dangereux ? « Il n’y a pas d’effets indésirables significatifs rapportés en combinant les deux tant qu’on respecte le seuil : 200 µg de LSD / 25mg de psilocybine », rassure David. Cependant, une étude du John Hopkins Center for Psychedelic and Consciousness Research sur l’utilisation des psychédéliques et du lithium, un stabilisateur de l’humeur principalement prescrit pour les troubles bipolaires, a révélé que 47% des 62 rapports de trips en ligne impliquaient des crises d’épilepsie.

Champis et antidépresseurs

Comme pour le LSD, un simple coup d’œil sur Reddit suffit pour comprendre qu’une importante portion de personnes sous antidépresseurs rapportent une atténuation des effets de la psilocybine lorsqu’elle est mélangée aux antidépresseurs.

Une étude réalisée en 2022 par le centre John Hopkins via une enquête en ligne a révélé que « les antidépresseurs sérotoninergiques semblent affaiblir les effets de la psilocybine, par rapport à un antidépresseur non sérotoninergique ». Dans le cas présent, l’article compare les ISRS et les ISRN avec le NDRI bupropion (mieux connu sous le nom de Welbutin, qui n’agit pas sur les récepteurs de la sérotonine). L’article suggère également que ces effets pourraient rester réduits durant trois mois après l’arrêt de la prise d’un ISRS ou d’un ISRN.

Selon Reid Robison, responsable clinique des services psychédéliques thérapeutiques Numinus, « il s’agit peut-être d’une capacité unique à dresser des murs, explique-t-il. Quelqu’un peut souffrir d’un excès de contrôle, comme les TOC, l’anorexie, l’anxiété extrême, ce qui a pour conséquence de contrôler étroitement l’expérience du monde. Ceci peut limiter l’expérience psychédélique autant, voire plus, qu’une dose d’antidépresseur. »

Bien que cette combinaison soit généralement considérée comme safe, certaines personnes rapportent une descente de la psilocybine. « Le lendemain des champis ou des truffes, je me sens émotionnellement à plat et très vide », explique Kate, 27 ans, qui prend de la fluoxétine. « C’est toujours l’inverse de mes potes qui ne prennent pas d’antidépresseurs et qui se sentent plus heureux·ses que d’habitude. » Kate a demandé à utiliser un pseudonyme pour des raisons de confidentialité.

Le docteur Matthew Johnson de l’Université John Hopkins déclare : « En théorie, il se pourrait que les personnes souffrant de dépression soient plus sujettes à une dépression après une séance de psilocybine et que la prise d’un ISRS puisse également l’influencer. Mais les études définitives comparant les groupes concernés n’ont tout simplement pas été réalisées. » Ce qui est sûr, dit-il, c’est que les ISRS et les médicaments similaires peuvent conduire à une session psyché réduite.

MDMA et antidépresseurs

Beaucoup de gens ne réalisent pas que la MDMA est un psychédélique, mais elle présente des similitudes avec le LSD et la psilocybine en ce qui concerne l’activation de la sérotonine. Pour simplifier, le LSD et la psilocybine se lient aux récepteurs de la sérotonine sans activer les niveaux de ce neurotransmetteur dans le cerveau, tandis que la MD déclenche un déluge dans les voies neuronales.

« Il existe plusieurs études qui ont administré de la MDMA et un ISRS à des volontaires en bonne santé et qui ont comparé les effets à ceux de la MDMA seule. Ces études montrent que même une seule dose d’ISRS peut réduire les effets psychologiques de la MDMA jusqu’à 80% », explique Matt Baggott, expert très reconnu dans la recherche sur la MDMA et PDG de Tactogen, qui développe des composés similaires à la MDMA à des fins médicales.

Alors, on peut se demander si ça vaut vraiment la peine d’en prendre tout court, d’autant plus qu’il y a beaucoup de spéculations sur la MD et les ISRS mélangés qui présenteraient un risque de syndrome sérotoninergique. Il s’agit d’une maladie parfois mortelle causée par un taux élevé de sérotonine dans l’organisme et dont les symptômes vont des simples tremblements au coma. En réalité, Matt estime que « la combinaison de MDMA et d’un ISRS à des doses raisonnables [généralement de 80 mg à 125 mg, soit environ une demi-pilule, en fonction de sa puissance] ne semble pas présenter un risque beaucoup plus élevé que la MDMA elle-même », et que « c’est probablement plus clair pour les gens de considérer la surchauffe comme un risque lié à la MDMA qu’au syndrome sérotoninergique. »

La MD affecte la capacité de thermorégulation. Ce phénomène, associé au fait de se trouver dans des environnements tels que des clubs où l’on transpire ou des festivals où il fait chaud, et de danser en ne s’hydratant pas suffisamment, sont les causes les plus courantes de surchauffe.

Qu’en est-il de la descente ? Elle a longtemps été considérée comme un symptôme inévitable de la prise d’ecstasy. À tel point que prendre une pilule remède (en vente libre) qui aide le corps à produire de la sérotonine après une teuf est considéré comme une solution standard pour vaincre sa descente – même si ça n’a pas fait l’objet d’une recherche rigoureuse. 

Notons que selon Matt Baggott, la prise d’un ISRS après la MDMA « fonctionne probablement » pour atténuer la descente, citant des études faites sur des animaux qui suggèrent que les ISRS administrés peu de temps après la MD peuvent protéger le cerveau des effets négatifs de cette surstimulation. Il a également mené une petite étude non publiée avec des personnes qui se sentent généralement déprimées après avoir pris de la MDMA et qui ne prenaient normalement pas d’ISRS.

« Quand je leur ai donné de la MDMA en laboratoire, elles ont obtenu de moins bons résultats dans une tâche cognitive exigeante 5 heures et 26 heures après la prise de MDMA. » Lors d’une autre séance, il leur a administré de la MDMA, et un ISRS 3 heures plus tard. Il affirme que ça « a empêché les difficultés de performance induites par la MDMA sans modifier sensiblement les principaux effets émotionnels de la MDMA. Ce qui confirme l’idée que les ISRS peuvent réduire les effets indésirables de la MDMA. »

Cela pourrait signifier que le fait de prendre les antidépresseurs prescrits quelques heures après avoir consommé de la MDMA permet d’atténuer les effets secondaires. Mais il est important de préciser que cette expérience a été réalisée dans un laboratoire contrôlé. Ça ne veut certainement pas dire que les teufeur·ses doivent commencer à prendre des ISRS sans ordonnance – surtout que les pilules d’ecsta sont beaucoup trop fortes et imprévisibles en ce moment.

« L’alcool et d’autres drogues peuvent également poser problème, ajoute Matt. Et les festivals qui requièrent de l’endurance physique ne sont pas le meilleur endroit pour des combinaisons de drogues complexes ou nouvelles. »

Peut-être que vos descentes sont davantage liées aux contraintes physiques – danser beaucoup, ne pas dormir ou ne pas manger correctement – que vous ne le pensez. En effet, un article publié en 2022 dans A Journal of Psychopharmacology a montré que l’utilisation clinique de MDMA n’entraînait généralement pas de descente.

Kéta et antidépresseurs

La kétamine est la seule drogue à ne pas être affectée par les ISRS et leur combinaison est aussi généralement considérée comme relativement safe, ce qui est rassurant dans le cas d’une substance souvent décrite comme désorientante.

« La kétamine agit essentiellement sur un système de neurotransmetteurs complètement différent – le glutamate, explique Reid Robison. Certains de ses effets sont plus indépendants des neurotransmetteurs que ceux des autres psychédéliques. » C’est pourquoi vous ressentez peut-être la kétamine plus intensément que d’autres drogues comme la MDMA.

Il souligne également que la kétamine bloque le « mode éclatement de l’habénula latérale » du cerveau. L’habénula latérale est une région associée aux émotions négatives et n’est pas directement ciblée par les ISRS, de sorte que la prise de kétamine en plus d’un ISRS pourrait être efficace pour améliorer votre humeur. C’est l’une des raisons pour lesquelles la kétamine a été développée en tant que médicament et outil thérapeutique, pour aider les personnes souffrant de dépression résistante au traitement.

« La kétamine aide à se sentir un peu plus léger et moins stressé·e, poursuit Reid. Ça va durer qu’une semaine ou deux, mais ça peut être utile pour quelqu’un qui a besoin de sortir d’un épisode ou d’une dépression. » Évidemment, les observations de Reid concernent la kétamine prescrite et testée cliniquement ; pas un pacson de kéta acheté dans le fumoir d’un club. Dans ces situations récréatives, il y a plus de chances d’avoir une descente, surtout si on consomme aussi de l’alcool – mélange potentiellement dangereux dans tous les cas.

Que ce soit pour triper sous LSD en nature ou prendre de la MD en club ou festival, ne vous laissez pas tenter par l’idée d’abandonner votre traitement pour une déf’ plus intense sans consulter d’abord votre médecin – votre corps et votre esprit vous en remercieront.

VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.