Avant de donner naissance au collectif Everything Is Terrible! en 2007, Dmitri Smiakis passait tout son temps libre à mater des films de qualité médiocre avec ses potes du lycée – leur but étant de trouver le pire long-métrage possible parmi des milliers de cassettes qui leur passaient entre les mains. « Les hivers étaient très longs », déclarait Dmitri en 2010 dans le cadre d’une interview pour NPR. « On n’avait pas le choix : on passait tout notre temps à traîner chez les uns ou les autres et à regarder des films débiles. »
Aujourd’hui, son collectif réunit des amateurs de vidéos tout aussi débiles, vidéos partagées sur YouTube pour le plus grand plaisir des internautes du Monde Libre. Du massage félin aux yogis paysans en passant par des bébés chanteurs ou un dinosaure chasseur de pédophiles, tout y passe, rien n’a de sens – ce qui correspond parfaitement à l’esprit du temps. Everything Is Terrible! ne compte pas s’arrêter là et s’emploie désormais à organiser son propre festival, qui rassemble tous ceux qui s’intéressent au détournement de vidéos banales et tristes comme la pluie. Sa collaboration avec MTV ou Funny or Die lui permet en parallèle de toucher une audience plus large, pas forcément au fait des niches les plus absconses de l’Internet américain.
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Le mois dernier, le collectif a donné naissance à son dernier projet, aussi con que les précédents : l’ouverture d’un magasin éphémère réunissant plus de 14 000 copies VHS du film Jerry Maguire, qui permit à Cuba Gooding Jr de remporter un Oscar, ce qui est une performance exceptionnelle en soi. Après avoir collecté des cassettes du film de Cameron Crowe pendant huit ans, Everything Is Terrible! espère désormais être en mesure de bâtir une pyramide de VHS dans le désert californien d’ici quelques mois. Alors que le magasin éphémère vient tout juste de fermer ses portes et que la campagne de crowdfunding est au point mort avec 261 dollars récoltés en deux mois au moment où j’écris ces lignes, j’ai rencontré Dmitri Smiakis pour parler avec lui de nostalgie et de la pire scène de sexe de la carrière de Tom Cruise.
VICE : Salut Dmitri. Peux-tu me dire d’où te vient cette passion pour les VHS ?
Dmitri Smiakis : Je viens de Cleveland et là-bas, durant mon adolescence, on ne comptait même plus les magasins de location de VHS. Il y en avait un juste à côté de chez moi, je pouvais y aller à pied. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que le déclin a débuté.
Je me souviens d’un endroit en particulier, le B-Ware. Ce lieu a vraiment changé ma vie. Il était spécialisé dans la série B et les films introuvables, hyper bizarres. Il débordait de films d’horreur des années 1970, de films amateurs, de films aux budgets microscopiques.
As-tu toujours été attiré par les films étranges, kitsch ?
Je crois bien que oui. Tous les membres du collectif sont aujourd’hui âgés d’une trentaine d’années. On a tous été élevés à une époque où le contexte et la réflexivité autour d’une œuvre devenaient des éléments majeurs. Prenez les Simpson par exemple : il s’agit d’une œuvre qui passe son temps à commenter d’autres œuvres. J’ai grandi dans un univers que certains qualifient de « postmoderne » où, en gros, tout était question de références – que je ne comprenais pas tout le temps quand j’étais gamin. J’ai dû attendre mes 18 ou 19 ans avant de mater Citizen Kane, mais j’avais dû tomber sur des centaines de parodies de ce long-métrage avant ça ! J’ai toujours voulu comprendre les références qui apparaissaient sous mes yeux, et ces films à petit budget étaient truffés de références.
Tout ça fait d’Everything Is Terrible! un collectif postmoderne, non ?
Je n’en ai aucune idée. Ce que je sais, c’est qu’après avoir passé mon adolescence à regarder des milliers d’heures de films médiocres et de programmes télévisés désastreux – du genre, des spots antidrogues, des pubs évangélistes – j’ai voulu me réapproprier tout ça pour en faire quelque chose de différent.
Il faut que vous sachiez qu’aux États-Unis, dans les années 1980, les programmes pour enfants étaient tout sauf neutres idéologiquement. Derrière un vernis de légèreté se dissimulaient des idées conservatrices et/ou religieuses. C’est à partir de ces programmes toujours joviaux que l’on crée nos vidéos. Au-delà d’une idéologie qu’on ne partage pas, on adore l’absurdité de ces séquences, où des enfants chantent et dansent à n’en plus finir.
Tu as créé ton collectif en 2007, à une époque où les magasins de location de films étaient en train de fermer. Quel rôle cela a-t-il joué ?
Disons que ça nous a plutôt aidés, en fait. Au milieu des années 2000, les gens se sont mis à se débarrasser de leurs cassettes. Ça a été le jackpot pour nous. On en a profité, mais on se dit qu’on a également permis à de nombreuses VHS d’être préservées. Depuis 2007, on a croisé des centaines de personnes qui se débarrassaient de leurs cassettes sans réfléchir, en les jetant à la poubelle, pensant qu’elles ne valaient plus rien. On fait tout pour ralentir ce massacre, même s’il est évident qu’à notre modeste niveau, on ne peut pas faire grand-chose de déterminant.
Vous vous situez dans la continuité des anciens magasins de location, en fait.
Oui, tout à fait. On aimerait mettre en place une immense vidéothèque sur le long terme, qui permettrait à tous les amoureux de cassettes de se réunir et d’en louer de nouveau. Aujourd’hui, notre collection est immense. Certains membres se mettent à archiver toutes ces VHS et à les numériser, ce qui est essentiel. Personne ne peut prédire ce que deviendra une cassette dans 20 ans, si elle sera encore regardable.
Pas mal de gens considèrent que votre approche de l’art est entièrement basée sur la nostalgie. Ont-ils raison ?
Pas vraiment, non. D’une certaine manière, nous détestons la nostalgie. J’aime ce que je fais au quotidien parce que je ne me contente pas d’un « c’était mieux avant ». Non, tout notre travail porte sur le fait de dire aux gens de ne pas croire ce qu’ils voient à la télévision, dans les médias, etc. Aujourd’hui, on peut entendre pas mal de monde s’étonner de la défiance envers les médias, de la situation dans laquelle nous sommes. Ça a toujours été comme ça ! Tout a toujours été biaisé. Nous nous contentons de faire rire les gens à partir de cet état de fait.
Te souviens-tu de ton premier visionnage de Jerry Maguire ?
Franchement, pas vraiment. En fait, je n’ai presque aucun souvenir de ce film – je l’ai vu quand j’avais 14 ou 15 piges.
Personnellement, je me souviens juste de la scène de sexe de Tom Cruise, vu que j’avais maté ce film avec mes parents.
Oui, moi aussi je m’en souviens. Elle est intense. C’était super bizarre de voir Tom Cruise dans cette situation. Il baise comme un dératé dans ce film.
Pour finir, penses-tu vraiment pouvoir construire cette pyramide ?
Je ne sais pas. Je vais tout faire pour, c’est une certitude. Ça me prendra un an, dis ans, je m’en fous. Si le crowdfunding ne marche pas, je demanderai des fonds à des mécènes. Le magasin éphémère nous a rapporté pas mal d’argent, on en n’est donc plus très loin.
Sois sûr d’une chose : ce n’est pas une blague. Je compte vraiment le faire.
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