La batterie est souvent considérée comme le souffre-douleur des instruments de musique. C’est celui qu’on choisit de pratiquer en premier parce que les autres sont trop compliqués (ce qui est loin d’être vrai, mais pas complètement faux non plus) mais surtout parce qu’il permet de se défouler des heures sur un tambour. Les musiciens auront beau vous supplier d’arrêter de jouer comme un enfant hyperactif de 8 ans parce que vous n’avez rien compris au rythme, vous persisterez, avant de passer à autre chose, comme le mölki. Heureusement, certains batteurs plus courtois nous rappellent qu’il est tout à fait possible de faire de la musique en défonçant impunément une caisse claire sans avoir son permis solfège. C’est le cas du japonais Ryosuke Kiyasu et ses solos barrés de snare drum.
Dans le milieu de la fanfare, le snare drum est loin d’être méconnu et encore moins sous-estimé. Il n’est pas rare d’assister à des concerts entièrement dédiés aux chevronnés de la caisse claire et certains s’autorisent même quelques tricks de baguettes de haute voltige. Cette pratique a tout d’une activité banale chez les percussionnistes mais apparemment pas pour Ryosuke qui en a fait sa chose, une version violente et hasardeuse particulièrement compulsive.
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À première vue, les performances live du batteur se situent entre la lutte gréco-romaine et une partie de Jungle Speed sous cortisone (pas loin du chaman de The Strangers, en effet). Ajoutez à ça les baguettes qui volent, son visage caché par sa tignasse qui rappelle les sommets du cinéma d’horreur japonais, ses improvisations rythmiques et corporelles, et vous obtenez une certaine volonté de faire n’importe quoi mais pas n’importe comment. Car si les solos de Kiyasu ont tout l’air d’un gros boucan du diable, il ne faut pas se fier aux apparences.
En parcourant ses concerts live sur YouTube, on remarque qu’au-delà des railleries qu’on peut lire (sans surprise), Ryosuke intrigue et attire son lot d’admirateurs. Parmi les commentaires, un des fans conseille aux auditeurs de fermer les yeux devant la vidéo pour mieux saisir les prouesses rythmiques du génie.
Effectivement, la force du set de Ryosuke réside indéniablement dans sa faculté à ne pas se fier à ce que l’on voit mais à ce qu’on écoute. C’est en fermant les yeux que le live de Ryosuke Kiyasu prend tout son sens. « Je tente de jouer de la caisse claire de toutes les façons possibles et imaginables pour obtenir un maximum de sons, de bruits et de tout ce qui peut sonner extrême » explique le batteur. Chaque percussion, qu’elle soit produite par un frottement, une baguette qui ricoche ou un bruit quelconque, s’alignera dans le jeu de Ryosuke. « J’essaye d’exprimer le rythme qui me vient en tête, peu importe comment il doit se manifester dans mon set » poursuit-il.
Et pour ne pas perdre de vue les cymbales et se faire la main, Ryosuke s’inflige régulièrement du grindcore au sein du duo Sete Star Sept et s’envoie également quelques sessions d’impros jazz en compagnie du Kiyasu Orchestra, histoire d’étoffer son background. Il est aussi le batteur du célèbre chanteur japonais Keiji Haino connu pour ses albums « hors-norme ». Entre free jazz, rock psychédélique et grindcore, Ryosuke a le goût prononcé du désordre musical et de la double-croche énervée.
C’est après avoir quitté le Japon en 2003 pour exercer son métier au Canada qu’il a rencontré le groupe de grindcore The Endless Blockade dont il sera le batteur. « À Toronto, il n’y a pas de batterie prête à l’usage dans les bars, comme c’est le cas à Tokyo. Là-bas, tu dois avoir ton propre matos pour donner un concert. Comme j’avais seulement ma caisse claire sous le bras, j’ai commencé en faisant des solos, je participai à des sessions d’improvisations avec des musiciens de jazz. Tout ça s’est fait naturellement. ».
Live illégal de Ryosuke filmé dans un tunnel en ChineJe ne sais pas si le mot « naturel » vient à l’esprit quand on évoque la musique de Ryosuke, quoi qu’il en soit, le batteur japonais tourne à fond la caisse : USA, Corée, Europe… Et dernièrement la Chine, où l’ensemble de sa tournée a été annuléz par le gouvernement pour des raisons toujours obscures quand un Japonais tente de s’y produire, ce qui ne l’a pas empêché de se risquer à jouer quelques secret shows sur place, dont celui que vous pouvez voir ci-dessus, qui rappelle les scènes les plus flippantes de Possession d’Andrzej Zulawski, et qui a eu lieu en plein milieu d’un passage piéton souterrain de Pékin. Lors de sa prochaine tournée, Ryosuke souhaiterait passer jouer en France. À bon entendeur.
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