J’ai essayé d’être xstraight edgex pendant un mois mais comme c’est dur, j’ai échoué

Comme de nombreux étudiants français, mon année scolaire 2012-2013 a consisté à payer des AGIO, piner des filles rencontrées à la BU et me bourrer la gueule quatre soirs sur sept. À la fin du mois de mai, j’ai pourtant décidé de sortir la tête de cet océan de complaisance qu’était devenu ma vie. Perdu, dénigré par mes parents et mes professeurs, je me suis mis en tête d’obéir à un régime dur, sévère, à même de me remettre dans le droit chemin ; mon plan consistait à devenir straight edge pendant un mois. L’espace de 30 jours, je m’étais promis d’arrêter l’alcool, les drogues, le tabac, manger des animaux morts, coucher avec des filles de petite vertu et toutes ces autres choses qui font le sel de l’existence – et des lendemains difficiles.

Au cas où vous ne le sauriez pas, le straight edge est un mouvement né au début des années 1980 avec le morceau de Minor Threat du même nom. Voyant que 90% des punks d’époque étaient devenus des héroïnomanes en voie de clochardisation, Ian MacKaye, frontman du groupe, a décidé que les kids devraient désormais adopter un mode de vie parfaitement sain afin de ne pas transformer le mouvement en molécule d’hépatite C ambulante, mais en une communauté de gens en bonne santé, bien dans leur tête et excessivement musculeux.

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À partir de début mai 2013, je me suis donc senti investi d’une mission : je comptais opérer un changement radical, retrouver l’espoir, l’ambition et l’énergie qui me caractérisait à l’époque où j’étais un étudiant de première année. Quatre semaines plus tard, le bilan n’est pas aussi rose que je le pressentais. J’ai essayé de résumer ce que j’avais fait (et vu), semaine après semaine, dans l’enfer de la vie sans tabac, sans herbe, sans bière et sans protéines animales.

Une dernière, et c’est fini.

SEMAINE 1

Avec la ferveur des hommes humbles, j’ai traversé cette première semaine sans faillir à mon sacerdoce. Quitter ma dose quotidienne de bières et de hash m’a dans un premier temps semblé chose aisée, le plus dur étant de s’endormir sans avoir consommé aucune de ces substances. La nourriture végétalienne me paraissait OK, à condition qu’elle soit cuisinée avec inventivité. Écouter DYS en boucle ne m’était pas du tout insupportable.

Mais, dès le troisième jour, j’ai été confronté à la dure réalité de la vie estudiantine : il fallait faire la fête pour éviter de mourir d’ennui. Je suis allé dans un bar où j’ai commandé un soda – on a remarqué une certaine fierté dans ma voix. Je suis demeuré sobre alors qu’autour de moi, des mecs en école d’ingénieur faisaient l’hélicoptère avec leur pénis.

Le jeudi soir, j’ai vécu ma première sortie en boite. Je suis resté lucide toute la soirée, bien qu’ayant dû commander quatre Redbull purs afin de pouvoir danser sur du Pitbull. Je ressentais cette sorte d’énergie du désespoir dont parlent les équipes de football de bas de tableau lorsqu’elles gagnent un match. Pas de bière à l’horizon. Tout roulait.

Entre le vendredi et le dimanche (inclus) je suis sorti avec des potes qui ont mis un point d’honneur à boire comme des trous, avaler des psychotropes et parler de sexe (sans sentiments !) devant moi et ma moralité nouvellement acquise. Ça m’allait. Rien à foutre, après tout. Devant le miroir, j’étais fier de l’homme sobre que je voyais. « T’es un champion, toi », j’ai glissé à l’inconnu, l’air de rien.

Moi, avec un pote et sa bière. Vous remarquerez que je ne lorgne pas du tout dessus.

SEMAINE 2

Dès la deuxième semaine, j’ai faibli. Mercredi, pris en tenaille par la tentation et l’ennui procuré par mon alimentation à base de carottes rappées, je me suis permis une première entorse à mon régime – une bière. Je me souviens de cette première Kronenbourg et du sentiment de renoncement coupable qui m’a traversé. J’étais à une fête Erasmus, et les gens parlaient anglais dans tous les coins. C’était tellement chiant que des invités ont tenté de sauver la soirée en passant « Gangnam Style », sans succès. Angoissé, je suis allé au frigo, ai réfléchi, fait une grimace, refermé le frigo une première fois, ouvert un placard, pris un verre, ai rouvert le frigo, ai chopé Kro fraîche, ai refermé le frigo, ai grimacé à nouveau. J’ai bu la bière et suis rentré chez moi.

Jeudi et vendredi en journée, j’ai été irréprochable. Purée de pommes de terre, petits pois. J’ai écouté trois fois en Break Down The Walls de Youth of Today, en entier. Jogging aux alentours de 19h, comme si je pressentais ce qui s’apprêtait à me tomber sur la gueule. La première grosse erreur est en effet survenue quelques heures plus tard, sur le coup des 23h30. En soirée, des amis se sont mis à relater des trucs tels que « C’est trop beau, putain. Les couleurs sont hallucinantes. » J’ai vite compris qu’ils venaient d’ingérer des hallucinogènes – des champignons, pour être exact. 15 minutes plus tard, j’étais en train de penser à des trucs qui se matérialisaient sous mes yeux. J’étais hilare. Pas de bière à l’horizon soit, mais ma crédibilité straight edge commençait à en prendre un coup.

Le week-end, en revanche, j’ai poursuivi mes efforts : je suis allé à la salle de sport le samedi et ai continué mon régime végétalien. J’ai remarqué que cette alimentation avait deux effets positifs : elle permet à n’importe qui de maigrir en un temps record et réduit vos dépenses alimentaires de moitié. Le downside étant les efforts douloureux, chaque jour, pour ne pas céder et bouffer le sandwich libanais-sauce à l’ail trop bon en bas de chez soi. Aussi, il faut donner du goût aux trucs relou dans votre assiette – conseil : acheter plusieurs variétés de poivre, et en foutre sur tout ce que vous mangez.

L’effet des champignons hallucinogènes, une heure après ingestion.

SEMAINE 3

Quoiqu’ayant déjà fauté par deux fois, je commençais à me faire à ma nouvelle vie faite de soupe et de sport lorsque j’abordais la troisième semaine. C’est par un retournement de situation inattendu que mercredi matin, je me retrouvais parfaitement bourré, quelque part. Une fois rentré, mon colocataire m’a dit : « T’as merdé hier. T’as descendu une bouteille de whisky entière, et dansé avec toutes les meufs de la soirée. Tu courais partout, à moitié à poil et dans l’euphorie générale, tu as pris une photo de ta bite. À un moment, tu as arrêté la musique, demandé le silence, et t’as voulu fonder une secte basée sur le culte de ta personnalité et le body-painting. » J’avais également fumé une bonne dizaine de joints et appelé mon cousin pour lui dire à quel point je l’aimais.

Jeudi soir, on m’a transféré par mail des photos de la soirée de mardi à mercredi. J’ai eu confirmation que ma soi-disant secte avait convaincu six membres potentiels. Je les aurais apparemment baptisés dans une sorte de rituel consistant à les éclabousser de peinture bleue partout sur le visage – et sur le mien. J’avais un début de réponse par rapport à la signification de ma vaine entreprise d’assainissement : je m’étais marré 83 fois plus lors de cette soirée qu’au cours des 17 jours précédents. Autant dire que ça ne sentait pas très bon.

Moi et ma secte, en pleine procession.

SEMAINE 4

Sans surprise, cette quatrième semaine de dur labeur s’est clôturée sur un constat d’échec. J’avais foiré. Non seulement il m’était à nouveau impossible de ne pas fumer plus de cinq joints par jour, soit, mais désormais la simple idée de m’endormir sobre m’angoissait. C’est pourquoi je n’ai jamais dormi clair de ces sept putains de nuits. Perturbé par cette période intermédiaire de non-dope, de séries de pompes et de légumes, j’étais devenu six fois pire qu’avant. Imaginez Elvis Presley, quelque part à Memphis dans les années 1970, en train de se rouler une clope, le ventre à l’air, incapable de contempler sa propre bite. C’était moi. Dans ma chambre, dès 22h, je m’abreuvais d’un cocktail maléfique composé de whisky, de weed et de somnifères.

En journée, je continuais de mentir – aux autres mais surtout à moi. Le jeudi, j’ai même fait de l’endurance dans le parc à cent mètres de chez moi, comme pour refuser de sombrer complètement. Mais c’en était fini. J’ai même fini par coucher avec une fille, ce qui est, dans le langage hardcore straight edge, pire qu’un mauvais présage, une mini-apocalyspe. Tous mes efforts de discipline avaient failli. J’avais merdé, et était obligé de tout recommencer.

Cependant, j’étais presque heureux d’avoir parcouru tout ce chemin pour me chier en beauté. J’avais au moins appris un truc : on ne peut pas résisté à sa propre nature. Si comme moi, vous vous êtes souvent réveillé fatigué, défoncé et déprimé en vous disant « hey, faut que j’arrête ces conneries tout de suite, genre demain»,sachez que vous ne le ferez pas. Ou du moins, pas comme ça. Pas en vous forçant à faire un truc trop extrême, trop difficile, trop vite. Depuis, j’ai quand même réussi à ralentir la cadence et à boire plus de xperriersx. J’ai aussi découvert d’excellents groupes de mecs musclés à crânes rasés, que j’écoute en bouffant de gros steaks hachés devant la télé. Mais maintenant, j’en suis sûr ; dans cette vie de merde, la bière est un bien meilleur compagnon de route que la discipline.