Chester Brown veut convaincre le monde entier que la Vierge Marie était une pute

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Culture

Chester Brown veut convaincre le monde entier que la Vierge Marie était une pute

Le célèbre dessinateur nous a parlé de rapports sexuels tarifés, de sa réinterprétation de la Bible et de la sortie de sa dernière bande dessinée.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Chester Brown est un vrai emmerdeur. Il se fout de tout. Il le prouve une nouvelle fois avec son dernier ouvrage – Marie pleurait sur les pieds de Jésus – dans lequel il insiste sur le fait que Christ « pensait que la prostitution était une bonne chose », selon ses propres termes.

En 2011, Brown remettait en question certains préjugés au sujet de la prostitution dans Vingt-trois prostituées – une bande dessinée autobiographique dans laquelle il détaillait ses expériences en tant que client. Dans les années 1980, Brown se représentait lui-même au cœur de scènes de sexe torride avec la Vierge Marie dans sa BD Yummy Fur. Par la suite, il a gagné plusieurs récompenses pour Louis Rielbande dessinée historique évoquant le chef d'un peuple canadien. Marie pleurait sur les pieds de Jésus, son nouveau roman graphique, paraît en France le 11 mai grâce aux Éditions Cornelius, et il semble encore plus siphonné que les précédents. Brown nous offre une nouvelle approche de la Bible – la Vierge Marie serait une prostituée, un fait qui aurait été « dissimulé » par les auteurs des Évangiles selon lui.

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Les dialogues et les illustrations en noir et blanc de Marie pleurait peuvent donner l'impression que l'on a affaire à une Bible illustrée pour enfants – alors que rien n'est moins vrai. En effet, quand on se penche de plus près sur l'œuvre de Brown, on observe de nombreuses poitrines dénudées. L'évocation de Tamar, Rahab ou Marie permet de s'extirper brutalement de la tradition chrétienne de la femme immaculée – afin de redonner toute sa place au sexe et à la prostitution.

Pourtant, Brown, âgé de 55 ans, a grandi dans une famille québécoise religieuse. Il se qualifie lui-même de chrétien. À l'entendre, Mary pleurait n'entre pas du tout en contradiction avec la Bible. On a parlé plus longuement avec lui de la dimension spirituelle de la prostitution, de la perception négative des clients aujourd'hui et de l'impact de son honnêteté sur ses relations interpersonnelles.

© Chester Brown / Cornélius 2016

VICE : Dans votre nouveau livre, vous cherchez à prouver que Marie était une prostituée. Avez-vous reçu des menaces de mort depuis ?
Chester Brown : Absolument pas. Tout le monde semble accepter mon propos ; plus ou moins facilement c'est certain. L'une de mes amies proches, hyper croyante, a trouvé le livre « blasphématoire et offensant ». Elle était en colère après l'avoir lu, mais nous sommes toujours amis.

Pourquoi vous en prendre à la Bible ?
La prostitution a une dimension spirituelle : il s'agit de sexe, et le sexe a toujours cette faculté à connecter spirituellement deux êtres. L'union de deux personnes peut donner lieu à une transcendance.

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Le titre est intéressant parce que, comme vous l'écrivez, le mot hébreu pour « pied » veut également dire pénis.
J'ai connu ce fait en lisant The Illegitimacy of Jesus [de Jane Schaberg] – qui m'a beaucoup inspiré pour Marie pleurait. Schaberg mentionne cela en référence à l'histoire de Ruth. Le titre Marie Pleurait fait référence à l'onction de Jésus : habituellement, quand les hommes étaient oints dans la Bible, c'était sur la tête. Oindre une personne sur les pieds est inhabituel. Je pense donc que cette onction avait une connotation sexuelle.

© Chester Brown / Cornélius 2016

En affirmant que Marie était une prostituée, qu'espérez-vous prouver ?
Même si je n'étais pas engagé en faveur de la défense des droits des travailleurs du sexe, je trouverais cette théorie assez intéressante pour être partagée. Dans mon cas, les deux vont ensemble. Si j'ai remarqué ces curieuses caractéristiques dans les récits bibliques, c'est sans doute en raison de mon intérêt pour la prostitution.

J'ai un préjugé certain. Je ne suis pas sûr que je qualifierais le livre de didactique, mais il me permet d'expliquer pourquoi la prostitution devrait être dépénalisée. Je crois que Jésus a réellement pensé que la prostitution était une bonne chose et que les chrétiens ont voulu effacer ce fait.

Votre vie a-t-elle beaucoup changé depuis que vous avez avoué avoir eu recours à des prostituées ?
Pas tant que ça, pour être honnête. Ma découverte des prostituées a été un bouleversement. En revanche, publier Vingt-trois prostituées et gagner en notoriété n'a pas foncièrement changé ma vie.

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Après avoir décidé de ne plus avoir de petite amie, je me suis demandé comment j'allais combler mes besoins sexuels – étant donné que je ne suis pas très doué pour draguer. Quand je me suis aperçu que payer pour le sexe était une option viable, ça a changé ma vie. Je fréquente la même prostituée – Denise – depuis 13 ans maintenant, et cette relation est tout aussi satisfaisante qu'une relation amoureuse. Pourtant, je sais bien que cette prostituée n'a pas de sentiments amoureux pour moi. Elle tient à moi en tant qu'ami, mais elle ne veut ni vivre avec moi, ni avoir des enfants avec moi, encore moins se marier avec moi. Je ne lui ai jamais demandé de ristourne, d'ailleurs.

Dans Vingt-trois prostituées , vous affirmiez avoir renoncé à l'amour. Vous le pensez toujours ?
Depuis Vingt-trois prostituées, j'ai donné une nouvelle chance à l'amour. Je suis sorti avec une très belle femme, mais ça n'a pas fonctionné. On ne sait jamais ce que nous réserve l'avenir, mais j'espère avoir retenu la leçon : l'amour et moi, ça fait deux.

Combien de temps cela a-t-il duré ?
Quatre ou cinq mois.

Avez-vous arrêté de voir Denise pendant ce temps-là ?
Non, je la voyais toujours, et ma copine était au courant. Elle l'acceptait, parce qu'elle avait lu Vingt-trois prostituées et qu'elle comprenait la situation mais, comme vous pouvez l'imaginer, ça n'a pas marché. Pourtant, cela semblait lui convenir au début, mais elle a fini par devenir jalouse. Je devais choisir entre Denise et elle, et j'ai choisi Denise.

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© Chester Brown / Cornélius 2016

Vous avez vécu longtemps avec la musicienne, cinéaste et actrice canadienne Sook-Yin Lee.
Sook-Yin et moi avons été en couple pendant trois ans. Lorsque nous nous sommes rencontrés, elle jouait dans un groupe appelé Bob's Your Uncle. Un des mecs du groupe aimait mon travail et l'a montré à Sook-Yin. Elle m'a ensuite contacté lors d'une tournée. Nous avons sympathisé et sommes sortis ensemble. J'aime toujours sincèrement Sook-Yin, et je la vois souvent. Mais entre nous ça n'a pas marché.

Qu'a-t-elle pensé du livre ?
Je ne me souviens pas précisément de ce qu'elle a dit, mais il me semble qu'elle l'a apprécié. Son petit ami actuel [le poète et multi-instrumentiste Adam Litovitz] m'a même aidé lors de la relecture.

Au Canada, la prostitution n'est devenue illégale qu'en 2014. Le but de la loi était, soi-disant, de protéger les prostituées. Qu'en pensez-vous ?
C'est une loi horrible. Tous les défenseurs des droits des travailleurs du sexe pensent qu'elle est mauvaise. Elle dessert les prostituées pour plusieurs raisons. Elles doivent être discrètes sur leur travail parce qu'elles ne veulent pas que leurs clients soient arrêtés. Même si elles se retrouvent dans une situation dangereuse, elles sont réticentes à l'idée d'appeler la police – elles ne veulent pas attirer l'attention et prendre le risque de voir leur lieu de travail placé sous surveillance.

De plus, certaines pratiques qui découlent de la prostitution réglementée – comme le dépistage obligatoire – me semblent discriminatoires. Personne n'oblige les gens qui multiplient les aventures d'un soir à réaliser des tests.

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Les clients des travailleurs du sexe sont perçus de façon négative dans notre culture – ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de mauvais clients. Tout dépend de la façon dont vous traitez les autres. Un client qui traite les prostituées avec respect n'a rien à se reprocher.

Dans Marie pleurait, vous semblez vénérer les travailleurs du sexe. Pourtant, dans Vingt-trois prostituées, vous écriviez au sujet d'une travailleuse du sexe qu'elle était un « monstre en minijupe ». Vous disiez à d'autres qu'elles étaient trop grosses ou trop vieilles – qu'elles avaient des implants mammaires ou de la cellulite. N'est-ce pas contradictoire ?
Dire qu'une femme a de la cellulite, ce n'est qu'une simple observation. C'est une réalité. La femme en question était absolument magnifique, d'ailleurs.

Il n'y a jamais de situation idéale entre une prostituée et un client. La plupart du temps, les relations demeurent cordiales mais, parfois, les choses se corsent. Il arrive que Denise se mette en colère contre moi à cause de mes propos ou de mes actes, comme dans n'importe quelle relation.

En ce qui concerne la contradiction, mes deux livres sont complémentaires. Dans Vingt-trois prostituées, je décris la réalité des choses, et dans Marie Pleurait, je parle de la dimension spirituelle.

Dans Marie pleurait, vous citez Yoram Hazony : « Dieu admire ceux qui défient l'ordre de l'Histoire et qui osent devenir meilleurs, quitte à être en conflit avec l'ordre créé. » Certaines personnes considèrent que votre réinterprétation de la Bible est une autojustification quant au fait d'être client de prostituées. Qu'en pensez-vous ?
Peut-être ont-ils raison. Étant donné que les Évangiles eux-mêmes sont contradictoires, on peut dire tout et n'importe quoi à propos de Jésus, et interpréter la Bible comme on le souhaite. C'est peut-être ce que j'ai fait.

Avant que les gens ne réfutent complètement mes propos, j'aimerais qu'ils me proposent une meilleure explication. J'espère qu'il y aura un débat à ce sujet. Si les gens sont capables de me prouver que j'ai tort, c'est super. Je serais heureux de débattre là-dessus.

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