Les femmes aussi tuent, se vengent et assassinent. Il peut-être temps de se demander : qui sont-elles, comment tuent-elles, avec qui et pourquoi. Nous leur avons consacré une série, « Les tueuses ».
22 janvier 1923, Paris. Germaine Berton, 20 ans, abat à bout portant Marius Plateau secrétaire général de la Ligue de l’Action française et chef du mouvement des Camelots du roi, milice armée des monarchistes. Cinq coups de feu pour lui et une balle pour elle, qu’elle tire pour se suicider après le crime. Si Plateau est mort, Berton survit contre son gré. Motivée par son idéologie anarchiste, la criminelle reconnaît immédiatement les faits. Ses motivations déclarées devant la police : faire tomber les royalistes et venger la mort de Jean Jaurès, icône du socialisme, assassiné neuf ans plus tôt par un étudiant nationaliste. Cet assassinat, elle le revendique comme politique mais puisque Berton est une femme, mineure en prime, son militantisme et son engagement seront toujours écartés.vc rvdcescd
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Alors que son procès s’ouvre, une nuée de Parisiens curieux tente d’apercevoir l’anarchiste que les journalistes et dessinateurs de presse prennent un malin plaisir à immortaliser dans leurs colonnes. La plume de parquet de L’Ère Nouvelle la décrit le 18 décembre 1923 : « Mince, les cheveux coupés courts, avec ses gestes puérils, dans un costume gris très simple dont le col de batiste blanche est noué d’une cravate garçonnière, elle semble une Claudine en révolte contre son pensionnat. » L’ado rebelle a tout de même tiré.
Fanny Bugnon, spécialiste de la violence politique féminine et maître de conférence en histoire contemporaine à Rennes 2, décrypte : « La mort de Marius Plateau choque d’autant plus que son assassin est une femme. Elle rassemble les caractéristiques qui hantent l’opinion : elle est célibataire, ne travaille pas et a quitté sa mère et la province pour Paris, seule ». Dans la presse de droite comme de gauche, la motivation politique disparaît. En France une femme ne peut pas tuer par militantisme, c’est impossible aux yeux de beaucoup. « Berton est analysée comme une garçonne, les faits donnent l’occasion aux conservateurs de faire le lien entre émancipation féminine et criminalité. Du côté de la gauche, les journalistes font d’elle une femme douce, dépossédée de son geste par sa supposée nature féminine pour que sa peine soit allégée », reprend la spécialiste. Côté détracteurs, l’Action Française et le procureur évaluent et comptent le nombre de ses amants.
Côté défense, son avocat maître Henri Torrès interpelle à la barre une « petite fille » pendant sa plaidoirie, paumée sans sa mère, et reprend au compte de sa cliente les stéréotypes de genre pour un verdict plus clément. Le 24 décembre, alors qu’elle revendique son crime, Berton est acquittée. « La femme qui prend les armes par militantisme a toujours été décrite comme quelque chose de nouveau, le fruit d’un mal social propre à une époque. C’est faux. On retrouve les mêmes mécanismes de cette amnésie de la violence féminine avec les militantes anti-tsaristes, les anarchistes de la Belle époque ou encore les femmes d’Action Directe dans les années 1980 », décrypte Fanny Bugnon.
À la fin des années 1970, les attentats d’Action directe, groupe armé d’extrême gauche secouent l’Hexagone. Le 1er mai 1979, jour de manif à Paris pour la fête du Travail, Nathalie Ménigon, 22 ans, membre fondatrice d’Action directe, et Jean-Marc Rouillan, 27 ans, figure de proue du mouvement, mitraillent en duo la façade du syndicat patronal CNPF, le Conseil national du patronat français, au 31 avenue Pierre-1er-de-Serbie, dans le 16e arrondissement de Paris. Le 17 novembre 1986, changement d’échelle en quatre détonations. Peu avant 20 heures, Nathalie Ménigon rejointe par Joëlle Aubron, elle aussi à l’aube de la trentaine, abat le PDG de la régie Renault, Georges Besse, alors qu’il quitte son domicile dans le quatorzième arrondissement de la capitale. Action directe revendique l’assassinat en raison « des dégâts sociaux provoqués par les décisions de licenciements massifs ».
« Il est antinomique d’être mère et de prendre les armes. L’Hagiographie militante prône le héros masculin, le fils, le frère. La femme est une gardienne de la maison, représentante de la patrie et de la fertilité. Elle est centrale dans les rites funéraires en faveur des hommes » – Isabelle Lacroix, chercheuse
Quand le terroriste devient la terroriste : la femme qui prend les armes à des fins idéologiques fascine. Les joues creuses, une écorchure sur celle de droite, un foulard à fleurs serré autour du cou, au milieu des années 1990 naît le mythe Florence Rey. Sa photo anthropométrique, prise au 36 quai des Orfèvres par les policiers qui viennent de l’arrêter inonde l’espace médiatique de ce mois d’octobre 1994. Elle s’invite même sur les t-shirts de quelques jeunes comme un symbole de liberté.
Les JT diffusent ce visage émacié, les médias insiste sur son âge, 19 ans, et son histoire d’amour avec celui qui l’aurait embarquée malgré elle dans cette escapade mortelle de 20 minutes. Dans la nuit du 4 octobre 1994, en plein Paris, ce couple d’étudiants sème la mort. 5 victimes dont lui, Audry Maupin, le Roméo de l’affaire, qui décède de ses blessures. Ce soir-là a 21h25, le couple Rey-Maupin, aidé d’un troisième homme, tente vainement de s’emparer de l’arme de service d’employés d’une fourrière. Le duo s’engouffre dans un taxi pour prendre la fuite. Rebaptisés les « tueurs de flics », ils abattent lors de leur course-poursuite trois policiers et un chauffeur de Taxi.
Florence Rey devient le visage de ce fait divers. Son portrait dévore la une du numéro du 20 octobre 1994 de Paris Match. En titre : « 19 ans fille de la haine ». Sous la plume de Christophe Coureau, la description physique s’arrête sur sa chevelure. Elle a pris soin de « cisailler elle-même ses longs cheveux blonds ». Ses motivations ? Le premier acte d’un groupuscule, « L’Organisation de propagande révolutionnaire ». Selon le journaliste, une création fantoche de gauchistes enfantins qui jouent à la politique, « un brouillon tracé à l’encre violette sur un cahier d’écolier surchargé de ratures ».
Concernant Audry Maupin, un brin plus âgé que sa petite amie, et de sexe masculin donc, presse et enquêteurs racontent des idéaux d’extrême gauche, une alliance avec les autonomes de Nanterre. Pour Florence, la tuerie serait le résultat d’un « amour-passion d’adolescente ». La gamine aurait suivi son homme sans avoir conscience de ce que ce qu’ils s’apprêtaient à faire. C’est pourtant Florence Rey qui a acheté un fusil à pompe calibre 12 à la Samaritaine. C’est aussi Florence Rey qui a lancé au chauffeur de taxi kidnappé: «Vas-y roule, roule, si tu t’arrêtes, je te bute ».
En septembre 1998, alors que la criminelle s’installe sur le banc des accusés, la presse et l’opinion changent leur fusil d’épaule. La diabolique qui n’a pas parlé pendant dix heures lors de son interrogatoire quelques mois plus tôt, a aujourd’hui « un petit regard terne de chien battu, elle avait hier un regard de fauve. Dans le box, les traits tirés, Florence Rey ne quitte pas l’orateur, mais vide un peu plus son regard ». Rien n’y fait, Florence Rey reste la femme éperdument amoureuse qui a suivi son homme jusqu’au bout.
Présenter Berton, Ménigon, Aubron, Rey comme des jeunes femmes perdues agissant seules rassure l’opinion. Mais, en France, une femme qui prend les armes peut aussi être une affaire de bande, d’une organisation à plus grande échelle.
Dans les Pyrénées, à la frontière entre la France et l’Espagne, les femmes de ETA – Euskadi Ta Askatasuna pour « Pays basque et liberté » –, groupe de lutte armée nationaliste basque crée en 1959, se font rares dans les kiosques et dans l’organigramme de l’organisation alors que leur nombre augmente depuis les années 1970. Isabelle Lacroix, s’est intéressée à l’invisibilité de ces militantes. « L’actualité liée au groupe a été et reste couverte par des journalistes hommes, dont les informateurs sont des hommes », analyse la chercheuse au laboratoire Printemps-CNRS à l’Université Versailles-Saint-Quentin. En France, pays moins touché par les attentats indépendantistes que l’Espagne (3 morts contre 826), elles sont relayées dans l’imaginaire collectif à l’arrière, au rôle de « petites mains ».
Au-delà du traitement médiatique, au cœur de l’organisation elle-même, la construction du héros rime avec masculinité. « Il est antinomique d’être mère et de prendre les armes. L’Hagiographie militante prône le héros masculin, le fils, le frère. La femme est une gardienne de la maison, représentante de la patrie et de la fertilité. Elle est centrale dans les rites funéraires en faveur des hommes. La transmission idéologique aussi était perçue comme émanant du père vers le fils, voire la fille, mais jamais de la mère à la fille », poursuit Isabelle Lacroix. En Espagne, certaines militantes sortent de l’arrière, comme Idoia Lopez Riano, incarcérée pour la mort de 23 personnes entre 1984 et 1986. Ultra sexualisée, la presse l’a surnommée « la tigresse ». Seul instant de médiatisation importante des nationalistes basques femmes : le processus de paix et de désarmement du groupe amorcé en septembre 2010. Plus pacifiques que les hommes dans les normes de genres, elles sont alors mises en avant par l’organisation.
D’Action Directe, aux autonomes en passant par ETA, alors que les criminelles politiques revendiquent leur acte assassin comme purement militant, l’opinion le leur confisque. Pas de doute, en France, prendre les armes pour ses idéaux reste bien une affaire de bonhommes.
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