Environnement

Les gangs de producteurs de MDMA sont une menace écologique pour l’Europe

Nederlandse en Belgische drugsbendes vervuilen het milieu met MDMA en synth

Le Brabantse Wal, à la frontière entre les Pays-Bas et la Belgique. En mars, Erik de Jonge, garde forestier, était appelé suite à la découverte d’un étrange tas de branches et de feuillages dans une clairière de la réserve naturelle du Brabant, sur la frontière néerlando-belge. Sous les débris, le garde forestier était surpris de trouver, et de sentir, une fosse profonde et suintante, recouverte d’une boue noire toxique et d’une mousse blanche à l’aspect tout aussi répugnant.

Des tests effectués ultérieurement ont révélé que c’était le plus gros exemple jamais découvert de ce que les autorités néerlandaises appellent désormais des « drug pits » ou fosses à drogue. Des fosses dissimulées, utilisées par les gros producteurs de MDMA et de speed qui fabriquent dans le pays, afin de se débarrasser des tonnes de déchets toxiques issus de leurs labos de fabrication clandestins.

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Les autorités estiment qu’il faudra environ six mois pour nettoyer le site pollué que VICE a pu visiter voici quelques semaines, et qu’il aurait également contaminé les réserves d’eau potable locales et la végétation présente dans la zone. D’après un porte-parole des autorités compétentes, l’endroit aurait été utilisé à plusieurs reprises pour déverser des produits chimiques issus de la fabrication de drogues, et notamment des produits dangereux comme du benzène, du toluène, du propanal et de l’acétone.

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Le drug pit, la fosse à drogue découverte dans la réserve naturelle du Mur de Brabant, en Belgique. Photo : Erik de Jonge

Cette zone utilisée comme dépotoir de produits toxiques est l’un des multiples moyens nouvellement imaginés par les gangs de trafiquants de stupéfiants qui travaillent aux Pays-Bas et en Belgique pour se débarrasser des déchets toxiques issus de la fabrication de MDMA et d’amphétamines dans l’une des régions qui en produit le plus au monde. Si les consommateurs de ces produits sont probablement très au fait du prix d’une pilule d’ecstasy et de ses effets psychoactifs, il y a fort à parier qu’ils sont moins conscients des dégâts collatéraux de cette industrie colossale mais néanmoins illégale, et par conséquent, non régulée.

Les gangs liés au trafic de drogue en Belgique et aux Pays-Bas, qui ont commencé à installer des labos tout aussi toxiques destinés à la fabrication de méthamphétamine et à l’extraction de cocaïne, en plus de ceux, déjà bien implantés, où ils produisent de la MDMA et du speed, procèdent de plus en plus régulièrement de cette manière : ils balancent leurs déchets chimiques dans des réserves naturelles et des espaces forestiers toujours plus éloignés et préservés (avant leur passage) pour éviter de se faire prendre.

« Au cours des 10 dernières années, nous avons découvert énormément de déchets, » expliquait de Jonge. « Certaines années, j’ai trouvé environ 20 ou 30 fosses contenant tout un tas de produits toxiques rejetés par les labos de fabrication de drogues de synthèse. » Sur les 5 dernières années, on dénombre, entre les Pays-Bas et la Belgique, pas moins de 1 178 incidents liés à des dépôts sauvages de déchets issus de cette industrie. Parfois, les produits chimiques sont dans des barils balancés ici ou là, d’autres fois ils sont déversés dans des cours d’eau. Il arrive même que les trafiquants balancent les produits directement depuis leurs véhicules. Les autorités ont trouvé un terme, Drugsafval, pour qualifier tous les déchets balancés par les laboratoires de fabrication de drogues de la région.

Aux Pays-Bas, des trafiquants de drogue jettent de plus en plus régulièrement leurs déchets, des produits chimiques comme l’ammoniac, dans des fosses à purin. Ensuite, les fermiers, ignorant ce qui a été déversé dans leur fosse, utilisent ce purin pour fertiliser leurs terres, provoquant de terribles dégâts environnementaux, sur leurs cultures et sur la végétation présente. L’Institut médico-légal des Pays-Bas a relevé la présence de résidus d’amphétamine dans l’organisme de pucerons du maïs, montrant ainsi que des créatures vivantes peuvent absorber de tels composés chimiques.

Il est aussi très fréquent que les déchets issus de la fabrication de drogues de synthèse soient déversés dans les toilettes, et par conséquent, dans le système d’assainissement des eaux usées. En mars, en Belgique, un gang avait déversé une telle quantité de déchets de ce type dans le circuit d’évacuation des eaux que l’usine de traitement des eaux usées de toute une région a dû être temporairement mise en indisponibilité. L’acidité des produits chimiques qui avaient été déversés, dont notamment de l’acétone, avait tellement altéré le pH de l’eau de l’usine de traitement d’Aquafin, à Rekem, que toutes les « bonnes » bactéries utilisées pour extraire les polluants de l’eau avaient été tuées. L’usine ne pouvait alors plus s’acquitter de sa mission et traiter l’eau de manière appropriée.

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L’usine de traitement des eaux usées Aquafin à Rekem, en Belgique, ne pouvait plus purifier l’eau à cause des déchets chimiques balancés dans les égouts. Photo : Daniela De Lorenzo

Deux employés de l’usine Aquafin qui travaillaient sur le premier service ont été victimes des produits chimiques : « Cela s’est produit vers une heure du matin, lorsque nous avons été alertés, » expliquait Yves Wolfs, coordinateur des équipes de Aquafin, à VICE. « Les vapeurs toxiques qui s’échappaient de l’eau étaient très acides. Mes yeux sont devenus très secs, et j’ai dû me rendre chez un spécialiste des yeux qui m’a demandé de rester en observation pendant 15 jours, » racontait-il. Les produits chimiques, toxiques et corrosifs, ont détruit les gants de protection de son collègue et ont brûlé ses mains. Wolfs, qui travaille sur ce site depuis 25 ans, déclarait que c’était la première fois qu’un tel incident se produisait.

Il a fallu 2 jours de travail pour remettre l’usine en état de marche. Pendant ce temps, les eaux usées n’ont été que partiellement traitées et renvoyées dans les cours d’eau de la région, dans lesquels certains habitants se livrent à la pêche. Joan Deckers, gestionnaire des opérations de Aquafin, expliquait qu’il avait dû ramener 4 camions remplis de nouvelles populations de bactéries afin de restaurer le pH naturel de l’usine de traitement des eaux usées.

Ces dernières années, le nombre de laboratoires clandestins présents aux Pays-Bas et en Belgique s’est multiplié pour répondre à la demande du marché où des produits comme la MDMA jouissent d’une popularité grandissante. Au cours des 5 dernières années, plus de 400 laboratoires ont été saisis et fermés par la police. Et le nombre augmente sans cesse. Ce mois-ci, ce sont deux labos de production d’amphétamines qui ont été découverts dans le Limbourg, en Belgique, avec des quantités de déchets prêts à être déversés on ne sait où, et des déchets et autres produits chimiques liés à la production de drogues ont également été retrouvés dans une cabane, dans le dans le Brabant-Septentrional, de l’autre côté de la frontière avec les Pays-Bas.

Les déchets issus de la production de drogue sont extrêmement acides, notamment du fait de l’utilisation de quantités importantes de solvants. Cette forte acidité va ensuite contaminer l’eau et faire baisser le pH des écosystèmes environnants, et provoquer des dégâts écologiques catastrophiques. Les eaux de surface qui ont été contaminées peuvent être mortelles pour la vie aquatique, les plantes et autres microorganismes vivant dans les cours d’eau et les rivières. Et les sols ainsi empoisonnés peuvent s’avérer toxiques et détruire la végétation locale. En 2019 et 2020, l’Agence belge en charge de la surveillance des sols a été appelée 10 fois pour procéder au nettoyage de sols contaminés dans des zones où avaient été déversés des déchets issus de la production de drogue.

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Des déchets issus de labos de fabrication de drogue, dans un cours d’eau, en Belgique, avant une opération de nettoyage menée par les pompiers. Photo : Police fédérale belge

Le Limbourg est l’épicentre de la production de drogue en Belgique, puisque 60% des labos démantelés se trouvent dans cette province. « Il y a presque toujours au moins un citoyen néerlandais impliqué dans l’installation d’un labo de drogue, » expliquait Carine Buckens, procureure générale du parquet du Limbourg belge.

Une étude datant de 2017 estimait que les laboratoires généraient des quantités de déchets chimiques allant de 6 à 10 kg pour 1 kg de MDMA, et entre 10 et 20 kg pour 1 kg d’amphétamines. Les auteurs de cette étude évaluaient à environ 7 000 tonnes par an la quantité de déchets issus des labos de drogue aux Pays-Bas, et tout de même 1 500 tonnes annuelles en Belgique.

Mais les autorités ne parviennent à localiser qu’une toute petite partie de ces déchets, généralement déversés le long de la frontière néerlando-belge. Entre 2019 et 2020, la police fédérale belge a déterré 375 tonnes de déchets issus de la production de drogue parmi lesquelles, tout récemment, plus de 100 barils bleus et 14 barils transparents découverts dans une forêt près de Zutendaal en avril, et à Bocholt en mai. D’après l’Institut national belge de Criminalistique et de Criminologie (INCC), on ne retrouverait que 20% des déchets balancés par les producteurs de drogues.

Le processus de fabrication de MDMA, de speed et de méthamphétamine est aussi toxique que celui de la cocaïne, et il implique un cocktail de produits chimiques dangereux. Des produits chimiques très acides et des réactifs tels que l’acide formique, le formiate d’ammonium ou le formamide sont nécessaires pour provoquer les réactions chimiques et la cristallisation qui permet de produire de la MDMA. Selon le type de drogue et les méthodes de production, des réactifs de type naphtalène, formamide, méthanol, méthylamine, ammoniac, acide hydrochlorique, acide formique, acide sulfurique, safrole, méthanol, acétone, éthanol ou éther peuvent entrer en jeu dans le processus de fabrication.

La production de méthamphétamine est encore plus toxique que celle de la MDMA et des amphétamines d’après Natalie Meert, experte médico-légale au sein de l’INCC. Elle expliquait que la production des cristaux requiert l’utilisation de mercure. Et d’ajouter que « C’est un métal hautement toxique. » En effet, concrètement, le mercure est une substance polluante persistante, toxique et bioaccumulative. Il s’accumule dans les sédiments qui se déposent au fond de l’eau, et se transforme en méthylmercure, une substance toxique qui peut entrer dans la chaîne alimentaire.

En dehors des risques pour l’environnement, le déversement sauvage de ce type de déchets représente un danger immédiat pour les personnes chargées d’effectuer le nettoyage des zones contaminées et pour celles qui enquêtent afin de trouver les lieux de dépôts sauvages. En Belgique, les pompiers peuvent désormais recevoir une formation pour savoir comment réagir lorsqu’ils se retrouvent face à des dépôts sauvages de déchets issus des labos de la drogue, alors qu’un dépôt de déchets toxiques d’un labo de MDMA dans un canal du Limbourg a contraint les équipes de nettoyage à améliorer leurs équipements de plongée. De manière assez incroyable, des équipes de gardes forestiers spécialisés dans la lutte contre le dépôt sauvage de déchets toxiques dans les parcs et réserves naturelles néerlandaises ont fait l’objet de menaces de la part de gangs. Il convient tout de même de rappeler que ces produits chimiques sont dangereux, aussi, pour les personnes en charge de la fabrication des drogues. Ainsi, en 2019, trois « cuisiniers » néerlandais, ceux qui fabriquent les drogues, ont été retrouvés morts dans un labo de drogue à Hechtel-Eksel, en Belgique, empoisonnés par du monoxyde de carbone.

Au fil du temps, des preuves s’accumulent et semblent indiquer que les producteurs de drogue s’en vont déverser leurs déchets toxiques de plus en plus loin, par exemple à la frontière avec l’Allemagne, où la police locale n’a pas connaissance de cette pratique ni même de l’existence de drugsafval. « Nous avons entendu parler de cas en Wallonie, [la partie Sud et francophone de la Belgique], où la police aurait simplement nettoyé les déchets qui avaient été découverts, sans savoir qu’il s’agissait de déchets issus de la fabrication de drogues, » expliquait Buckens.

Malgré les risques environnementaux qu’implique le trafic de drogue illégal, les autorités ne parviennent pas vraiment à évaluer l’ampleur du problème ou le niveau de dégâts causés lorsqu’elles trouvent ce genre de décharge chimique sauvage.

Le nombre de labos de drogue découverts par la police ne cesse d’augmenter, mais le nombre de décharges sauvages tend plutôt à réduire. D’après les experts, cela pourrait signifier que les trafiquants se débarrassent de leurs déchets dans des endroits de plus en plus reculés. Les lieux où des dépôts sauvages ont été constatés font rarement l’objet d’un suivi, donc les conséquences à long terme de ces déversements de produits chimiques dans l’environnement demeurent incontrôlées.

Buckens, dont le département dépense 500 000 euros par an pour nettoyer les labos de fabrication de drogue et les sites de dépôts sauvages, expliquait ainsi, « Je veux réussir à trouver les labos avant qu’ils n’aillent déverser leurs déchets. » Mais pour l’instant, en Belgique comme aux Pays-Bas, les ressources allouées à la lutte contre ces décharges toxiques restent limitées, et Buckens a dû faire appel aux populations locales pour l’aider dans sa traque des décharges toxiques. Elle a également fait ouvrir une ligne téléphonique anonyme afin que les gens puissent signaler les crimes en lien avec les labos de drogue.

Carine Buckens souhaite éduquer les jeunes et leur expliquer les dégâts collatéraux des drogues récréatives. « Des étudiants ont organisé des marches massives pour le climat, mais ils ne voient pas la catastrophe environnementale qui découle directement de la consommation de ces drogues, » expliquait-elle. Il ne sera pourtant pas facile de les convaincre. Si les dégâts environnementaux causés par l’industrie de la drogue et des stimulants dans le Nord de l’Europe devraient laisser un goût amer dans la bouche de millions de consommateurs de ces produits, il est tout de même peu probable que la demande s’en voie infléchie.

Le Trimbos Institute, une association caritative néerlandaise, avait mené une enquête sur le niveau de préoccupation des consommateurs de drogue par rapport aux crimes et aux dégâts environnementaux liés à la production et à la commercialisation de la drogue. L’association avait même mis en place une expérience virtuelle en 3D pour montrer l’impact des décharges d’ordures issues des labos de drogue sur l’environnement. Et la réponse des consommateurs avait été des plus surprenantes. S’ils se disaient inquiets et préoccupés par les dégâts environnementaux et le crime associés à la production et au trafic de ces produits, les consommateurs de drogue ne se sentaient absolument pas responsables.

Si vous ne pouvez pas empêcher les gens de consommer les drogues qui sont à l’origine de ces dépôts sauvages de déchets toxiques (et ces produits stimulants ne sont pas les seuls à détruire la planète), la meilleure chose à faire est de s’assurer que ces produits sont fabriqués dans des conditions et avec des méthodes qui réduisent les dégâts environnementaux autant que possible. Et le seul moyen d’y parvenir, c’est d’introduire de la régulation. En d’autres termes, de légaliser l’industrie des produits stimulants.

« La MDMA et autres amphétamines sont produites légalement pour les besoins de l’industrie pharmaceutique, dans des cadres contrôlés qui ne débouchent pas sur des catastrophes écologiques comme on en trouve dans l’industrie criminelle de la production de drogues, » expliquait Steve Rolles, du groupe Transform, qui milite pour une réforme de la politique sur la drogue. « C’est la prohibition qui est à l’origine de ces problèmes, et non les produits en tant que tels. Les gouvernements ont la possibilité de réglementer, et de faire un grand ménage dans cette industrie. Mais ils préfèrent ne pas le faire. Dans ce cas, ils doivent assumer la responsabilité de ces drames qui sont totalement évitables. »

La réalisation de cet article a été rendue possible avec l’aide du Fonds Pascal Decroos pour le Journalisme d’Investigation

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