Société

À Kaboul, les femmes se cachent par peur des talibans

Les rues de la capitale afghane étaient désertes au lendemain de la prise du pouvoir par le mouvement islamiste.
Kaboul
Un employé d'un salon de beauté repeint une grande photo de femme sur un mur de kaboul, le 15 août 2021, après avoir appris que les talibans avaient envahi la capitale afghane. Photo : Kyodo via AP Images

KABOUL, Afghanistan – Après le vent de panique qui a envahi Kaboul, les rues de la capitale afghane sont étrangement calmes et désertes. La plupart des habitants, en particulier les femmes, ont choisi de rester chez eux, se demandant nerveusement ce que le retour du régime taliban signifie pour eux. Les entreprises, les magasins et les universités sont restés fermés lundi, au lendemain de la fuite des représentants du gouvernement et de la prise de la capitale et du palais présidentiel par les talibans.

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Si les talibans ont assuré que les femmes pourront conserver leur droit de travailler et d'aller à l'école, nombreux sont ceux qui ne croient pas à ces promesses. « J’avais une vie confortable et satisfaisante. J’allais en cours et au sport comme d'habitude. Je pouvais sortir sans crainte et faire des projets », dit Zainab Hussaini, 22 ans. Aujourd'hui, elle ne sait pas si elle pourra poursuivre son master en politique ou continuer ses séances de sport, qu'elle qualifie de « seules joies dans [sa] vie ».

Mais c'est le dernier de ses soucis. « Je crains davantage les viols et la brutalité pour les femmes, la vie en captivité et la contrainte. J’ai peur que tous nos efforts de ces vingt dernières années soient réduits à néant, poursuit-elle. La vie sous le régime taliban a été une expérience douloureuse dans le passé. On ne sait jamais à quoi s’attendre avec eux. »

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Les rues de Kaboul sont vides le lendemain de la prise de contrôle de la capitale par les talibans. Photo : Hussain Sadat

La journaliste afghane Masooma Bahar, 27 ans, partage les préoccupations de Hussaini. Elle a peur de voir sa vie changer et de retourner à « l’époque très sombre » du précédent régime taliban, qui a été renversé il y a une vingtaine d'années. « J’ai peur qu'ils restreignent la liberté des femmes, dit Bahar. Elles qui ont travaillé si dur, qui ont fait tant de progrès, qui ont accompli de grandes choses pour le pays et pour elles-mêmes… »

La peur de la mort est particulièrement répandue chez les femmes indépendantes qui ont défié les attentes des talibans, notamment lorsque des combattants armés parcouraient les rues.

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« J’ai peur de ce que les talibans vont faire de moi, s’inquiète Nilofar Bayat, athlète nationale et militante pour les droits des femmes. Ils sont devant chez moi. Je ne peux pas sortir et je ne suis en sécurité nulle part. Ils vont me tuer. Ils n'aiment pas les femmes comme moi. »

« Je ne peux pas sortir et je ne suis en sécurité nulle part. Ils vont me tuer. Ils n'aiment pas les femmes comme moi. »

Le gouvernement taliban a été au pouvoir en Afghanistan de 1996 à 2001, date à laquelle il a été renversé par un gouvernement soutenu par les États-Unis. Il avait imposé de fortes restrictions : les femmes n’avaient pas le droit d'aller à l'école, de travailler ou de faire du sport. La musique, le cinéma et la télévision étaient interdits. Il a été accusé de diverses violations des droits de l'homme, notamment en raison de son interprétation radicale de la charia, y compris des châtiments comme la lapidation et les amputations.

Dans une interview accordée à la BBC, le porte-parole des talibans, Suhail Shaheen, a tenté de rassurer les femmes en leur affirmant qu'elles n'ont rien à craindre et qu’« elles peuvent vivre leur vie normalement ». « Elles ne doivent pas avoir peur. Leur droit à l'éducation et à l'emploi est là, a-t-il dit dimanche. Nous nous sommes engagés à respecter cela. » Il a ajouté que les talibans ne chercheraient à se venger de personne.

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Les magasins, les écoles et les entreprises sont restés fermés à Kaboul le lendemain de la chute du gouvernement. photo : hussain sadat

Mais alors que la ville attend la suite des événements et que les talibans cherchent à obtenir un transfert officiel du pouvoir dans les prochains jours, les habitants de Kaboul ressentent déjà certains changements. 

Faute de pouvoir fuir le pays, les femmes se sont réfugiées chez elles, alors que le service des passeports restait fermé et que l'aéroport de Kaboul sombrait dans le chaos. Des commerçants ont enlevé des photos de femmes des murs de leurs magasins et de leurs salons de beauté. À la télévision, les émissions habituelles ont été remplacées par des programmes religieux, bien que Shaheen ait promis que la liberté d'expression et de parole serait respectée. Certains programmes d'information locaux étaient encore diffusés au moment de la publication de cet article.

Ces dernières semaines, alors que les États-Unis finalisaient le retrait de leurs troupes après 20 ans de guerre, les talibans ont gagné des territoires à un rythme effréné, prenant le contrôle de villes clés, ce qui leur a permis de prendre rapidement le pouvoir dans le pays. 

La situation est d'autant plus difficile pour les femmes, qui se sentent frustrées par ce qu'elles perçoivent comme une trahison de la part des États-Unis, un sentiment partagé par de nombreux Afghans pris au piège de l'incertitude et de la peur.

« Tant que les troupes américaines étaient ici, en Afghanistan, tout le monde pouvait vivre normalement, dit Bahar. Dès que les Américains sont partis, les irrégularités et l'insécurité sont revenues. »

De son côté, Hussaini souhaite que le reste du monde sache à quel point la situation des femmes est mauvaise et demande à la communauté internationale et aux Nations unies de ne pas détourner le regard de ce qui se passe en Afghanistan. « Les autres pays ne devraient pas sacrifier des personnes à cause de leurs politiques, dit-elle. Ils ne devraient pas empêcher les femmes de réussir. »

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