Culture

Comment combler le fossé entre la culture ballroom et le monde extérieur

FOR ALL QUEENS! continue sa lutte contre l'appropriation de leur culture avec « SO YOU WANNA VOGUE, HUH ?! ».
For All Queens
Photo : Burezi

Avec des émissions comme Pose et Legendary ou des chorégraphes de la scène qui travaillent avec les plus grosses stars de la pop, la ballroom a conquis le monde. Et c'est cette même ballroom qui gagne les clubs maintenant que la vie nocturne s'est réveillée de sa plus longue trêve (forcée). C’est suffisant pour faire la fête, à condition de célébrer les bonnes personnes. C’est ce que le collectif bruxellois FOR ALL QUEENS ! (FAQ !) veut rappeler. 

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Le 1er octobre dernier, FAQ! a diffusé SO YOU WANNA VOGUE, HUH ? en éclatant les limites du superficiel – un docu-fiction sur la ballroom qu'iels ont réalisé avec le Kaaitheater et Enfant Terrible Films. Le film est un mélange de cours d'histoire donné par Zelda Fitzgerald, d'infos exclusives tirées d'une conversation intime entre acteur·ices – la légendaire pionnière Mother Lasseindra Ninja, Mother Naimah Milan, Princess Gaby Vineyard et Perry Gits – et d'interludes. Après la première, Kopano Tiyana Maroga a modéré un aftertalk qui pourrait avoir des répercussions bien au-delà des murs du Kaaitheater.

Virez les noguers !

« SO YOU WANNA VOGUE, HUH ?! » est né d'une nécessité : ça part d’un projet tombé à l'eau à cause de la pandémie. FAQ! a saisi l'occasion de faire matcher les points en recentrant les protagonistes de l'histoire de la ballroom, mais aussi de célébrer simplement la ball culture dans toute sa polyvalence. « La plus grande motivation au moment de faire ce projet, c'était les noguers que je voyais autour de moi », introduit Zelda Fitzgerald après la projection. Les noguers, c’est les personnes qui prétendent être des danseur·ses de Voguing, mais qui n'ont en réalité rien à voir avec cette culture.

« La plus grande motivation pour ce projet, c’était les noguers que je voyais autour de moi. » – Zelda Fitzgerald

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En quoi c’est un problème ? « Je vois des gens qui me connaissent personnellement et qui likent des posts de noguers, poursuit Zelda. Je vois des institutions et des orgas qui bookent des noguers. Je vois des noguers accumuler un nombre toujours plus élevé de followers. C'est très frustrant parce qu'après je me dis : attends, est-ce que t’as déjà participé ? Parce que moi, je t'ai jamais vu·e. » Ça va de soi, c’est pénible quand des gens copient quelque chose, s'approprient votre culture et en tirent des revenus – en espèces ou en prestige. C’est d'autant plus douloureux que cette appropriation est le prolongement d'un mode de pensée colonialiste avec lequel les Blanc·hes ont volé les cultures noires pendant des décennies.

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Hommage aux personnes trans noires et aux anti-conformistes du genre

Bien sûr, c’est tentant d’être attiré·e par des choses aussi glam qu'une ballroom. La confiance en soi que ça procure, les vêtements, le maquillage et, évidemment, la chorégraphie ; tout ça inspire. Mais il faut pas oublier non plus que ces choses ne sont pas arrivées là par hasard. C’est le résultat d'un travail acharné et d'un apprentissage inter-communautaire. Ça va bien au-delà qu’une simple danse un peu hot sur Vogue de Madonna lors d'une soirée à la maison. La ballroom est souvent réduite au Voguing, mais dans SO YOU WANNA VOGUE, HUH ?!, l'attention est portée sur les différentes strates de la ballroom, à partir de ses figures centrales. 

« Cette confiance en soi que beaucoup de gens dégagent ici, on a contribué à la construire. » – Lasseindra Ninja

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« Il y a beaucoup d'autres choses que le Voguing sur lesquelles se concentrer, dit Lasseindra Ninja. D'abord, l'estime de soi. C’est rare de l’avoir quand on commence. Ça se construit. Les gens sont attirés par le contenu divertissant, mais il s'agit avant tout de se focaliser sur les personnes qui font cette culture. » Parmi ces personnes, Lasseindra tient à souligner que les femmes trans noires sont des figures centrales : « Sans nous, vous n'êtes rien. Cette confiance en soi que beaucoup de gens dégagent ici, on a contribué à la construire. » Un peu plus de respect pour ces pionnier·es ne serait pas de trop, que ce soit dans les communautés LGBTQIA+ au sens large ou dans les communautés hétéro, parce qu’on est tou·tes bénéficiaires de cette liberté d'expression pour laquelle iels se battent encore. 

Gaby Vineyard pense également qu'il est important que les bonnes personnes soient mises en lumière, mais souligne également la spécificité du contexte européen : « Il y a tellement de scènes différentes en Europe et bien sûr, il y a toujours du blackness dans ces scènes, mais dans certains pays, il n'y a pas une seule personne noire dans la scène locale. Alors j'essaie de rappeler aux gens qui sont les pères fondateurs et les mères fondatrices. C'est même pas toujours une question de manque de respect, parfois on oublie simplement. Bien sûr, en tant que mec blanc, vous pouvez faire partie de la scène – et c'est cute – mais n'oubliez pas qui est à la base de la ballroom et respectez les queens fem noires, point final. » 

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Une performance à la croisée des chemins entre exotisation et empowerment

Kopano Tiyana Maroga perçoit un autre point de tension dans le contexte européen de la ballroom : « En Europe, il y a une tendance à exotiser et à sexualiser les corps noirs, et bien sûr, la catégorie des Sex Siren ne fait que célébrer cette sexualité. » Comment Naimah et Perry gèrent cette tension entre exotisation d'une part et célébration du fait d'être noir·e d'autre part ? « Ce que j'essaie d'exprimer, c'est qu'on peut se sentir bien dans sa peau, quelle que soit la couleur de ses hanches, etc. », explique Naimah. Ç’a été un parcours difficile pour elle, mais la ballroom lui a permis de retrouver cette confiance.

« On vit dans un système super raciste, de suprématie blanche, et c’est des choses auxquelles on sera toujours confronté·es, tout en célébrant notre beauté et notre talent. » – Kopano Tiyana Maroga

« Pour moi, c’était un vrai long process en tant que figure masculine noire, confie Perry. Les codes de beauté restent la peau blanche, et une texture de cheveux différente. La ballroom n'y a pas échappé. » Selon lui, ça commence à changer, mais quand il a débuté, c'était surtout des hommes à la peau claire qui étaient en place, « et ce colorisme n'a pas disparu ». La ballroom reste une communauté ancrée au sein d’une communauté plus générale, et il est difficile de rompre avec les dynamiques de pouvoir. « Le fait qu’on ait un espace pour la ballroom ne signifie pas que cet espace soit complètement safe ou parfait », remet Kopano Tiyana Maroga. Lasseindra ajoute : « On vit dans un système super raciste, de suprématie blanche, et c’est des choses auxquelles on sera toujours confronté·es, tout en célébrant notre beauté et notre talent. »  

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Combler le fossé entre la ballroom et le monde extérieur

Le fait que la ballroom soit une communauté en soi au sein d'une communauté plus large est également essentiel dans le travail de FAQ!. « Avec FOR ALL QUEENS!, vous faites un gros travail pour la communauté : que ce soit via le compte Instagram, sur un événement à BOZAR... Vous êtes toujours au centre de la communauté. », déclare Marogo. Pour ce faire, FAQ! doit servir de passerelle entre la communauté et les institutions culturelles. Comment ? « C'est intense, avoue Zelda. En fin de compte, ça reste votre employeur. Par ailleurs, il s'agit aussi de notre expérience de vie, ou du moins de celle des personnes qui nous sont chères. On se bat constamment pour qu'elles soient mises en valeur. » 

Pourquoi prendre un tel risque ? « C'est pas quelque chose que j'ai nécessairement choisi de faire. Vous pouvez aussi foutre tout ça en vrac dans une sorte de gymnase et organiser rapidement un événement. Mais bon, par le plus grand des hasards, on nous a lâché·es dans cet enchevêtrement d'institutions, et c’est là que je me suis dit : OK, c’est là qu’on peut se faire de l’argent avec ça. » Cet argent rend les choses plus intéressantes, parce qu’au lieu d'organiser des événements qui ne permettent pas de payer les gens, FAQ! peut maintenant organiser quelque chose pour et par la communauté où les gens sont rémunéré·es de façon juste. Et ça n’enlève rien au fait que ce soit chaud : « Parfois, on a l'impression d'être pris·es en otage. Tu peux pas dire ce que tu veux, parce qu’en face t’as ton employeur·se, alors que t’as juste envie de gueuler. » 

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« On peut tou·tes faire des posts sur les réseaux sociaux sur l'importance des femmes trans noires pour les communautés LGBTQIA+ ou avec #blacklivesmatter, mais on n'a pas toujours l'impression que les gens savent de quoi ils parlent. » – Zelda Fitzgerald

Comment faut-il parler de la ballroom selon Zelda ? « Je veux que toutes les personnes queer non-noires soient honnêtes avec elles-mêmes et entre elles. On peut tou·tes faire des posts sur les réseaux sociaux sur l'importance des femmes trans noires pour les communautés LGBTQIA+ ou avec #blacklivesmatter, mais on n'a pas toujours l'impression que les gens savent de quoi ils parlent. » Il faut avoir le courage d'admettre qu'on ne sait pas toujours tout sur tout. Ça ne signifie pas que vous devez demander à quelqu'un d'autre de faire le travail à votre place. Il faut se renseigner sur ses sources : se documenter, lire et apprendre. 

La ballroom c’est beau, inspirant et puissant, et FAQ! avec SO YOU WANNA VOGUE, HUH ?! en est une magnifique preuve. Tout le monde peut en témoigner. Tout le monde peut et doit profiter des libertés acquises par les porte-étendards de la ballroom, et on leur doit respect et amour. Comme le dit Lasseindra Ninja dans le film : « Si tu viens chez moi, tu ne vas pas ouvrir le frigo et prendre quelque chose avant que je te le propose. »

Plus de FOR ALL QUEENS!? Le collectif organise l’événement « Dag Sinterklaas » le 4 décembre à Anvers. Plus d'infos via la page Instagram de FAQ!

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