Environnement

Le médecin indien, la panthère, le léopard et la ville ukrainienne désertée

Girikumar Patil et ses deux fauves sont les derniers habitants de Severodonetsk.
Pallavi Pundir
Jakarta, ID
Ukraine animaux
Girikumar Patil travaille dans la région du Donbass et s'est dit ouvert à une évacuation s'il peut partir avec ses « enfants », une panthère et un léopard.

Ces deux dernières semaines, Girikumar Patil s’est lancé dans une nouvelle routine. Cet habitant de Severodonetsk, ville située dans la région du Donbass, au sud-est de l’Ukraine, attend chaque jour la fin du couvre-feu à 8 heures pour se rendre dans les bourgades voisines à la recherche de cinq kilos de viande. 

Une fois ses emplettes terminées, il retourne dans son bunker avec ses deux « enfants », Yasha et Sabrina, jusqu’au matin suivant et sa quête quotidienne de barbaque. Alors que l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe continue, la ville de Patil a été complètement abandonnée par ses habitants. Il est un des rares à être resté. 

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Dans le Donbass, la présence de soldats russes n’est pas nouvelle. Les forces ukrainiennes et les séparatistes pro-russes s’affrontent depuis 2014 dans un conflit qui aurait déjà fait 14 000 morts. Mais la guerre menée par Poutine a fait fuir les derniers voisins de Patil.

« Je ne partirai pas sans mes enfants », a-t-il confié à VICE World News dans une interview vidéo, alors que Yasha se déplace derrière lui. Yasha a vingt mois. Elle est le fruit d’une union entre un léopard de l’Amour mâle et une femelle jaguar noire. Quant à Sabrina, c’est une panthère de six mois. Le trio formé par Patil et ses deux animaux de compagnie traverse le conflit ensemble. 

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Girikumar Patil dit qu'il rêve d'avoir des fauves comme animaux de compagnie depuis tout petit. Photo : Girikumar Patil

« La situation est très dangereuse. On est entouré de Russes et la sécurité est de plus en plus précaire. Mais je vais rester avec elles jusqu’à mon dernier souffle », confie le docteur en orthopédie de 40 ans.

Patil est originaire de l’Andhra Pradesh, État du sud de l’Inde. Il est arrivé en Ukraine il y a 15 ans pour décrocher son diplôme de médecine. Depuis le début des hostilités, le 24 février dernier, plus d’un million de personnes ont déjà quitté un pays qui en compte 44 millions. Patil fait partie de ceux qui ont décidé de ne pas bouger. Résidant étranger, il n’a pas pour obligation de rester et de rejoindre les forces armées ukrainiennes comme les citoyens masculins. Des centaines d’étrangers qui vivaient en Ukraine ont aussi plié bagage ces deux dernières semaines.

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« Je ne peux pas vivre sans elles et elles ne peuvent pas vivre sans moi » - Girikumar Patil

Dans cet exode, certains ont pris des mesures extraordinaires pour que leurs animaux de compagnie les accompagnent. Nombreux sont ceux qui refusent de les laisser derrière eux et donc de partir.

Avant la guerre, Patil documentait déjà sa vie sur ses quatre chaînes YouTube, dont une accumule plus de 16 millions de vues. À travers ses vidéos, il décrit aujourd’hui la cohabitation avec ses deux fauves et ses journées en solitaire. Les lois ukrainiennes permettent de garder des animaux sauvages tant que le propriétaire parvient à obtenir un permis gouvernemental.


Sur le trajet de ses dernières courses, lundi 7 mars, Patil dit qu’il a été arrêté par des soldats. « Ils ont pointé leurs armes sur ma poitrine et ont voulu vérifier mon identité. J’ai eu de la chance de pouvoir rentrer chez moi entier », raconte-t-il. « Je ne sais pas de quel camp ils étaient, probablement des Russes. »

Patil aime les animaux depuis sa plus tendre enfance. Il a d’abord eu pas mal de chiens et de chats. « En Andhra Pradesh, près de chez moi, il y a une forêt. Quand j’étais enfant, on y allait à la recherche de grands félins », se souvient-il. « Une fois, quelqu’un qui m’a dit qu’un léopard ou un tigre se cachait dans une grotte. Je suis allé voir immédiatement. C’est pour vous dire à quel point j’aime ces animaux. »

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Patil vit dans une baraque à deux étages et six pièces entourée d’un enclos d’environ 200 mètres carré. Yasha et Sabrina ont chacune leur chambre. Quand le couvre-feu est levé dans la journée, les trois font se balade dans l’enclos. Parfois, ils vont dans la forêt avoisinante où les animaux peuvent courir et jouer. « Je ne peux pas vivre sans elles et elles ne peuvent pas vivre sans moi », assure Patil.

Garder deux fauves chez soi a un coût. « Je suis docteur et je fais fonctionner quatre chaînes YouTube, mais j’utilise la totalité de mes revenus pour m’occuper d’elles », précise-t-il. « J’ai vendu tout ce que j’avais, comme mes voitures, pour pouvoir subvenir à leurs besoins. »

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Depuis le début de la guerre, Patil attend la fin du couvre-feu pour sortir ses deux fauves. Photo : Girikumar Patil

Jusqu’ici, Patil dit que personne ne lui a demandé de partir. Ce week-end, il a fait appel au gouvernement indien, à travers plusieurs titres de presse, et envisage une évacuation seulement s’il peut prendre avec lui ses deux animaux. Problème, la loi indienne empêche de posséder des fauves sans un certificat de propriété qui n’est généralement attribué qu’aux zoos. Il ne veut pas les abandonner dans la forêt parce qu’il a peur « des chasseurs et des braconniers qui les tueraient au bout de quelques heures seulement ». Le zoo le plus proche étant à des centaines de kilomètres, il est hors de question d’y amener Yasha et Sabrina, ajoute-t-il.

« Si le gouvernement indien les met dans un zoo, à quoi bon partir ? », s’interroge-t-il. « C’est impossible pour moi d’être ailleurs qu’ici, et sans elles, je ne veux être nulle part ailleurs ».

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