Société

Laissez-moi prendre du poids et porter mon jogging moche tranquille

Foutez-nous la paix tous les jours mais, putain, surtout ces temps-ci.
confinement prise de poids
Photo Mediaparts

« Comment va t-on faire si on ne peut plus aller chez le coiffeur », s’inquiétait une journaliste de Fox News à propos du confinement. Je croyais que l’information m’avait glissé dessus. Mais depuis j’y repense. Pour être honnête, je ne l’ai même pas trouvé si choquante que ça cette remarque. Et puis, quelques jours après cette mémorable sortie, une amie m’a déposé une teinture Garnier châtain foncé naturel. Oui, je n’avais plus envie de voir mes racines blanches, même confinée. Je les aime bien quelque temps, ensuite elles m’insupportent. C’est comme ça. Je n’ai pas à m’en justifier. Et oui, je déteste la multiplication des articles injonctifs de ces dernières semaines, qui rivalisent de dégueulasserie pour nous dire de rester minces et belles, « surtout les filles habillez-vous bien dès 8 heures du matin, cuisinez du céleri-rave et faites attention à vos poils, malheureuses ! »

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Levers de boucliers face aux « trois erreurs qui enlaidissent lors d’une conversation vidéo ». Bon, moi j’ai beau ruiner ma palette d’ombres à paupières 45 couleurs mordorées, comme quasiment tous les jours depuis x années, je me trouve toujours moche en visio. Que celui ou celle qui se trouve sexy face à sa webcam me jette le premier tweet. Ou alors vous avez un filtre pour effacer les cernes. Regardez-vous face cam, cette saleté de contre-plongée, cette lumière, vos défauts – si, vous êtes moche. Et tout à coup, au milieu des habituels nullissimes « comment ne pas prendre 3 kilos (voire plus) » – sous-entendu 3 kilos c’est déjà limite après vous n’êtes plus sortable et autres « astuces anti grignotage », la palme revient à l’article de Marianne, élégamment titré « nos conseils pour ne pas ressembler à Chewbacca ».

Pardon, mais si la période du confinement nous donne envie de ressembler à un wookie, on a le droit. Le mantra de nos adolescences mouvementées (oui, on a porté des t-shirts tie and dye) est valable à vie : on fait ce qu’on veut. Pire, amis inconnus vitupérants, on peut, dans la même semaine et selon notre humeur, être Chewbacca ou la princesse Leia. Quelles que soient les injonctions, à être poilue ou glabre, elles me fatiguent. Encore plus osé (les masculinistes, fermez les yeux) : on peut garder nos poils aux jambes ET refaire sa manucure chaque jour. C’est un peu touchy, je sais. Ma gueule, mes cuisses, ma peau, ne sont ni le problème des magazines qui voudraient que j’utilise le rouge Dior ultra care pour une visio acceptable alors que je me tape un demi-morbier odorant à 16 heures, ni celui de ceux qui voudraient que je ne mette plus jamais de vernis jaune poussin parce que ce serait la quintessence du plus vil des patriarcats.

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« Je veux pouvoir prendre 20 minutes pour me maquiller avec soin et enfiler mon jogging difforme dans la foulée »

Le pire serait donc de « se laisser aller ». Le site de Marie France déclare la « guerre aux poils » et s’inquiète de notre épilation intégrale, de notre prévoyance de l’achat de cire chaude pré-confinement, et, surtout, de « l’interfessier » et du fait que « sans esthéticienne, il va falloir se débrouiller ». La galère les meufs. Je dois avouer que quand on m’a parlé pandémie, virus inconnu et possibilité de mourir après des jours en réanimation, j’ai pensé à mon interfessier. Pas vous ? Je vous trouve bien légères. Si vraiment vous ne savez pas faire, cachez ce cul que nous ne saurions voir avec les « 15 robes sensuelles pour un look homewear réussi ». D’ici peu, il faudra en plus faire du yoga et arrêter les apéros. On va se retrouver à errer dans l’appart avec un verre d’eau citronné, sylphide dans notre robe d’intérieur satinée, le fessier lisse, la bouche pulpeuse de gloss, les gambettes douces comme l’éclosion des fleurs au printemps, après avoir fait notre pain aux graines. Plutôt braver le confinement que devenir cette créature éthérée.

Donc foutez-nous la paix tous les jours mais, putain, surtout ces temps-ci. Pour rappel, nous sommes à la fois l’origine du monde et celles qui le faisons majoritairement tourner aujourd’hui, en pleine pandémie. J’admire ces femmes et ces hommes qui sont sur le terrain. Mais encore 15 jours, et je vois déjà les titres : « Infirmières, comment enlever les traces de son masque FFP2 après 12 heures de travail éreintant », « Cinq looks pour porter la blouse d’hôpital » et autre « Le couvre-chaussure jetable, une insulte aux escarpins ». Vous en seriez capable, sans honte aucune.

Quant à nous, les confiné(e)s du canapé, on a juste à attendre, bordel. Et patienter avec vos conneries de « 10 conseils ultimes pour ne pas prendre un kilo », ça fout la rage. Je veux pouvoir prendre 20 minutes pour me maquiller avec soin et enfiler mon jogging difforme dans la foulée. Garder mes poils 6 jours puis m’en débarrasser plus tard, dans un nuage de mousse à raser. Remettre mon jogging, encore plus difforme. D’ailleurs, je ne l’ai même pas lavé depuis le début du confinement. Et ouais. Et puis parfois j’enfile un jean tendance, un joli haut, des socquettes pailletées et des baskets de folie. J’ai le droit d’assortir mon masque chirurgical de courses avec mes boucles d’oreilles vert d’eau, d’avoir les cheveux crades, les sourcils qui repoussent, de faire de ma pince à épiler ma BFF ou de garder mes poils sous les bras. Je suis parfois démaquillée, parfois apprêtée comme pour un mariage, parfois pimpante, parfois sale, et c’est uniquement à moi que ça doit faire du bien. Je veux être bien dans ma saleté, dans ma beauté, avec une grosse boîte de bonbons à la gélatine. M’enquiller 500 grammes de torsades derrière, baignant dans la crème et le gruyère. Et si je prends ces trois kilos, je ressortirais les jeans que j’avais gardé quand je faisais une taille au-dessus.

Notre corps est mouvant. Si notre liberté physique est actuellement entravée, notre liberté intellectuelle est intacte, et totale. On ne vacillera pas plus sous les injonctions, d’où qu’elles viennent, confinées que libres. On se lève. On vous emmerde. On se casse. Dans l’autre pièce.

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