Les coutumes, traditions et tabous autour du cheval diffèrent pas mal d’un pays à l’autre. Pour certain·es, c’est un animal presque divin, pour d’autres, c’est un moyen de transport et une denrée alimentaire. Fascinée par les différences concernant le statut du cheval selon les cultures, Heleen Peeters (33 ans) a voyagé dans dix pays sur quatre continents pour les dépeindre. « Manger un cheval, c’est comme manger son propre enfant », a-t-elle par exemple entendu de la bouche d’un Américain lors de son voyage.
Heleen est bien placée pour comprendre l’émotion que les chevaux peuvent provoquer chez les gens puisque son grand-père a fondé Equinox, une entreprise de viande chevaline située près d’Anvers.
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VICE lui a posé quelques questions sur son enfance, sa relation avec le cheval, et livre Horse, qui reprend les images sans filtre qu’elle a capturées durant ses voyages.
VICE : Salut Heleen. Ça fait quoi de grandir en tant que fille d’un marchand de viande de cheval ?
Heleen : J’ai grandi dans un village où tout le monde se connaissait. La plupart du temps, je n’avais donc pas à expliquer ce que faisait mon père. Seul le manège local n’appréciait pas vraiment. Mes premières semaines de cours d’équitation étaient chouettes, mais dès que le moniteur a su que ma famille était dans le commerce de la viande, je n’ai pu monter qu’un poney qui était toujours derrière parce qu’il donnait des coups aux autres chevaux. Du coup, ma carrière de cavalière n’a pas fait long feu.
Dans quelle mesure ta famille a participé à ce projet photo ?
J’ai beaucoup voyagé pour ce projet. La première destination, c’était le Kirghizistan. Au bout de deux semaines, j’ai appelé mon père pour lui raconter ce que j’avais appris sur les coutumes locales concernant la viande de cheval. Il était enthousiaste et a immédiatement réservé un billet d’avion pour Bichkek (la capitale du Kirghizstan) pour m’accompagner pendant le reste du voyage.
On a fait tous les autres voyages ensemble. D’ailleurs, la présence de mon père m’a aidée. Les médias sensationnalistes ont tendance à véhiculer une image négative de l’industrie de la viande chevaline, mais les boucheries et les abattoirs qu’on a été voir étaient moins craintif·ves, vu le background de notre famille. On nous a fait confiance pour qu’on puisse montrer des images honnêtes.
Je trouvais ça assez spécial de voyager avec mon père. Sur la route, il me racontait des histoires sur mon grand-père et l’entreprise familiale. À l’époque, j’étais la seule de la famille qui ne participait pas au business de l’entreprise. J’ai aussi pu me faire une idée plus spécifique du secteur dans lequel iels travaillent chaque jour.
Dans ton livre, tu dis que manger de la viande de cheval remonte à la période glaciaire. Ça date de quand, le tabou autour de la consommation de viande de cheval ?
Il y a des découvertes d’os de chevaux à Solutré, en France, et des peintures rupestres à Lascaux qui montrent que le cheval était une proie populaire des chasseurs de l’ère glaciaire. Dans de nombreuses civilisations anciennes, le cheval était une source importante de nourriture.
Le tabou sur la viande de cheval a une base religieuse. Le pape Grégoire III a interdit la consommation de viande de cheval en 732. Certain·es disent que l’interdiction visait les rituels païens des peuples germaniques, qui sacrifiaient des chevaux et mangeaient la viande pendant les fêtes religieuses. D’autres pensent que le pape avait besoin des chevaux pour ses troupes lors de la bataille contre les Lombards et voulait donc éviter que les animaux ne finissent à la casserole. Depuis, la viande de cheval a mauvaise réputation. Elle n’était consommée qu’en période de pénurie et seulement par les plus pauvres.
Et toi, comment tu te positionnes ? T’en manges ?
Je ne mange pas souvent de la viande, mais j’aime bien manger un peu de viande de cheval de temps en temps. En soi, j’ai grandi dans une culture où c’est normal d’en consommer. Quand je mange de la viande, j’essaie toujours d’obtenir des produits de qualité à la boucherie. La viande de cheval est un choix sûr à ce niveau. En fait, c’est un produit durable. Les chevaux ne sont pas élevés pour leur viande. Plus le cheval est âgé, meilleure est la viande. C’est le contraire du bœuf par exemple, où un animal plus jeune produit une viande plus tendre. Les chevaux sont élevés comme animaux de loisir. Ça veut dire qu’ils ont généralement eu une bonne vie avant de se retrouver à l’abattoir.
Aux États-Unis, il y a eu une controverse à ce sujet et, depuis environ 15 ans, il n’y a plus d’abattoirs. Il se passe quoi avec les chevaux dont on ne veut plus ?
Aux États-Unis, les chevaux ne peuvent pas être abattus, mais ils peuvent être vendus et expédiés vers d’autres pays où l’abattage est autorisé. Depuis la fermeture des abattoirs, un marché s’est développé pour les acheteur·euses qu’on appelle les « kill buyers ». Iels parcourent tout le continent américain pour acheter des animaux. Les chevaux sont ensuite transportés jusqu’à la frontière du Canada ou du Mexique pour être abattus. Beaucoup de chevaux américains finissent à l’abattoir, avec ou sans détour.
Il y a aussi des propriétaires qui ne veulent pas que leur cheval soit vendu à un kill buyer, mais qui, pour certaines raisons, ne peuvent pas garder leur animal. Les centres d’accueil pour chevaux sont complètement remplis, ils n’ont plus de place pour en accueillir des nouveaux. Certain·es propriétaires choisissent alors de laisser leur cheval « en liberté ». On peut trouver plein d’histoires sur internet sur des chevaux qui sont abandonnés sur des terrains publics et privés – voire dans la caravane de quelqu’un d’autre.
T’es allée au Kirghizistan pour ton livre photo. Qu’est-ce qui rend la relation du pays avec les chevaux si particulière ?
Au Kirghizistan, les chevaux sont symbole de prospérité. Les animaux sont chers et utiles aux activités quotidiennes. Ils sont utilisés comme moyen de transport, pour la mise à pied du bétail et la production de produits laitiers. Presque tous les sports populaires du Kirghizistan se pratiquent à cheval. Vu que les chevaux sont très importants pour les Kirghizes, la viande se vend très chère. Iels ne servent de la viande de cheval que lors des occasions spéciales, comme une fête de naissance, un anniversaire ou un mariage. La viande de cheval est un mets délicat que les Kirghizes prennent à cœur. En 2016, un Britannique a posté une photo de saucisse de cheval avec la légende : « The Kyrgyz people queuing out of the door for their special delicacy the horse’s penis!!! ». L’homme a été accusé de discrimination et d’incitation à la haine et a dû quitter le pays immédiatement.
C’est tout le contraire d’ici, où la viande de cheval est considérée comme de la viande bon marché de classe ouvrière.
Le livre Horse est en vente sur le site the Eriskay Connection.
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