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Une semaine en mer avec un pêcheur réunionnais

Pêche île de la Réunion

Le générique de Paul le Pêcheur peint avec justesse un horizon de bonheur possible et facilement atteignable ; il se peut même que ce soit l’éloge le plus pur que l’on puisse élaborer sur cette pratique sportive. À cela s’ajoute bien sûr la teinte nostalgique de Chasse, pêche, nature et traditions typiquement française, assez délavée mais non déplaisante.    

J’ai rencontré Gauthier dans les années 2000 à la Réunion. Au lycée, nos vies se ressemblaient assez – on transcrivait nos cours sur des feuilles grands carreaux, en regardant l’océan Indien par la fenêtre –, à cela près qu’entre midi et deux il partait surfer ou pêcher. Ses activités maritimes, qui pouvaient paraître banales à première vue, marquaient en réalité le fondement de sa personnalité. Il n’était donc pas étonnant que, une dizaine d’années plus tard, à l’âge de 27 ans, Gauthier s’établisse en tant que pêcheur professionnel.

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Cela fait aujourd’hui cinq ans qu’il passe le plus clair de son temps au large des côtes réunionnaises, à pêcher des mahi-mahis, des marlins noirs, ou d’autres espèces exotiques aux noms tout aussi merveilleux, pour les vendre aux poissonneries et aux restaurants locaux.

Pour ce nouvel article de la série La Vie des autres, je lui ai envoyé deux appareils photo jetables. À la réception des boîtiers, je lui ai posé des questions sur son boulot – qui l’amène loin de la terre, loin des hommes, loin des emmerdements –, en dissimulant habilement ma jalousie sous ce que certains appellent encore la neutralité journalistique.

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Sur le bateau Sindbad, amarré au port de Saint-Gilles

VICE : Salut Gauthier. Quand as-tu commencé de pêcher ?
Gauthier : Pour m’amuser à l’âge de 4 ans. Mes parents habitaient juste en face de la mer, à côté du port de Saint-Gilles – sur la côte ouest de l’île de la Réunion –, alors forcément j’avais une certaine facilité d’accès. J’y ai vite pris goût.

Ça fait maintenant 5 ans que j’en ai fait mon métier. Avant d’être pêcheur professionnel, j’ai fait d’autres boulots, mais j’ai vite compris qu’être enfermé dans un bureau toute la journée n’était pas pour moi. J’ai alors choisi de vivre de ma passion. J’estime que c’est une chance, même si ce n’est pas tous les jours facile.

Je me souviens que tu surfais beaucoup à l’époque. Avec la menace des requins ce n’est plus vraiment possible ; c’est pour cette raison que tu t’es mis à la pêche au gros à temps plein ?
Il y a un lien très fort entre la pêche et le surf. Les deux se pratiquent en mer, et c’est un milieu que j’affectionne beaucoup ! Comme tu l’as dit, la pratique du surf étant devenue contraignante, voire impossible avec la crise requin, je me suis tourné exclusivement vers cette pratique, puisque c’est le seul moyen d’être en rapport avec l’océan.

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Pour se lancer, il faut faire un investissement lourd j’imagine.
Si tu veux être polyvalent et autonome, il faut beaucoup de matos (cannes, moulinet, leurres et bien sûr le bateau). C’est gros investissement. Je me suis associé avec un ami, Aymeric ; ça nous a permis de nous lancer plus facilement. Avoir un partenaire est aussi hyper important. Déjà on se motive mutuellement, et puis niveau sécurité c’est quand même mieux.

Vous avez un emploi du temps fixe ?
En fait, notre emploi du temps est rythmé par la météo. Quand la mer est belle, on sort tous les jours, du lundi au dimanche, et on y passe en moyenne 10 heures. Mais ce n’est pas tout, il faut compter le temps de préparation à l’aube, et les livraisons en fin de journée. En règle générale, on se lève aux aurores pour préparer le bateau, le matériel et la glace. Puis on va chercher des appâts vivants, pas loin du port, jusqu’au lever du soleil. Ensuite on monte sur les zones de pêche, et on commence à pêcher. Une fois la pêche finie, on retourne au port pour rincer et ranger le bateau, puis on fait la tournée des restaurants pour la livraison du poisson. Ça fait de grosses journées !

Pendant l’été, c’est la pleine saison : le soleil se lève très tôt, à 5 heures, et se couche tard, à 19h30. C’est la période la plus éreintante. Le rythme est très élevé. De manière générale, c’est un boulot qui demande beaucoup d’investissement et de temps. Sans passion, il serait impossible de continuer.

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Tu arrives à en vivre ?
Oui. Mais rien n’est constant. Il y a des mois plus difficiles que d’autres : mauvaise météo, cyclone, panne de bateau, ou tout simplement pas de poissons… Ce sont les aléas de la nature. L’autre problème, c’est qu’il y a beaucoup de poissons d’importation, provenant des Seychelles ou de Madagascar, et malheureusement ce sont eux qui fixent le prix du poisson local.

Ça me rappelle les problèmes des agriculteurs français face à leurs homologues espagnols, par exemple.
C’est la même chose. Le prix de leurs poissons est relativement bas, puisqu’il n’y a pas les mêmes règles là-bas que chez nous, pas de charge sociale, et une main-d’œuvre beaucoup moins chère… C’est dur de concurrencer du poisson qui coûte moitié moins cher que celui qu’on vend. Alors on mise tout sur la qualité du poisson local, pêché du matin, et livré le jour même. Le soir, il peut être dégusté dans les assiettes. C’est quand même génial en termes de fraîcheur !

Tu m’avais parlé des gens sans licence qui prélèvent aussi…
Oui. Il y a beaucoup de personnes qui pêchent en plaisance autour de l’île. Bien évidemment, vendre un peu de poisson pour payer l’essence ou son matos est monnaie courante ici. Et malheureusement, il n’y a pas vraiment de contrôle. On doit faire respecter les règles nous-mêmes, en chassant les bateaux sans licences autour des DCP.

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Les DCP ?
Dispositif de Concentration de Poissons. À la Réunion nous avons des DCP fixes, à ne pas confondre avec les DCP dérivants que les thoniers senneurs utilisent ! Les DCP sont fabriqués avec de la corde et des bouées ; ils recréent une chaîne alimentaire : les algues viennent se fixer sur les bouées et sur la corde, attirant ainsi les alevins, qui attirent les petits poissons, qui attirent à leur tour les poissons pélagiques que nous pêchons.

Je vois. Il y a un lien entre les DCP et la présence des requins autour de l’île à ton avis ?
Pas vraiment. La distance à laquelle sont placés les DCP ne concordent pas avec le problème des requins que nous avons à la Réunion : le requin-tigre, et surtout le requin bulldog, sont des requins connus pour être des requins côtiers. Les DCP sont installés au large.

Tu en vois parfois ?
Oui, mais c’est plutôt rare. Le requin le plus proche que j’ai vu était à 2 milles nautiques [ndlr : presque 4 km] des côtes ; c’était un requin bulldog. Il est venu manger le thon qu’on était en train de pêcher ! Si les requins bulldogs prolifèrent autour des côtes, c’est surtout que la commercialisation de leur chair est interdite (la pêche du requin ne l’est quant à elle pas). Forcément, si vous interdisez sa vente, la pêche est moindre, donc l’espèce prolifère… Mais ce n’est pas pour moi la seule et unique raison du problème requin à la Réunion.

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Vu de l’île, à l’aube, en partance pour le DCP

Sur une photo, on distingue l’ile au fond. Il y a une distance des côtes à respecter ?
On fait de la pêche côtière ; elle est limitée à 20 milles nautiques.

OK. On voit aussi beaucoup de poissons sur tes clichés.
Les courants étaient favorables, c’est pour cette raison qu’il y en a autant. Mais il arrive qu’on n’attrape rien. Le pêcheur qui t’assure qu’il rentrera avec la cale pleine est un menteur !

Vous pêchez à la canne ?
Oui. C’est la technique la plus sélective et la plus éthique qui soit ! Même si le poisson est présent dans la zone, il peut ne pas mordre… Il faut être patient, et être au bon endroit au bon moment.

Et quel est le poisson le plus coriace ?
En termes de poids et de puissance, c’est le thon albacore. Mon record personnel est un marlin noir de 250 kilos. Il m’a fallu cinq heures de combat pour le ramener !  Ce qui n’est pas grand-chose comparé aux 8 heures que j’ai passées face à un autre marlin noir. Mais ce coup-ci, c’est lui qui a gagné : il a réussi à casser la ligne.

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Aymeric avec un thon albacore fraîchement pêché

Il faut s’entraîner physiquement pour la pêche au gros ?
Certains poissons sont beaucoup plus combatifs que d’autres, alors il vaut mieux être en forme. Je n’ai pas d’entrainement particulier, mais je fais du sport toute l’année, ce qui me permet de tenir le coup.

Dernière chose. Tu as pu continuer ton activité avec le Covid ?
On a eu la chance de pouvoir continuer à travailler. On a dû s’adapter et changer radicalement le mode d’écoulement vu que les restaurants ont tous fermé. On a fait beaucoup de vente en direct, à la débarque. On travaille aussi avec une poissonnerie.

Merci Gauthier, et à la prochaine, sur Sindbad peut-être.

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Un marlin et deux daurades coryphènes (mahi-mahi)
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Appâts vivants.
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Dispositif de cannes à l’arrière du bateau

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