Des sphères métalliques qui possèdent une conscience, des créatures aux membres interchangeables comme des Lego et des « elfes-machines » constitués de motifs géométriques entrelacés : ce ne sont là que quelques-uns des êtres inexplicables décrits par des personnes sous N,N-Diméthyltryptamine (DMT), le puissant psychédélique qui permet aux utilisateur·ices de visiter des réalités ou dimensions alternatives pour une durée de cinq minutes.
Voir des choses zarbi lorsqu’on est en plein trip n’est pas vraiment surprenant, mais ce qui est remarquable, c’est bien la régularité avec laquelle certains de ces personnages étranges apparaissent. David Jay Brown est un vétéran de la recherche psychédélique et associé à la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies (MAPS). Il a récemment collaboré avec l’artiste Sara Phinn afin de répertorier ces entités dans un nouveau guide, qui pourrait s’apparenter à une espèce de cryptozoologie interdimensionnelle.
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Les universitaires s’intéressent de plus en plus à cette drogue autrefois obscure et devenue d’autant plus accessible grâce à la popularité des vapoteuses à la DMT. En plus du corpus existant composé des différentes recherches sur les entités, Brown et Phinn ont entrepris de recueillir des témoignages d’utilisateur·ices. Certains de ces rapports proviennent de l’université du Nouveau-Mexique, d’enquêtes menées à l’université Johns Hopkins, de l’Imperial College London et de la chercheuse indépendante Josie Kins, ainsi que de forums dédiés à la drogue comme Erowid et DMT Nexus.
Dans un nouveau rapport du Centre for Psychedelic Research de l’Imperial College de Londres, portant sur les trips sous DMT à « état étendu » – où une infusion intraveineuse maintient les participant·es dans l’univers de la DMT plus longtemps qu’un trip normal – les rencontres avec des entités deviennent fréquentes après une dizaine de minutes. La même université avait déjà publié un article basé sur des milliers de rencontres avec des entités, concluant que la plupart d’entre elles étaient positives et impliquaient des « interactions bienveillantes, réconfortantes, protectrices ou extérieurement altruistes ». Dans les rapports répertoriés par l’université John Hopkins, même des athées convaincu·es avaient déclaré avoir rencontré des « entités autonomes » dans le cadre d’interactions qui « respiraient la joie, la confiance, l’amour et la gentillesse ».
Afin d’en savoir un peu plus sur ces entités mystérieuses et sur les efforts déployés pour les classer, VICE s’est entretenu avec David Jay Brown et Sara Phinn, dont le nouveau livre se veut un bestiaire de type Donjons et Dragons pour ces rencontres dans l’univers psychédélique.
VICE : Quelle est l’origine de ce livre ?
David : Depuis que la DMT a gagné en popularité et que les rencontres avec des entités sont devenues assez courantes, on a pensé qu’il serait utile et amusant de créer un guide pratique illustré et naturaliste – classant les différentes espèces avancées d’extraterrestres en provenance d’autres planètes ou dimensions avec des images et des descriptions qui permettent de les identifier.
Sara : C’est un peu comme un premier contact pour notre espèce. C’est vraiment excitant de vivre ce moment précis où on sent que la culture commune est assez large d’esprit pour les accueillir.
Comment répertoriez-vous ces entités et quels sont les critères pour qu’elles trouvent une place dans ce guide ?
David : On a choisi de dresser le profil de 27 entités à partir de nos expériences personnelles, des expériences de nos ami·es et de différents rapports : ceux que les gens nous ont envoyés, ceux que nous avons trouvés en ligne et ceux provenant d’études universitaires. Afin de voir s’il y avait des recoupements, on a également passé au peigne fin les cas qui rapportent des enlèvements extraterrestres et de contacts avec des ovnis des apparitions féériques et d’autres rapports de contacts avec des entités non humaines.
On a posé plusieurs questions à ces personnes : à quoi ressemblaient les entités et comment étaient-elles visuellement ? Qu’avaient-elles communiqué ? À quoi avait ressemblé l’expérience ? En bref, on voulait récolter autant de détails que possible sur cette rencontre.
Il est intéressant que vous mentionniez les extraterrestres. L’une de mes amies a pris de la DMT et est sortie de son corps. Elle aurait volé jusqu’au bord de l’univers, s’y serait écrasée et se serait « réveillée » sur une table d’opération entourée d’extraterrestres gris en train d’effectuer une procédure.
David : C’est l’un des recoupements entre l’enlèvement extraterrestre et les rencontres sous DMT. Les créatures extraterrestres décrites sont souvent grises. Lorsque j’ai fait ma première percée dans l’hyperespace en 1983, j’ai croisé un être semblable à une énorme mante. Il m’a plaqué au sol et a commencé à faire des expériences, ajustant des choses dans mon cerveau. J’avais l’impression d’être le sujet d’une sorte d’expérience scientifique. Ce phénomène est fréquent chez les personnes ayant rapporté une expérience d’enlèvement extraterrestre. Je pense que ça donne plus de crédit à la possibilité que ces êtres puissent évoluer dans une réalité indépendante. Quelques personnes m’ont également confié que les créatures croisées pendant leur trip leur avaient dit qu’elles prenaient trop souvent de la DMT et qu’il ne fallait plus qu’elles reviennent, tout simplement parce qu’elles s’en trouvaient dérangées.
Sara : Dans le langage argotique familier, on appelle ça une « hyper-gifle ». Quand vous faites l’expérience d’un truc désagréable et qu’on vous dit d’arrêter de le faire si souvent. Je pense qu’il existe un grand nombre d’êtres et de dynamiques, et que cette dimension est un peu comme une jungle : on y croise des créatures sympathiques et des moins sympathiques.
À quoi ressemblent les rencontres les plus inhabituelles ?
David : Certaines personnes ont croisé des êtres dont les parties du corps étaient interchangeables, comme des Lego ; des entités ressemblant à des pieuvres avec de multiples membres ; des sphères métalliques conscientes d’elles-mêmes. Quelqu’un nous a envoyé un rapport sur une entité composée entièrement de graines de tournesol. Si ces créatures ne peuvent pas toutes être rangées dans des catégories précises, il est étonnant de voir à quel point c’est possible pour beaucoup d’entre elles.
Comment se passe la communication avec ces entités ? Les trips en état prolongé sont-ils utiles ?
David : Une partie du problème vient du fait que les gens entrent et sortent de l’expérience très rapidement. Même si ça peut parfois sembler durer une éternité, le pic ne dure généralement pas plus de cinq ou dix minutes, de sorte qu’il est très difficile d’avoir des conversations prolongées avec ces êtres. Je pense que c’est ce que les études sur l’état prolongé vont permettre : des communications plus longues, car il n’est pas vraiment possible d’avoir des conversations approfondies avec ces êtres, même avec une dose plus importante.
Peut-être que ces créatures pourront nous apprendre à créer des machines temporelles, des vaisseaux spatiaux, des moteurs de distorsion ou d’autres technologies insoupçonnées, et il deviendra alors évident qu’elles possèdent une existence indépendante. En ce qui concerne notre livre, on a demandé aux utilisateur·ices de nous expliquer les échanges avec ces créatures. En général on reçoit quelques phrases, tout au plus. Il ne s’agit jamais de longues conversations.
Pourquoi pensez-vous qu’il existe des points communs entre toutes ces expériences ?
David : On change constamment d’avis à ce sujet et on envisage de nombreuses possibilités. On ne s’accroche pas à un système de croyances fixes sur ce que ça pourrait être. Cela dit, la notion d’inconscient collectif et d’archétypes de Carl Jung semble offrir un puissant facteur d’explication. Les attentes culturelles jouent un rôle considérable : l’éducation religieuse pourrait être un élément important, sachant que de nombreux rapports évoquent des divinités hindoues ou bibliques, ainsi que des anges et des démons. Je pense que les conférences populaires de Terence McKenna ont aussi influencé pas mal de gens.
Les recherches en neurosciences et les récentes études d’imagerie par IRM montrent que la DMT se lie aux récepteurs 2A de la sérotonine dans le cerveau, comme la psilocybine et les autres psychédéliques classiques. Le mode par défaut du cerveau est alors perturbé et il y a davantage d’échanges entre différentes régions du cerveau qui ne sont normalement pas en communication directe. L’état cortical devient plus fluide et plus complexe. Mais comment cela peut-il se traduire par le fait que les gens voient des clowns, des bouffons, des insectoïdes et des extraterrestres ? Eh bien, je pense que c’est ce que tout le monde a envie de savoir.