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Les sportifs de petite taille : les incompris du handisport français

« Everybody’s got to learn sometimes ». Le tube des Korgis inonde le Chalet, un café proche de la gare RER de Saint-Rémy-lès-Chevreuse dans les Yvelines. C’est dans ce café de la grande banlieue que je rencontre Alain Dajean, fondateur de France Nano Sport, l’association sportive nationale des personnes de petite taille. Cet ancien sportif de petite taille, natif du Lot, raconte avec un accent du Sud-Ouest impeccable les difficultés quotidiennes des athlètes de petite taille. Comme dans la chanson, tout le monde doit apprendre. Lui, il a dû apprendre à se débrouiller pour envoyer des athlètes de petite taille dans les compétitions internationales. Ou tout simplement pour les rassembler. Contrairement aux autres handicaps, les personnes souffrant de nanisme sont souvent livrées à elle-même, éparpillées sur le territoire.

« Nous sommes la seule association qui représente un handicap, revendique Alain Dajean. Les autres handicapés passent par des centres de réadaptation, des centres d’éducation. Alors que les personnes de petite taille vivent leur vie en électron libre ». Le résultat : les athlètes de petite taille ne sont pas vraiment considérés comme handicapés, ni comme valides. « Le nanisme est entre les deux, continue-t-il, il fait le lien entre le debout, le valide, et l’assis, l’handicapé. Le problème, c’est que les valides ne nous considèrent pas vraiment comme valides, et les handicapés ne nous considèrent pas non plus comme véritablement handicapés. » Un isolement qui justifierait le fait de se rassembler sous la bannière du handicap, pour faire entendre la voix de ces athlètes pas vraiment comme les autres.

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Photo G. Picout.

« Notre organisation ne répond pas à leurs attentes de traitement particulier, soupire Jean Minier, Directeur technique national de la Fédération française handisport, ils aimeraient avoir un traitement particulier vis-à-vis de leur handicap, et notre mode de fonctionnement, structuré par sports, et non par handicap, n’y répond qu’imparfaitement. Ils se sentent isolés dans leur pratique, et ils aimeraient avoir un espace particulier. » Pour lui, l’association France Nano Sport ne pourrait pas normalement recevoir des financements de la fédération handisport, organisée en clubs, et non par handicap. Elle accepte cependant par dérogation que l’association qui représente les athlètes de petite taille soit considérée comme un club afin de recevoir des subventions.

« Les personnes de petite taille ont un très fort sentiment communautaire, souligne Jean Minier, à l’instar des athlètes sourds et des malentendants, qui, du fait de leur langage propre, aspirent à se retrouver entre eux. » Pour Victor Gauthier, pongiste de dix-huit ans et souffrant d’achondroplasie, une des trois formes principales de nanisme (celle de Peter Dinklage pour ceux qui regardent Game of Thrones, ndlr), ça ne fait aucun doute : « Avec les autres jeunes de petite taille, on est une bande de potes, on a tous le même âge, on joue tous les ans la Coupe de France de foot à 5 en moins de 20 ans handisport. Même si on est tous éparpillés aux quatre coins du pays, on arrive à se retrouver sur des week-ends pour s’entraîner entre nous. »

Une équipe de foot composée uniquement de sportifs de petite taille ? Il faut rentrer dans les détails techniques du handisport pour comprendre que ça n’a rien d’évident. Pour rester simple, à chaque discipline handisport correspond des catégories de handicaps selon les capacités des sportifs afin qu’ils participent aux épreuves sur un pied d’égalité. Un peu comme les catégories de poids à la boxe. Deux athlètes de la même catégorie auront un niveau d’aptitude à peu près similaire dans une discipline donnée. « Nous, on joue souvent contre des manchots en foot », s’amuse Othmane El Jamali, président de l’Association des Personnes de Petite Taille. Pour les sports collectifs, il est possible de mixer les handicaps, comme l’explique Victor Gauthier : « Il y a les D1 et les D2, qui ont vraiment du mal à marcher. Nous, les nanos, on est tous D3. On aurait le droit d’avoir un D4, presque valide, dans l’équipe. Mais en fait, on préfère rester entre nous six. » Lors des Jeux de l’Avenir, une compétition handisport organisée tous les deux ans, la plupart des équipes viennent des Instituts Médicaux Éducatifs. Sauf les athlètes « nanos » comme ils aiment s’appeler, qui sont rassemblés sous la bannière de leur handicap. Une manière de se faire entendre, face à un appareil administratif et médical qu’ils considèrent comme éloigné de leurs préoccupations.

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Morgan Léon, la silhouette carré, les bras croisés sur la poitrine, nage depuis cinq ans. Ce Breton d’une vingtaine d’années détient le record de France du 100 mètres nage libre dans la catégorie S6. ‘S’, pour Swimming. 6, pour une catégorie qui rassemble de nombreux handicaps différents, dont les athlètes nains, mais aussi ceux qui ont perdu totalement un bras ou une jambe. S’il est licencié dans un club handisport pour pouvoir participer aux compétitions de la fédération handisport, il préfère s’entraîner dans un club de valides : « Au début, ça a été compliqué, parce que les entraîneurs du club voyaient que j’étais à la masse. Ils voyaient que je prenais de la place dans la ligne que c’était chiant. Mais quand ils ont vu que ce que je faisais en handisport était crédible, ils ont fini par s’intéresser à moi. »

Pour lui, les institutions en charge du handicap ne guideraient pas assez les handis vers le sport. « Pour une Maison départemental des personnes handicapées, qui prend notamment les décisions concernant les aides et les prestations dont peut bénéficier une personne en situation de handicap, on ne peut pas être sportif quand on est handicapé ; ou, en tout cas, il ne faut pas trop le dire, poursuit Morgan. Aussi, je trouve que les médecins rééducateurs ne font pas leur taf. Après mon opération (une osthéothomie tibiale, propres aux personnes de petite taille, ndlr) jamais le centre de rééducation dans lequel j’étais ne m’a orienté vers un club handisport. On ne nous envoie pas vers le sport. Pour les institutions, les handicapés doivent rester en centre. » Un problème de gestion du handicap en France qui détournerait de nombreuses personnes souffrant de handicap de la pratique sportive, ce qui expliquerait le retard de la France aux Jeux paralympiques, qui a obtenu une médiocre douzième place dans le classement des nations à Rio, contre la septième place en valide.

« À la base, les toubibs n’aiment pas trop ça que l’on fasse du sport, soupire Anthony Aube. Cet opticien de 32 ans, tireur sportif de petite taille qui habite Vittel, dans les Vosges, ne mâche pas ses mots. En France, on cherche à dramatiser le handicap, on te dit ce que tu ne peux pas faire. » Il en tient pour preuve les clips de présentation des équipes paralympiques du Royaume-Uni et de la France pour les jeux de Rio : d’un côté, des athlètes présentés comme des héros, de l’autre, comme des victimes. « On est un peu coincé, en France, on a comme une retenue. Même entre nous, entre sportifs de petite taille, parfois, on n’ose pas dire qu’on s’épanouit, qu’on se fait plaisir », souffle-t-il. À Rio, un seul sportif de petite taille était présent, en tennis de table. C’était la deuxième fois que la France envoyait un athlète de petite taille aux Jeux, après Patricia Marquis, au lancer de poids en 2004.

Morgan Léon exhibe sa médaille.

À l’été 2017, la petite ville de Guelsh, dans la banlieue de Toronto, verra déferler des sportifs de petite taille du monde entier pour disputer une compétition un peu particulière. Organisés tous les quatre ans depuis 1993, les Jeux mondiaux du nanisme, ou World Dwarf Games, sont la seule compétition internationale organisée par et pour un handicap. Pour les athlètes de petite taille, la fréquentation de ces jeux marque bien la différence entre les anglo-saxons et les nations latines. « Les Anglo, les Canadiens, les Américains, les Australiens… Ils sont bien plus développés dans tout ce qui est handisport en général, et particulièrement pour ce qui est du sport pour les personnes de petite taille », s’enthousiasme Anthony Aube, le tireur sportif. Aux précédents Jeux mondiaux, à Détroit en 2013, les Britanniques ont envoyé quelque quatre-vingt représentants. » Anthony Aube, de son côté, était le seul représentant Français.

Retour à Saint-Rémy-lès-Chevreuse. Alors que le morceau des Korgis touche à sa fin, Alain Dajean soupire longueument. « Si on est quinze sportifs de petite taille à aller à Toronto, déjà, ce sera un exploit. » Sont en cause le manque de financement, mais aussi, parfois, celui de motivation. Après un long silence, il souffle : « Il faut aussi traîner sa carcasse de la différence. » Tout le monde doit apprendre parfois quelque chose, surtout quand on est athlète de petite taille en France et qu’on doit apprendre à vivre avec sa différence.

Alain Dejean, à gauche.