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FRANCE

L'Histoire de l'aviateur qui survolait clandestinement Paris dans les années 1980

Jamais formellement identifié, le « Baron Noir » a semé la zizanie durant l'été 1988 – au point de se hisser au rang de légende.

13 septembre 1988. En cet après-midi estival, la préfecture de police est en émoi. Plusieurs passants ont rapporté qu'un petit avion de tourisme survole les Champs-Élysées depuis plusieurs minutes – ce qui est bien entendu strictement interdit. Une fois alertées, les forces de l'ordre relèvent le numéro d'immatriculation de l'appareil et ne tardent à identifier puis à arrêter son pilote, un certain Albert Maltret. Ce dernier avait fait parler de lui deux ans auparavant pour avoir, déjà à l'époque, posé son avion sur la plus belle avenue du monde. Ce coup-ci, Pierre Joxe – le ministre de l'intérieur en exercice – en est persuadé. Il a enfin mis la main sur le « Baron Noir », le pilote fantôme qui, la nuit venue, survole illégalement Paris depuis plusieurs semaines au nez et à la barbe des autorités.

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Tout commence le 28 juillet 1988. Il est 00h30 lorsqu'un petit biplan à hélices fait son apparition dans le ciel et plane au-dessus du sud de Paris. Il vole à une altitude particulièrement basse, frôlant dangereusement le toit des immeubles. Plusieurs riverains rapportent avoir entendu un bruit de moteur caractéristique au-dessus de leur habitation. Survol dangereux et illégal. La sécurité civile est prévenue. Aussitôt, les personnels de veille cherchent à localiser l'aéronef, en utilisant notamment un radar, mais en vain. Des policiers tentent également, depuis leurs voitures, de prendre en chasse l'appareil dans le ciel de la capitale. Mais rien n'y fait. Il semblerait que l'avion se soit volatilisé, disparaissant aussi vite qu'il était apparu.

Les deux nuits suivantes, rebelote. Dans le même secteur, plusieurs Parisiens détectent l'appareil au vrombissement de son moteur et quelques passants affirment même l'avoir entraperçu en train de voler, tous feux éteints. Il n'en faut pas plus pour que la presse s'empare de l'affaire. Dès le 30 juillet, celui que l'on surnomme maintenant le Baron Noir, en référence au Baron Rouge – de son vrai nom Manfred von Richthofen, célèbre aviateur allemand de la Première Guerre mondiale – fait les choux gras de plusieurs quotidiens. L'affaire commence à prendre de l'ampleur, et au bout de quelques jours, la France entière découvre l'existence de ce mystérieux aviateur fantôme.

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Dans la capitale, tout le monde ne parle plus que de cette histoire. Les Parisiens sont à la fois intrigués, amusés et effrayés. Un nouveau challenge fait son apparition : réussir à prendre en photo l'avion – et idéalement son pilote. De leur côté, les autorités rigolent beaucoup moins, d'autant que le Baron Noir fait à nouveau parler de lui le 8 août. Ce coup-ci, il s'est promené aux alentours de la Tour Eiffel et du Champ de Mars, toujours en volant très bas, poursuivant sa course en remontant la Seine. Les autorités décident alors de remettre en place le dispositif de guetteurs en usage lors de la Grande Guerre et qui servait à donner l'alerte en cas d'attaques aériennes. Une trentaine de fonctionnaires de police sont déployés, munis de jumelles, sur les points stratégiques situés en hauteur de la ville. Mais rien n'y fait : le Baron Noir s'évapore dans la nuit à chaque fois qu'on tente de l'observer.

Le 11 août, la police a enfin du grain à moudre. Au-dessus de l'université de Jussieu, un hélicoptère de l'armée a réussi à prendre le Baron Noir en chasse. Course-poursuite dans les airs en direction de l'aéroport d'Orly, le fuyard descend plein gaz vers les pistes. Une opération très risquée, mais particulièrement maline. L'hélicoptère abandonne la chasse par crainte d'une collision avec l'un des nombreux avions qui circulent dans cette zone. Cependant, pour la première fois, un radar a accroché le pilote fantôme sur son écran. Le Baron Noir poursuit sa course jusqu'à un petit aérodrome de Lognes en Seine-et-Marne, qui a été mis sous surveillance par la police comme tous les tarmacs de la région parisienne depuis plusieurs jours. Mais contre toute attente, il ne s'y pose pas. Et une nouvelle fois, il se volatilise. L'enquête a cependant avancé : les radars ont identifié l'appareil comme étant un monomoteur Cessna 400.

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Capture via YouTube

Face à ce nouvel affront, Pierre Joxe décide de frapper un grand coup. Devant un parterre de journalistes réunis à l'occasion d'une conférence de presse exceptionnelle, il annonce que plus de 300 policiers vont être spécialement affectés à la surveillance du ciel de Paris, de jour comme de nuit, munis de jumelles infrarouges afin de pouvoir repérer plus facilement l'appareil. Cette mini-armée sera secondée par les hélicoptères de l'Alat, l'escadron d'aviation légère de l'armée de terre, qui ont ordre de prendre systématiquement en chasse tout aéronef pouvant correspondre au signalement du Baron Noir. Enfin, Pierre Joxe annonce des sanctions exemplaires à l'égard du contrevenant lorsqu'il sera identifié.

Cet impressionnant dispositif, que le ministre de l'intérieur a surnommé avec grandiloquence « Opération Vipère », est mis en place immédiatement. Pourtant, le soir même, l'aviateur fantôme est signalé au-dessus de Paris. Idem le lendemain. Il est passé sans problème à travers les mailles du filet.

Mais aucun signalement n'est établi lors des jours qui suivent. Alors que la presse étrangère rajoute son grain de sel – à Munich, plusieurs témoins rapportent dans les journaux avoir observé « Der Schwartze Baron » voler au beau milieu de la nuit – et que des pilotes fantômes sont signalés à Lyon et dans plusieurs villes du sud, le Baron Noir ne se manifeste plus. Aurait-il peur de se faire attraper ? Le mois d'août se termine sans que rien ne se passe et le 6 septembre, devant l'absence de nouveaux survols, le gouvernement décide de lever l'Opération Vipère.

Comme par bravade, le Baron Noir – ou du moins un individu se faisant passer pour lui – s'invite le soir même au journal de 20h. Ce n'est autre qu'Albert Maltret, le visage masqué, qui affirme haut et fort être le mystérieux pilote. Coup de communication savamment orchestré ? Le Baron Noir ne fera plus parler de lui jusqu'à l'arrestation de Maltret une semaine plus tard, suite à son survol des Champs-Élysées.

Ce dernier a toujours nié être le Baron Noir devant les policiers, mais prétendait très bien le connaître. D'après ses déclarations, ce serait un ancien membre de l'armée de l'air dont la connaissance approfondie des radars lui aurait permis de ne pas se faire identifier. Il voulait se venger du gouvernement et humilier Pierre Joxe. Plusieurs témoins relateront qu'Albert Maltret leur avait avoué être le Baron Noir, malgré ses déclarations où il affirmait le contraire. L'homme est mort l'année dernière, emportant avec lui son secret.

Arnaud est sur Twitter.