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Quand la Belgique se réinventait au son de la New Beat

een man danst op een New Beat feestje in België

Tous les fans de New Beat le savent : se passionner pour ce courant musical, c’est accepter d’aimer quelque chose d’éphémère, c’est concevoir qu’une euphorie collective ne dure qu’un temps et comprendre qu’une histoire d’amour puisse avoir une fin. A priori du moins, tant les fervents défenseurs de ce mouvement, qui doit autant à l’acid-house et à l’EBM qu’à la cold-wave, continuent encore aujourd’hui d’y revenir et de lui rendre hommage, sous forme de films, de soirées (les fameuses « New Beat » à Bruxelles ou « One Night In Belgium » ailleurs) ou de livres.

Celui de Kristof Vandenhende s’appelle tout simplement New Beat. Histoire de rappeler que ces deux mots contiennent déjà tout et qu’il est inutile de conceptualiser outre-mesure ce mouvement, définit ainsi en introduction : « La New Beat, c’est de la musique de danse, un produit commercial pour toutes les discothèques. De vieux disques, un nouveau rythme, parfois ralentis, parfois accélérés. Des faces B ou des perles rares. Lentes et sombres et au rythme carré, simples et efficaces avec un beat lourd, une basse très lourde, généralement instrumentale. »

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Lorsqu’on lui pose la question, Kristof Vandenhende se fait toutefois plus laudateur, lui qui avait à peine 16 ans lorsque la New Beat explose en 1988, soit un an après « The World Beat » de The Caravan, premier single belge à contenir le mot « beat » dans le titre : « Le mouvement a d’abord commencé dans une scène exclusive à Anvers. Le premier club dédié à cette musique, celui où on retrouvait l’atmosphère New Beat, était l’Ancienne Belgique, un club privé, fréquenté par les gens les plus aisés d’Anvers. Un an plus tard, le Prestige jouait lui aussi ce son AB (le premier nom de la New Beat). Le lieu était plus accessible et beaucoup de jeunes y venaient. Comme le DJ du Prestige ne souhaitait pas que ce qu’il jouait soit défini comme de l’AB musique (en raison de la compétition entre les deux clubs), il a choisi le terme ‘New Beat’. Il avait même créé un hymne pour son club : ‘The Sound Of C’. Puis, en avril 1987, le Boccaccio Life a ouvert ses portes à Gand, avec l’ex-DJ de l’Ancienne Belgique, et est devenu ‘le temps de la New Beat’ ».

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Au Boccaccio, qui peut accueillir entre 1500 et 2000 clubbers chaque soir, la décoration flirte ouvertement avec le kitsch, des grands miroirs aux immenses escaliers lumineux reliant les différents étages, en passant par la chute d’eau géante installée juste à côté de la piste de danse. On est loin des caves obscures d’où surgissent généralement les phénomènes underground. « Logique », selon Kristof Vandenhende, qui marque une pause, reprend son souffle et développe son propos. Plutôt sociologique : « La new wave et le punk étaient underground, mais la New Beat était mainstream. C’est pourquoi elle est devenue très populaire assez rapidement. On en entendait dans les boites de nuits [selon ses estimations, entre 60 et 70 étaient dédiées à ce courant musical en 1988, contre une petite dizaine un an plus tard, NDLR] fréquentées par des adolescents de la classe moyenne, des ‘fils à papa’, quelques yuppies et même quelques gays, qui s’habillaient spécialement pour aller dans ces endroits. Et ces vêtements n’étaient pas bon marché… »

The Sound of Belgium

Au moment de faire les comptes, on oublie pourtant régulièrement de rappeler le rôle essentiel joué par les disquaires au cours des années 1980. Il y a USA Import à Anvers, Music Man à Gand et Disco King à Mouscron, où les propriétaires importent les productions venues d’Hollande, d’Angleterre, de France, d’Italie et même des États-Unis – à titre d’exemple, José Pascual, le propriétaire d’USA Import, écoutait toutes les nouveautés new-yorkaises au téléphone et avait plus de 100 000 francs belges de facture téléphonique mensuelle.

Bruno Van Garsse, qui a commencé le DJing à 16 ans en 1977, était lui propriétaire du Disco Smash à Menen, proche de la frontière française. Alors, forcément, quand on lui pose la question, il sent grandir en lui la même chose que tous ceux qui ont un jour accompagné la naissance d’un mouvement : le besoin de témoigner. À l’entendre, la Belgique a donc toujours été une plaque tournante en Europe, affirmant que la jeunesse française venait en masse en Belgique dans les années 1970 pour écouter de la musique avant-gardiste et fréquenter des boites branchées. Sur sa lancée, il affirme même que le plat pays a toujours été étroitement connecté avec les États-Unis et que « ce n’est sans doute pas pour rien si Marvin Gaye a vécu un temps à Ostende et y à enregistré « Sexual Healing », l’un de ses plus grands succès. »

S’il se réjouit aujourd’hui encore d’avoir vendu plus de 8 000 copies de « Moments In Love » d’Art Of Noise dans son petit disquaire de 70m2, on tient toutefois à rappeler que Bruno Van Garsse n’est pas n’importe qui au sein de la New Beat. Aux côtés de deux potes, il a formé à la fin des années 1980 Amnesia, une formation éphémère mais essentielle, auteure de l’un des premiers tubes du genre : « Ibiza ». « On s’est hissé à la 9 ème place du Top 50 en France, fanfaronne-t-il aujourd’hui. Ce qui était énorme pour un titre aussi branché au sein d’un paysage très commercial. »

Serge Ramaekers a également défoncé rapidement les portes du succès et largement contribué à la profusion de disques (entre août et décembre 1988, 200 singles sont produits et gravés). Après avoir lui aussi fréquenté durant plusieurs mois l’Ancienne Belgique à Anvers et été DJ résident du plus grand club de Hoogstraten (Highstreet, où il a passé 21 ans), ce fan absolu de Jean-Michel Jarre et Depeche Mode monte Confetti’s et compose « The Sound Of C », qui s’écoule rapidement à plus de 100 000 exemplaires. « Après ça, les télés et radios nationales, qui boycottaient jusqu’à présent la New Beat, ne pouvaient plus nous ignorer, balance-t-il fièrement. Pourtant, « The Sound Of C » est né d’une blague. J’ai réalisé une démo que j’ai commencé à jouer au Highstreet et que j’ai donné à Olivier Pieters, le DJ de la boite Boccaccio. Il a commencé à le jouer également et, après quelques mois, USA Import nous a contacté. Il y avait une telle demande dans leurs magasins qu’ils ont voulu passer un accord avec nous et produire ce single. »

On est alors en 1988 et tout se met peu à peu en place au sein d’un monde de la nuit belge où les boites n’ont pas d’horaire de fermeture : les cassettes de l’émission Liaisons Dangereuses s’échangent de main en main, les labels se créent (R&S, Target ou encore Antler-Subway, qui se revendique comme le « label spécialisé de la New Beat »), les clubs payent eux-mêmes les vinyles souhaités par les DJ’s, les productions s’enchainent (Antler-Subway, justement, publie deux à trois nouvelles productions New Beat par semaine en 1988), les usines de pressages s’affolent et recrutent de nouveaux salariés pour assurer les productions de nuit et le week-end, les disques enregistrés le lundi se retrouvent en club dès le vendredi, les jeunes affirment leurs styles, vont jusqu’à porter les sigles de Volkswagen ou Mercedes sur eux, se déplacent en masse dans les différentes boites de nuit de Belgique et, du fait de l’absence de diffusion sur les radios et télévisions nationales, courent chez les disquaires locaux pour (ré)écouter leurs titres préférés. Dont les influences se révèlent particulièrement variées : « Bastions in-D Stress » d’In-D contient un sample d’Indiana Jones, « Move Your Ass And Feel The Beat » d’Erotic Dissidents n’est rien qu’autre que du porno sur un beat agressif (en live, la chanteuse utilisait d’ailleurs un gode à la place du micro…), « Saigon Nightmare » de One o One transpire finalement plus l’énergie du punk-rock que la consommation de substances illicites.

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Acid Child

En 1998, plusieurs classiques du genre font également leur apparition : « Pleasure and Crime » de Signal Aout 42, « Jesus Loves The Acid » d’Ecstasy Club, « Cocaine » de The Maxx, « Rock to the Beat » de One o One ou encore « Acid Story » de Dr Phibes. Leur point commun ? Hormis le fait d’être tous composés par des hommes : faire plus ou moins référence à la drogue, que ce soit dans leurs titres, leurs paroles ou leurs visuels – pas cons, les gars de One o One remplaceront toutefois les mots « ecstasy » et « acid » par « fantasy » et « New Beat » pour être radio-diffusables. Si Jean-François Samyn (alias JEFF, fondateur de DiKi Records) ne renie pas le sujet, il dit toutefois n’avoir jamais abusé d’autre chose que du champagne et précise que les drogues circulaient sans doute moins facilement qu’aujourd’hui. Kristof Vandenhende, lui, a un autre point de vue : « Il faut attendre fin 1988 pour que la drogue fasse vraiment son apparition au sein du mouvement New Beat, précise Kristof Vandenhende. Tout s’est passé au moment de l’explosion de l’acid house et de la consommation d’ecstasy en Angleterre. »

En France, où le phénomène prend rapidement de l’importance, on a d’ailleurs vite fait de résumer la New Beat à ces tristes archétypes. Le 4 avril 1989, Christophe Dechavanne, alors animateur de Ciel mon mardi sur TF1, consacre toute une émission de son talk-show à la New Beat pour parler presque uniquement de drogues… Dans la foulée, les réactions ne se font pas attendre. Du côté de l’opposition, tout d’abord : « Warbeat » de Bassline Boys (qui sample des discours de Churchill et Hitler) est retiré des radios françaises, tandis que 55 concerts sont aussitôt annulés. Au sein du mouvement, ensuite. Il y a d’abord Dr Smiley qui détourne les paroles de l’animateur français sur le titre « L’écho Dechavanne » et en écoule rapidement 2 000 exemplaire. Puis Bassline Boys avec un « On se calme (Mr. Dechavanne) » tout aussi offensif et moqueur.

En Hexagone, on peut toutefois compter sur France 3, qui multiplie alors les reportages sur la New Beat, notamment dans le cadre de l’émission Doigts dans la prise, animée à l’époque par une certaine Evelyne Thomas, rapidement surnommée la « reine de la New Beat ». Il paraît que l’on a le public que l’on mérite… Celui de la New Beat, au sein d’une Belgique conservatrice alors gouvernée par le Parti social-chrétien, se veut en tout cas conséquent (plus de 4 000 spectateurs se réunissent le 21 avril 1989 au Forest National à Bruxelles) et extrêmement divers.

Kristof Vandenhende l’affirme : à la fin des années 1990, Frank Zappa en personne écrit une lettre d’éloge à Antler Records. Ce n’est de toute façon pas le seul à se passionner pour des titres comme « Hiroshima » de Nux Nemo, « The Drop Deal » de Bazz ou « Use The Rubber » de B-Art. Né et développé en Belgique, le phénomène New Beat imprime sa patte bien au-delà des frontières européennes : Antler Records vend des disques jusqu’au Canada et au Mexique, tandis que des magazines allemands et Anglais ( I-D, Melody Maker, Mix Mag) s’intéressent de près au phénomène. Le NME, dans un célèbre papier, ira même jusqu’à titrer : « One nation under a slowed down groove ».

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La fête est finie

La référence au morceau de Funkadelic est belle, efficace et on ne peut plus vraie. Mais ce que ne semble pas alors savoir le NME, c’est que la New Beat commence à s’essouffler à l’aube d’entrer dans une nouvelle décennie. Il faut dire qu’avec les centaines et centaines de singles qui ont été publiés en à peine deux ans, sans compter les 35 compilations et la quinzaine de LP’s uniquement produits en Belgique, la New Beat n’a plus rien de foncièrement « nouvelle ». Elle prend alors les traits de n’importe quelle personne ayant abusé des drogues, des excès et des nuits sans fin : elle tire la gueule, tourne en rond et passe d’avant-garde à caricature d’elle-même – « Arabeat » de Bingo et Shao Rut de « Sampling For Two » sont en cela aussi gênants qu’une imitation de Nicolas Canteloup.

Tandis que la New Beat se métamorphose peu à peu en quelque chose de plus populaire et moins instrumental, à l’image de « Pump The Jam » de Technotronic, écoulé à 3 millions et demi d’exemplaires à travers le monde, en coulisses, l’atmosphère se durcit. Serge Ramaekers a beau parler de ce mouvement comme d’une « immense famille où tout le monde se connaît », JEFF a beau évoquer un monde où « nous étions avides de rencontres et de signatures avec des artistes et autres maisons de disques, où l’on revoyait chaque semaine les divers groupes dans les mêmes clubs et où nous poussions tous les disques de cette grande famille dans nos magasins », les tensions sont bien réelles. L’argent pourrit les gens, paraît-il, et des formations comme Confetti’s ne dérogent pas à la règle. À l’extérieur, pourtant, tout semble aller pour le mieux : leurs trois singles (« The Sound Of C », « C In China » et « C Day ») atteignent facilement le Top 30, une tournée de 26 dates et de huit apparitions télévisées est prévue en 1989. Mais en interne, ça implose : les quatre comparses ont la sensation de se faire arnaquer par leur manager, Peter Vanderhallen, l’accusent de les faire bosser dans de mauvaises conditions et vont même jusqu’à lui réclamer trois millions de francs. « Tous les acteurs de la New Beat ont gagné beaucoup d’argent, donc il y avait énormément de concurrence, précise Kristof Vandenhende. Et comme certains gagnaient plus d’argent que d’autres… Certaines personnes sont encore en conflit aujourd’hui. »

L’auteur, qui a recueilli plus de soixante témoignages pour la réalisation de son bouquin, avance toutefois une autre explication pour expliquer la chute du mouvement New Beat : « Cette musique est devenue très populaire en quelques mois. Et comme souvent, quand vous voyez que votre petit frère ou votre grand-mère dansent sur une musique que vous aimez lors d’une fête de mariage, c’est que vous savez que le mouvement est mort… C’est précisément ce qu’il s’est passé en 1989. Il n’y avait plus d’originalité. Environ 700 disques ont été publiés en à peine 18 mois, et la plupart d’entre eux n’étaient pas bons du tout ! Ils ont juste été produis pour gagner de l’argent. »

Une vérité pénible à accepter, mais les faits sont là. Au même titre que le disco ou le yéyé, la new beat restera à jamais un genre gravé dans le temps (malgré les réappropriations constantes par de plus ou moins jeunes générations), laissant tout de même à JEFF quelques souvenirs persistants en tête : « Les gens se jetaient sur nous lorsque nous faisions des live acts dans les clubs, ils levaient tous les bras en l’air et recherchaient l’originalité dans leurs vêtements. C’était vraiment incroyable, il n’y avait pas assez de jours dans un week-end pour profiter de tout tellement l’ambiance était là ! ». Et à Kristof Vandenhende le fin mot de l’histoire : « La New Beat a porté la Belgique pendant quelques mois et permis à différents groupes de profiter de sa lumière, à l’image de Front 242 qui est devenu très populaire à partir de 1988. À cette époque, de nombreuses boites de nuit et de nombreux studios ont émergé en Belgique, les labels et les producteurs étaient également mieux équipés qu’ailleurs. Aujourd’hui encore, même à travers un événement comme Tomorrowland, le pays profite et jouit de cette avancée. »

Maxime Delcourt est sur Noisey.

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