La soupe populaire, ça évoque un truc plutôt positif comme la charité, les Restos du Cœur ou les Enfoirés. On pense aux bénévoles et volontaires qui offrent leur temps pour distribuer des plats chauds pendant les vacances à des gens démunis. Moins innocemment, on pense aussi à la combine de certains pour se faire bien voir lors d’entretiens d’embauche. Mais en Écosse et dans le reste du Royaume-Uni, on est loin de cette atmosphère de partage et l’image des banques alimentaires en prend un sacré coup.
Début septembre, VICE avait fait la lumière sur le rapprochement d’un parti britannique d’extrême-droite néo-nazi avec un groupe fasciste polonais dans le but de créer une banque alimentaire « réservée aux blancs » à Glasgow . Certains observateurs reconnaissent dans ce comportement une tendance répandue dans les groupuscules xénophobes – qui, sous couvert de « bonne volonté », ont tendance à cacher une idéologie assez borderline . Aujourd’hui, ils sont nombreux à tenter de normaliser leurs discours à travers des actions au service de la population. Mais à vrai dire, personne n’est vraiment dupe et ces distributions de nourriture ont déjà été rebaptisées : « soupe populaire de la haine ».
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À l’origine de ces rassemblements, le National Action (NA) est un groupe de jeunes Britanniques d’extrême-droite qui tient au panthéon de ses idoles des mecs comme Hitler ou Mengele. Le NA chercherait surtout à séduire des étudiants blancs déçus par le système. Pour eux, ces soupes populaires mettent en pratique des situation où « les blancs aident les blancs ». Ils affirment qu’elles sont « une lueur d’espoir dans les rues de Glasgow pour nourrir et habiller la population blanche sans abri ». Les membres du NA se sont donc associés avec ceux du National Rebirth of Poland (NRP), un groupe de négationnistes connus pour avoir vandalisé des propriétés juives. Depuis le Brexit, ils sont de plus en plus actifs dans le milieu nazi britannique.
Peut-on affirmer que ces soupes populaires sont les nouveaux lieux de recrutement des néo-nazis ? L’augmentation du sectarisme dans ces actions en faveur des plus démunis risque-t-elle d’être récupérée à son tour comme un argument pour faire chier l’État britannique, renforçant ainsi l’austérité et faisant baisser les subventions nationales ? Ou est-ce simplement un coup d’éclat médiatique instrumentalisé par quelques radicaux xénophobes en quête d’attention ?
Nous avons demandé son avis à Aamer Anwar, un grand avocat des droits de l’homme en Écosse. « Ces gens sont aujourd’hui décrits comme des néo-fascistes qui s’appuient sur les plus vulnérables de notre société pour se développer. Mais le fait d’être SDF n’est pas causé par l’afflux de migrants fuyant les pays en guerre ou par les minorités ethniques déjà présentes. Ces personnes qui se disent de ‘la race dominante’ n’ont rien à faire en Écosse. Il suffit de jeter un coup d’œil sur leur site internet pour comprendre leurs véritables intentions, leur racisme, leur islamophobie et leur antisémitisme », a-t-il expliqué à MUNCHIES.
Mais pourquoi avoir eu l’idée des soupes populaires ? « Leur but est de se présenter comme une organisation plus large que ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire une organisation qui ne rassemble pas plus qu’une poignée d’individus », explique Anwar. « Ils savent très bien que s’ils essayent de faire parler d’eux, ils rencontrent une vraie résistance, tant physique que politique. Mais dans le climat actuel, il faut rester vigilant : ils savent comme tout le monde que l’extrême-droite progresse partout en Europe et qu’il y a un vide à remplir. »
Comme le souligne Anwar, s’appuyer sur les sans-abris n’est pas nouveau pour ce type de groupes : « Ils ne font que reprendre de vieilles tactiques de l’extrême-droite. Mais personne ne doit oublier que la solution finale d’Hitler a aussi causé la mort de nombreux SDF dans les camps de concentration. »
Le Dr John Pollard de l’Université de Cambridge est expert des mouvements nazis et néo-nazis. Il explique à MUNCHIES que cette stratégie « est loin d’être novatrice parmi les mouvements fascistes/nazis/néo-nazis. » Il rappelle qu’Hitler et ses sbires avaient mis en place le programme Winterhilfswerk des Deutschen Volkes – « Aide Hivernale du Peuple Allemand ». Il ajoute que CasaPound, un groupe italien « d’inspiration nationaliste-révolutionnaire et néofasciste », s’est lui aussi mis récemment à l’aide alimentaire pour diffuser son programme. Pareil en Grèce où le groupe d’extrême-droite Aube Dorée aurait lui aussi organisé des distributions d’aliments pour « Grecs uniquement », même après l’interdiction du gouvernement.
Le Dr Aaron Winter, maître de conférences en criminologie et justice pénale à l’Université de l’East London, explique à MUNCHIES que le système de banques alimentaires « a toujours été très contesté » au Royaume-Uni. « Depuis l’arrivée de la coalition conservatrice au pouvoir, les banques alimentaires se sont développées énormément et l’élite à droite a souvent dit que cette évolution s’expliquait simplement par le fait qu’on pouvait s’y procurer de la nourriture gratuite – ils ne faisaient pas le lien avec les besoins économiques et l’austérité. D’autres pensent au contraire que si les banques alimentaires se développent, c’est à cause des migrants qui arrivent et prennent notre part du gâteau. »
National Action tente de mobiliser les partisans du Brexit, des Britanniques blancs désespérés qui accusent le multiculturalisme de tous les maux. « Pour les groupes politiques qui misent tout sur la misère du peuple, les banques alimentaires font partie de leur stratégie. »
Mais il ne faudrait pas faire de conclusions trop hâtives à propos des « soupes populaires de la haine » comme tendance émergente au sein des partis néo-nazis d’outre-manche. Nick Ryan, porte-parole de Hope Not Hate, une association britannique qui « montre et démonte les groupes qui prêchent l’intolérance, la haine et la division au lieu de souder les différentes communautés autour de valeurs communes », veut nuancer ce postulat.
Ryan assure que les récents articles parlant de banques alimentaires racistes en Angleterre sont en fait « une manœuvre médiatique pour faire croire qu’il s’agit d’un mouvement important – gonflé par la presse qui relaie l’information. » Selon les recherches de l’association, National Action est un groupe de dissidents qui se serait formé après le déclin politique et idéologique du British National Party (BNP) et les jeunes du parti réunis sous le nom de Resistance. National Action utiliserait les médias pour promouvoir son idéologie par le biais des articles sur les soupes populaires. Ce que l’association Hope Not Hate veut dire, c’est que ces groupes savent très bien manipuler l’information pour apparaître plus importants et plus efficaces qu’ils ne le sont en vérité.
Vouloir se « normaliser » par des actions sociales semble quand même étrange pour un groupe marginal comme National Action. Pour eux, même les jeunes de Resistance ne sont pas assez radicaux. De plus, le groupe s’appuie essentiellement sur des tactiques de résistance type Back Blocs qui misent sur l’anonymat et l’effet de masse pour provoquer des troubles. La seule chose que ces banques alimentaires prouvent, c’est donc à quel point National Action a recours à des stratégies contradictoires.
Quant à National Action eux-mêmes, ils ont déclaré à MUNCHIES : « Nous avons grandi dans le merdier laissé par toute une succession de politiciens vendus et nous ne pensons pas que le système politique peut résoudre nos problèmes. C’est ce que nous défendons en tant que National-socialiste ; le NSDAP a aidé les chômeurs en Allemagne durant la Dépression et nous nous inspirons d’eux. »
Les volontaires de Glasgow qui aident au quotidien les plus démuni ne sont pas spécialement inquiets par l’utilisation politique des soupes populaires et National Action. Un porte-parole du réseau d’aide aux sans-abri de Glasgow a en effet dit à MUNCHIES : « Glasgow tire sa sagesse et son humour du fait que nous sommes issus d’une population ouvrière et nous nous sentons toujours proches des désavantagés et des plus pauvres. Nous n’en avons pas honte – beaucoup vivent encore dans ces conditions – et nous cherchons rarement à accuser des innocents pour nos malheurs. Mais ce que Glasgow ne tolère jamais, ce sont les gens qui se pensent meilleurs que tout le monde. Ou les idiots. On souhaite donc bien du courage à ces groupes pour trouver des sympathisants parmi les habitants de la ville – ils en auront besoin. »
Les citations de cet article ont été éditées par soucis de concision et de clarté.