Que vont devenir les 1 650 hectares de Notre-Dame-des-Landes ?

Une grosse teuf se prépare à Notre-Dame-des Landes. Ce samedi 10 février, une trentaine de cars a été spécialement affrétée pour permettre à des milliers d’opposants à l’aéroport de venir célébrer le retrait du projet. L’occasion, pour les quelques 200 zadistes qui occupent encore le terrain, d’affirmer leur refus de d’abandonner ces 1650 hectares de bocage. Car on ne lâche pas facilement une poche de résistance anticapitaliste que l’on a construit e de ses propres mains.
Au programme : pique-niques, « déambulation carnavalesque », concert de rock, fest-noz, rave party… Et plantation d’arbustes afin d’« enraciner l’avenir ». OK, mais… lequel ?

Scénario 1 : une réserve naturelle

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« Le bocage est une grande zone humide, avec un sol pauvre en nutriments, préservé des pesticides, qui permet à des plantes comme les orchidées sauvages de se développer. Il possède une densité exceptionnelle de mares, où vivent des animaux menacés ou devenus rares en Loire-Atlantique : le triton crêté, la salamandre de feu, la grenouille rousse, le lézard vivipare…, énumère Jean-Marie Dréan, botaniste et membre du collectif « Naturalistes en herbe ». Alors évidemment, les écolos de tous poils militent activement pour la préservation de ce petit paradis vert. Jean-Marie Dréan est de ceux-là. Dès la création de la ZAD, il a conseillé les zadistes afin qu’ils cultivent leurs petits vergers en harmonie avec l’écosystème. Un « groupe moutons » gère ainsi collectivement une trentaine de bêtes, et projette de doubler le cheptel dans les mois à venir. Tandis que le groupe « Abracadabois » se charge de l’entretien des arbres et des haies. « La ZAD est devenue un lieu d’expérimentation indispensable pour apprendre à faire marcher la protection de la nature de pair avec les élevages, sans avoir la pression d’être rentable », se félicite Jean-Marie Dréan. Alors, pourquoi ne pas continuer ?

Probabilité : 90 %. Clairement, l’abandon du projet d’aéroport signe la victoire définitive des tritons contre le béton. Dimanche, des visites guidées du bocage seront encadrées par des naturalistes. Un premier pas vers l’organisation de classes vertes ?

Scénario 2 : un Larzac bis

Le combat mené au Larzac contre un projet d’extension d’un camp militaire avait abouti à la création, en 1985, d’une société indépendante, la SCTL. Elle a permis aux agriculteurs de gérer collectivement les terres, tandis que l’État en restait propriétaire. « Le Larzac a crée un précédent juridique qui nous permettra d’être crédibles lors des négociations, assure Dominique Fresneau, coprésident de l’Acipa, l’association historique de lutte contre le projet d’aéroport. Il ajoute : « Pour nous, c’est jouable. Bien sûr, cela dépendra de la volonté de l’État. Parce que je vois mal un agriculteur extérieur acheter 500 hectares en plein milieu d’un bocage… »
Soutenue par la Confédération Paysanne, cette solution ne fait pas l’unanimité chez les zadistes, qui dev raient, dans ce cas, renoncer à exploiter illégalement les terres – ou de s’acquitter d’un loyer. « On ne veut pas tous rentrer dans la légalité, confie Théo, vivant sur la ZAD depuis 2012. Mais j’ai envie de croire que la solidarité qui a cours ici permettra de faire coexister les deux approches ».

Probabilité : 30%. « Pourquoi pas ?», avait concédé le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, le 16 janvier, sur France 2…


Scénario 3 : une friche culturelle

Répartis sur une soixantaine de lieux de vie, la ZAD abrite un studio d’enregistrement de hip-hop, une radio pirate (qui émet sur la fréquence de Vinci Autouroutes – ça ne s’invente pas !), plusieurs fanfares et une foultitude d’ateliers de danse, de théâtre, de couture, ou de bricolage… « On peut très bien faire du rap un jour et du pain le suivant. Ou participer à un débat et à un atelier théâtre dans la même journée », explique une zadiste préférant qu’on l’appelle Camille – comme le veut la tradition en vigueur à Notre-Dame-des-Landes. Installée en plein « centre ZAD » depuis deux ans et demi. Elle explique : « la zone n’est pas entièrement cultivable. L’imaginer uniquement par le prisme de l’agriculture, c’est ne pas comprendre la richesse de la vie qui s’est créée ici ».
Effectivement, la vie à Notre-Dame-des-Landes a parfois des des allures de festival : Tryo, Sanseverino, Didier Super, Kenny Arkana ou encore le groupe de punk belge René Binamé sont déjà venus donner de la voix pour soutenir la cause. La semaine dernière, le prix Goncourt 2017 Éric Vuillard, a animé une conférence au Taslu, la bibliothèque autogérée de la ZAD, tout comme le scénariste de BD Wilfrid Lupano avant lui. Chaque année, en juillet, il s’y tient d’ailleurs un grand rassemblement festif réunissant toute la fine fleur des artistes « ZAD compatibles ».
Partant de là, on pourrait imaginer que le site devienne une grande friche culturelle permanente où se succéderaient concerts, expos, débats et teuf transe…

Probabilité : 10 %. « Les terres retrouveront leur vocation agricole », a insisté le 17 janvier le premier ministre Edouard Philippe, qui pourrait bien venir jouer les trouble-fête.

Scénario 4 : un sacré bourbier

Tout porte à croire qu’il n’y aura pas d’évacuation musclée : fin 2012, l’opération « César » avait tourné au fiasco et fait plusieurs dizaines de blessés légers. Le 26 janvier dernier, la préfète de Loire-Atlantique a assuré privilégier « une concertation apaisée et constructive ».
Pour autant, un important dispositif de la gendarmerie escorte actuellement les services départementaux procédant à la réfection de la fameuse « route des chicanes ». Pour les zadistes, la stratégie du gouvernement est claire : faire monter la tension et diviser les acteurs en présence. Et ça a plutôt bien marché : « Comme beaucoup ici, j’ai été choqué de voir les association céder aux exigences de l’État sans avoir demandé l’avis de ceux qui vivent aux abords de cette route, ou plus isolés dans les bois », râle un autre Camille.
Après une semaine de crispation et de débats houleux, les zadistes ont collectivement décidé de laisser faire. Du coup, contrôles d’identité et fouilles de véhicules ont repris à l’entrée de la ZAD. Et un hélicoptère survole régulièrement la zone.
D’un point de vue légal, les agriculteurs expropriés qui n’ont pas voulu être indemnisés devront déconsigner l’argent qu’ils ont refusé de toucher… avant de racheter les parcelles avec ce même argent. Un mic-mac juridique qui pourrait laisser le temps au conflit de s’enliser : « pour le moment, aucun des agriculteurs qui peut prétendre à un titre de propriété ne s’est plaint de notre présence. Je pense que le danger ce sera surtout pour ceux qui sont déjà fichés par les RG, qui pourront être inquiétés lors de contrôles routiers… ». Et la ZAD, régulièrement infiltrée par les services de renseignement, pourrait ainsi devenir un vrai repaire…de flics en quête d’infos sur les activistes.

Probabilité : 60%. À moins d’une ordonnance spéciale du gouvernement qui accélérerait la transition du foncier, la ZAD pourrait bien rester… une ZAD.