Elles n’ont pas l’air comme ça, mais les musiques électroniques fonctionnelles (c’est-à-dire celles qui font danser) sont sans doute les plus porteuses de revivals, de reprises en main et de revirements de bords en tous genres aujourd’hui. Sans doute parce qu’elles abritent plus de sous-genres labyrinthiques que n’importe qui d’autre, elles charrient en cela tout ce que le capitalisme aime vampiriser dans la musique (une niche, un marché, une sous-catégorie et donc potentiellement un nouveau public à conquérir – et à qui faire les poches).
On a eu la house lo-fi il y a quelques années, premier genre-algorithme officiel monté de toute pièce, qui a pu se targuer de donner naissance aux premiers tubes-Youtube (« Winona » de DJ Boring est la scie inévitable qui vienne en tête et que personne ne peut plus piffrer – on vous la remet donc ci-dessous). Il a permis dans le même temps de faire avaler la disco-pilule de la musique de nos parents et de créer une petite subversion à peu de frais – ça sonnait sale, du genre à enchainer les edits répétitifs en basse résolution, vive le punk.
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C’est la même chose pour à peu près pour tout : prenez n’importe quoi d’un peu excitant, il sera bientôt digéré par internet pour être recraché en sa propre caricature – et ainsi de suite. D’abord on se dit que la post-fidget est le truc le plus novateur qu’on n’ait jamais entendu (puisque de fait, il n’a jamais vraiment existé) avant qu’on se rende compte qu’on n’en a simplement rien à foutre. Et à l’heure de la dématérialisation de l’écoute (et surtout des possibilités infinies qu’elle offre), il suffit pour les diggers digitaux (et bedroom producers en devenir) de tomber sur telle perle rare, tel genre-pépite rarissime qui sorte de nulle part, pour plonger tête la première dans le robinet sans fin qui le contient, en l’occurence souvent une chaine Youtube, Soundcloud, Bandcamp, radio en ligne ou que sais-je (même les playlists en carton des services de streaming ont droit de cité désormais).
Puisque les genres « nouveaux » sont de plus en plus difficiles à inventer, on en circonscrit d’anciens, qu’on agrémente, au hasard, du préfixe « post », de l’adjectif « déconstructiviste », de la fonction « méta », de l’intention « ironique », ou encore de la sonorité « indus » (vous avez saisi le principe, peu importe le vernis, pourvu qu’on ait l’audace du marketeux). Du coup, on a maintenant parfois tendance à anticiper un peu, et à se demander quelle sera la prochaine esthétique à infecter toutes les sorties house et techno à n’en plus pouvoir, du genre à produire des remixes french touch des pires casseroles et faire passer ça pour un truc novelty. On vous passe donc en revue les têtes de gondoles aperçues dernièrement et qui rafleront à coup sûr la mise très bientôt. Sachant qu’il est peut-être même déjà trop tard.
L’electro
Si la mode suit un ordre strictement chronologique, normal de la voir passée par le broyeur des années 90. Pas de hasard à voir refleurir les références aux versants plus futuristes du genre, après avoir les pionniers de l’electro-funk remis à l’honneur (qui eut cru voir un jour une tournée triomphale d’Egyptian Lover, ambiance comeback la 808 au bout des bras levés). Ces « clins d’œil » vont d’ailleurs souvent de pair avec des emprunts aux autres genres qu’on entendait joués dans les mêmes endroits à la même époque ; la rave, le breakbeat et toutes les autres musiques club un peu trop hédonistes. La plupart des héros électro n’ont jamais arrêté de faire ce qu’ils font, mais les DJ Overdose et Stingray sont à nouveau sous les projecteurs depuis que les labels de kids sortent leurs disques. Pas étonnant de voir les jeunes producteurs suivre cette voie et signer des productions à 130 bpm pleines de 808 et de lignes de basses gutturales, de l’electro à la ghetto house, l’exemple le plus flagrant étant Textasy – un de ses derniers titres, en collaboration avec le tonton DJ Di’Jital, jouant autour d’un sample du fameux « True » de Spandau Ballet, on tient certainement ici notre candidat le plus sérieux au poste.
Le dancehall
Cette tendance qui fait lorgner les producteurs vers la Jamaïque et les productions dancehall est certainement la plus excitante car elle donne lieu à des hybridations nouvelles. On reste grossièrement sur la même période temporelle (les années 90), on change seulement de focus géographique et on s’inspire d’une tradition musicale populaire et autochtone qui n’avait jusque là rien demandé à personne – le soupçon de réappropriation culturelle est facile mais la pente bien glissante quand on voit des producteurs occidentaux s’emparer d’un genre et de son histoire comme d’un « phénomène ». Comme souvent, quelqu’un a plutôt bien résumé l’affaire en un bon vieux commentaire de hater Discogs – sous l’album de Errorsmith, infusé de dancehall et autres caraïberies.
Il faut néanmoins reconnaître que les quelques producteurs à avoir approché la chose jusqu’ici sont loin de la caricature – à ce jeu là, Low Jack a inauguré avec ses Riddims Du Lieu Dit une série prometteuse sur son propre label Editions Gravats. En outre, les rythmiques du genre infusent les productions hybrides de toute une frange de jeunes producteurs, à l’image de Simo Cell (et son 5 Party Mix sorti chez BFDM), Jay Glass Dubs et plus généralement le label Bokeh Versions.
La drum’n’bass
Un peu antérieure et ayant logiquement donné lieu à la fascination récente pour la Jamaïque et le dancehall ou (bientôt) le ragga, la hype autour de la drum’n’bass et de la jungle est certainement la plus à l’abri de toutes les réappropriations. La drum’n’bass est restée bien assez vivace tout ce temps pour vraiment se faire récupérer, puis celle-ci semble trop intrinsèquement liée à une vision futuriste pour ne donner lieu qu’à des relectures nostalgiques. Le label BFDM n’y est pas pour rien ici encore, et a grandement posé sa pierre à l’édifice néo-bass bien de chez nous.
Ses caractéristiques les plus saillantes (parties rythmiques surprésentes, kicks syncopés, onomatopées reprises au reggae…) étant les plus propices à la caricature, on n’a vraiment pas hâte de voir sortir les premiers remixes nanards du genre (celui ci-dessus ne compte pas).
L’ambient exotica et la global pop
Après les aficionados de « l’outernational club music » (dancehall, kuduro, reggaeton…), il serait bien probable de voir la house redonner vie à l’idée de global pop chère à Deep Forest. Nous avions déjà parlé de post-balearic en ces pages pour désigner le premier EP de River Yarra. Cette synth-pop de bric et de broc exotisante fut autant représentée par les Phaser Boys ou autres Wolf Muller l’année dernière, pour les plus mémorables. Pour le versant club de la chose, nourri par les années 90 et le pire de la trance, ça risque bien de déboucher tout droit sur le grand retour de la house ushuaïa pour le pire – ou sur des ovnis trancesque comme celui ci-dessous, toujours par River Yarra.
En fait n’importe quoi pourvu que ça ait l’air « dépaysant »
Gabber africain, microhouse bulgare ou bien encore darkwave finlandaise, tout parait plus dépaysant lorsque ça sonne venu d’ailleurs. Mais puisque le futur de la musique n’attend pas, et qu’il est déjà ici et maintenant (en l’occurrence en ce moment dans un petit coin d’Ouganda, en la personne du label Nyege Nyege Tapes, comme l’ont repéré les gars de Musique Journal), gageons que des petits malins mal intentionnés (traduire : occidentaux) s’empareront de ces merveilles aux rythmiques impossibles en se les réappropriant avant même qu’elles ne sortent le bout du nez hors de leur localité. Et en dévoient la substantifique moelle, pour en faire des edits et remixes prêts à emballer en afterwork enfariné ou dans la cave de ton couscous préféré. On vous a à l’œil.
Benjamin Leclerc est sur Twitter. Marc-Aurèle Baly également.