L’article original a été publié sur VICE États-Unis.
En mars, la paléoécologiste Jacquelyn Gill a écrit un tweet montrant peut-être le sentiment le plus contrastant pour une scientifique au sujet des changements climatiques : de l’optimisme.
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Dans ses recherches à l’Université du Maine, elle étudie le passé pour voir comment les espèces réagissent aux bouleversements planétaires. Elle croit que c’est grâce à cette très vaste échelle de temps qu’elle a pris conscience de notre capacité d’adaptation et notre résistance. « Avec les traces fossiles, la Terre nous enseigne littéralement comment s’en sortir, écrit-elle. Ça me pousse à me relever les manches. »
Sa position est diamétralement opposée à celle d’un récent rapport du Breakthrough National Center for Climate Restoration, un think tank de Melbourne, en Australie, qui prédit l’extinction de l’humanité en 2050. Cette conclusion est basée sur la modélisation des données d’un scénario dans lequel on continuerait à rejeter autant de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane dans l’atmosphère d’ici là. D’autres ont fait écho à cette condamnation, affirmant que le réchauffement de l’Arctique ne peut désormais que se poursuivre et que les émissions de CO2 ont dépassé le point de non-retour.
Cette rhétorique catastrophiste peut donner envie de jeter l’éponge. Mais les scientifiques qui étudient l’histoire ont des arguments solides en faveur du pragmatisme optimiste de Jacquelyn Gill. Comme elle, des paléontologues et archéologues fouillent le passé à la recherche d’indices susceptibles de nous aider à améliorer notre avenir, et ils constatent que nous sommes, comme les autres animaux, des survivants.
Leur optimisme ne les empêche pas de reconnaître que les changements climatiques sont réels, qu’ils sont le résultat de l’activité humaine et qu’il y a urgence. Malgré tout, ils insistent sur une raison de garder confiance : nous ne partons pas de rien. « Nous pouvons nous servir de la grande quantité d’information à notre disposition et notre grande ingéniosité pour élaborer de très bons plans basés sur la science pour nous guider dans l’avenir, assure-t-elle. Nous avons tous les outils et la capacité pour progresser. Il ne nous manque que la volonté. »
Cette dernière remarque, au sujet de la volonté, c’est la manière douce de dire qu’il faut que les décideurs écoutent et agissent en conséquence. Ils ont de la chance — tout comme les prochaines générations : les scientifiques leur donnent tout ce qu’ils doivent savoir.
Les crises climatiques précédentes ont déclenché des changements positifs
Dans les dizaines et centaines de milliers d’années avant nous, il y a eu des fluctuations climatiques, et des humains y ont survécu. Ils ont traversé des sécheresses, des inondations, des extinctions, des effondrements de civilisations entières. Leurs expériences peuvent composer pour nous une sorte de manuel, ou, à tout le moins, une esquisse de ce qui se prépare.
À partir des traces d’activité biologique fossilisées, Jacquelyn Gill a observé que des espèces ont une plus grande capacité d’adaptation aux changements climatiques que d’autres. Certaines migrent et d’autres trouvent des moyens de vivre dans de nouveaux écosystèmes. Nous avons beaucoup en commun avec les survivants des grandes extinctions : une grande capacité d’adaptation, la mobilité et la capacité de modifier notre environnement pour qu’il réponde mieux à nos besoins. La connaissance de ces périodes de l’histoire nous aide à concevoir des solutions.
Prenons un exemple : la civilisation maya a fait face à de sévères difficultés environnementales, comme des sécheresses, la déforestation et des pertes de récoltes. Les chercheurs ont tendance à voir l’abandon d’une structure urbaine comme un effondrement social complet, dit Tim Kohler, un archéologue et anthropologue de l’évolution à l’Université Washington State. Maintenant, ils découvrent que les Mayas ne se sont pas laissés simplement disparaître : ils se sont réorganisés et ont persévéré.
« Ils vivent simplement dans de différents endroits maintenant, mais ils ont conservé une appartenance à ces lieux et reconnaissent que les gens qui vivaient dans ce lieu longtemps avant étaient leurs ancêtres, à tout le mois dans un sens général », poursuit-il.
Semblablement, dans les zones côtières du Pérou, des sociétés complexes avec de grands monuments, une autorité hiérarchique et des canaux d’irrigation ne sont apparus qu’après des événements catastrophiques découlant d’El Niño. Selon Dan Sandweiss, un archéologue qui étudie les effets d’El Niño sur le Pérou à l’Université du Maine, une théorie veut que ces innovations soient survenues en réaction aux changements climatiques, un possible élément déclencheur d’une croissance sociétale. Dans le même genre, le Dust Bowl, région des États-Unis touchée par une sécheresse dévastatrice dans les années 30, a engendré le programme national d’assurance agricole et d’importants changements dans l’utilisation des terres.
Dans bien des cas, l’« effondrement » de la civilisation s’est accompagné du démantèlement du pouvoir : l’autorité religieuse, le gouvernement. « Mais en général, un grand nombre de personnes survivent », rappelle Tim Kohler. Ces périodes peuvent être des occasions d’effectuer des changements culturels ou de corriger des inégalités.
Il y a des leçons du passé que l’on peut mettre en pratique dès maintenant
Dans les changements culturels, sociétaux et environnementaux que des populations ont effectués après des désastres d’origine climatique, les scientifiques peuvent puiser de l’information non seulement sur ce qui a été détruit, mais aussi sur ceux qui ont survécu. Cette information peut servir de guide dans les prochaines étapes de l’adaptation à la montée du niveau des océans et aux autres conséquences, et aussi nous aider à éviter de commettre de nouvelles erreurs dans l’établissement de communautés.
Les humains disposent de 14 000 d’expérience en adaptation aux montées du niveau des océans en Floride, dit Ken Sassaman, un archéologue de l’Université de la Floride qui étudie les populations côtières de cette région. « Nous avons un incroyable trésor d’archives de l’expérience humaine face aux changements du niveau de l’océan. Nous devons puiser là-dedans. »
En Floride, jusqu’à il y a 2000 ans, les populations indigènes n’avaient pas bâti beaucoup d’infrastructures sur la côte. Mais ensuite, elles ont commencé à construire ce que les archéologues appellent des « centres civiques de cérémonies » : des lieux communautaires où l’on pouvait se réunir pour des banquets ou des cérémonies religieuses, entre autres. Ils avaient un autre usage : des groupes installés en divers endroits tissaient par cet intermédiaire un réseau social régional pouvant servir en temps de crise ou s’il fallait se déplacer.
Si Ken Sassaman était responsable d’une ville comme Miami, il dit qu’il s’en inspirerait et demanderait à des sociologues de repérer des réseaux sociaux existants dont disposent les résidents actuels, ainsi que des lieux où ils devraient aller si le niveau de l’océan montait au point où leur ville serait inhabitable.
Récemment, il s’est aussi intéressé une petite ville appelée Cedar Key, dévastée par un ouragan en 1896. Elle se situe sur Atsena Otie, dans les Cedar Keys, des îles au large du nord-ouest de la Floride. La population locale avait surexploité les ressources forestières de l’île pour sa meunerie, ce qui a accentué la vulnérabilité de la côte en cas de tempêtes. On avait aussi pêché les huîtres en trop grande quantité, affaiblissant les récifs qui, par conséquent, n’ont pas contenu la marée de tempête qui a balayé la ville.
Ken Sassaman a conçu une façon de permettre aux gens d’être témoins de ce qui s’est produit pour les sensibiliser aux causes des catastrophes environnementales. Il a lancé un projet de simulation en réalité virtuelle de la ville avant l’ouragan. « De cette façon, les gens peuvent comprendre que, même si la ville était un modèle florissant de développement côtier à l’époque, on avait essentiellement construit un château de cartes. »
Malheureusement, il semble que l’on ait construit un château de cartes à nouveau, sous la forme de villes au niveau de la mer, et le niveau est en train de monter. Mais cette fois, les scientifiques peuvent mieux prévoir ce qui s’en vient et déterminer où les gens devraient aller, comment les y accueillir et ce qui sera perdu à cause des effets du réchauffement climatique.
On peut penser que l’étude des catastrophes du passé ne nourrit pas l’optimisme, mais la capacité de modéliser un monde où la température sera plus élevée est une force, selon Peter de Menocal, géologue marin et paléoclimatologue au Lamont-Doherty Earth Observatory de l’Université Columbia. « Ce n’est qu’en connaissant le passé qu’on peut savoir de quoi sera fait l’avenir », rappelle-t-il.
Dans les données géologiques à notre disposition, le maximum thermique du passage Paléocène-Éocène est ce qui se rapproche le plus des changements climatiques actuels. Il y a 55 millions d’années, la Terre s’est très soudainement réchauffée de 8 °C de plus qu’aujourd’hui, à cause de gigantesques émissions de CO2. Le réchauffement a duré environ 200 000 ans et causé une grande extinction.
On peut ainsi voir ce qui s’est passé et à quel point l’environnement s’est dégradé, ce qui nous donne la possibilité d’évacuer les doutes au sujet de ce qui se passe actuellement et de nous servir du passé comme source de motivation pour faire en sorte qu’il ne se répète pas. On peut dire avec absolue certitude qu’un réchauffement planétaire engendre l’extinction d’espèces et force l’abandon des lieux où les humains se sont installés. Cela devrait susciter des décisions politiques visant à freiner ce qui se prépare.
Le catastrophisme et le pessimisme ont un revers concret
Peter de Menocal s’émerveille de cette possibilité de prévoir. « Nous avons la capacité de voir l’avenir, ce qui est vraisemblablement un plus grand pouvoir que tout ce qu’avaient les anciennes sociétés, estime-t-il. Avoir une idée de ce qui est en jeu permet réellement de renforcer la certitude qu’il faut faire quelque chose. Je pense qu’il y a une chose qu’on ne peut pas faire, c’est dire au monde que ce sera bientôt l’enfer sur terre et qu’il n’y a rien qu’on puisse faire pour l’empêcher. »
Les scénarios les plus pessimistes attirent l’attention, mais des recherches ont montré qu’ils ne sont pas efficaces pour susciter l’action. Penser au pire limite la créativité et hausse le stress.
Pour en parler, Per Espen Stoknes, spécialiste des effets psychologiques des changements climatiques au Centre pour la croissance verte à la BI Norwegian Business School, a décrit dans une entrevue le mois dernier ce phénomène qu’il appelle la « doom barrier » : « Nous avons beaucoup d’études qui montrent ce qui a tendance à inciter les gens à renoncer, et c’est la peur et le sentiment de culpabilité, ce que le catastrophisme a tendance à susciter. »
Des chercheurs et des militants qui se consacrent à la crise climatique parlent souvent ouvertement de constat. « Tout compte fait, le pessimisme n’est pas acceptable », a dit Naomi Oreskes, historienne de la science à l’Université Harvard, au cours d’une entrevue en 2016. « Ça devient une excuse pour abandonner. »
L’optimisme fondé sur la connaissance du passé concerne l’espèce dans son ensemble : l’humanité en général va survivre. Mais on n’ignore pas que, sur une base individuelle, il y aura des pertes. « Ce peut être les récifs coralliens qu’on aime, qu’on est allé voir quand on était enfant, mais que nos petits-enfants risquent de ne pas pouvoir voir », donne en exemple Jacquelyn Gill.
On devrait viser plus que la seule survie de l’espèce, mais si l’enjeu de la survie est ce qui nous pousse à se battre, on doit s’y accrocher, selon elle. « Ces tragédies personnelles peuvent monter à la surface une fois qu’on est capable de délaisser une sorte de peur existentielle générale et de se concentrer sur ce qui est réellement en danger », dit-elle.
Le but est de s’en servir comme point de départ de l’innovation et du changement
Un fait encourageant à propos du passé : il rappelle que chacun de nous est un descendant de survivants, rappelle Tim Kohler. « C’est ainsi que marchent les systèmes évolutionnaires. Et ça, en soi, pourrait être une raison d’être optimiste. »
Ken Sassaman dit qu’il peut voir dans l’activité des anciennes communautés floridiennes que l’on n’a pas simplement laissé la nature suivre son cours, mais qu’on a été proactif. Devant la montée du niveau de l’océan qui s’est accéléré au cours de plusieurs décennies, ils déterraient fréquemment leurs morts pour les réenterrer plus haut.
« Je me sers de cet exemple juste pour montrer que ces anciennes communautés tiraient profit d’un très profond perspectivisme du temps dans le but d’imaginer l’avenir bien plus vaste que l’échelle des gens d’aujourd’hui », explique-t-il.
C’est peut-être la plus grande leçon qu’il a retenue : nous devons adopter une perspective du temps qui dépasse le passé et l’avenir immédiats. « Si vous êtes entrepreneur, vous pensez en fonction d’une échelle trimestrielle, poursuit-il. Si vous êtes politicien, vous pensez en fonction d’un mandat. Mais qui pense en fonction d’un siècle? »
Il n’est pas suffisant d’être spectateur du passé, d’après les chercheurs interrogés. Pour la première fois, nous disposons de la technologie et de la connaissance de notre histoire pour prendre les choses en main. Nous devons changer ces vastes connaissances en actions et nous baser sur la simple reconnaissance que nous savons comment survivre comme point de départ de l’innovation et du changement.
La Confédération iroquoise avait adopté le principe de la septième génération. Il s’agit de réfléchir aux effets des grandes décisions sur la société dans les sept prochaines générations. Si c’était le seul concept que nous empruntions au passé, selon Ken Sassaman, notre avenir serait déjà très différent. « Imaginez qu’on envisage les choses ainsi, ajoute-t-il. Ça changerait complètement notre façon de faire. »
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