A l’été 2006, un petit groupe de fans habitués des pubs de Glasgow et du Celtic Park, le stade du club catholique de la ville, dresse un constat sans appel : l’ambiance en tribunes n’est plus ce qu’elle était. De bouillante et enfiévrée, elle est devenue plate, presque apathique, au plus grand désespoir de la bande, nostalgique des Old Firm (les derbies contre les Rangers, le club protestant de Glasgow) des grandes années. Ces supporters acharnés se jurent donc de tout faire pour redonner au Celtic Park ses lettres de noblesse, à grands renforts de bannières, de mégaphones, mais aussi de convictions politiques, sur le modèle des ultras rencontrés un peu partout en Europe lors des déplacements du Celtic.
Dix ans plus tard, le groupe, baptisé Green Brigade depuis, se définit comme « anti-fasciste, anti-raciste et anti-sectaire », fait parler de lui quasi quotidiennement dans la presse locale et même sur notre site, puisqu’on a évoqué leur existence à plusieurs reprises déjà. Lors d’un match de qualification pour la Ligue des champions face à l’Hapoel Beer Sheva par exemple, une douzaine de membres de la brigade ont arboré de grands drapeaux palestiniens, une entorse plus qu’évidente au règlement de la UEFA qui interdit tout signe politique, idéologique, religieux, offensant ou provoquant dans ses stades.
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Comme les mecs de la Green Brigade sont des habitués de ces démêlées avec l’UEFA, ils ont vite anticipé l’amende salée qu’ils allaient ramasser et lancé une campagne pour récolter des fonds. L’idée est de payer la note présentée par l’UEFA bien sûr, mais aussi, au passage, d’aider financièrement deux associations palestiniennes, ce qui est fait avec brio puisque la brigade, qui espérait initialement récupérer 20 000 euros, en a collecté plus de 150 000. Un accomplissement et une fierté pour le groupe, comme en atteste le communiqué publié dans la foulée : « Cet acte de solidarité a permis au Celtic de gagner le respect et l’admiration. Nous sommes fiers d’apporter une contribution positive en réaction à la sanction des instances gouvernantes du football européen qui sont partisanes sur la question . »
Le succès de cette campagne de crowdfunding, tant sur le plan médiatique que financier, témoigne de la notoriété à laquelle la Green Brigade a réussi à accéder en assez peu de temps. En 2006, ils n’étaient qu’une douzaine de fans du Celtic, avec pour seule ambition de redynamiser l’ambiance dans le stade. « La première saison, nous voulions simplement permettre à l’équipe de retrouver la ferveur des soirées européennes dans les matches de championnat, mais nous avons rapidement eu de plus grandes ambitions quand nous avons vu que le public suivait derrière », explique l’un des membres fondateurs sur un forum de fan.
Intallé dans la section 111 du Celtic Park, le groupe s’est d’abord distingué grâce à ses tifos spectaculaires, puis à grand renfort de chants républicains et de fumis. Forcément, cet engagement à gauche n’a pas plus à tout le monde, mais il a aussi drainé un large public, séduit par ce groupe qui s’inscrit dans la droite lignée de l’héritage politique du Celtic, historiquement très ancré à gauche. A l’origine, le club avait en effet été fondé pour sauver les immigrés irlandais débarqués pendant la grande famine de la pauvreté et des discriminations que leur faisaient subir certains Ecossais. « Le Celtic s’est toujours engagé pour la défense des faibles face à leurs oppresseurs, il a été créé dans ce but et c’est notre grande fierté », confirme Jeanette Findlay, membre des Celtic Trust, un autre groupe ultra.
La Green Brigade a peut-être été l’une des premières organisations liées au Celtic à organiser de tels projets, mais William McDougall, professeur à l’université de Glasgow, relève que le club a déjà été impliqué dans bon nombre de polémiques et autres débats politiques bien avant 2006 : « Les fans du Celtic se considèrent comme des membres d’une communauté de déshérités, au statut économique de seconde classe. Ils se définissent bien sûr comme Ecossais, mais ils sont fiers de leurs racines irlandaises. C’est la raison pour laquelle le club ne pouvait pas rester muet sur plusieurs débats politiques qui ont agité l’Ecosse. »
Parmi ces polémiques évoquées, l’affaire du drapeau, qui remonte à 1952, et qui avait fait grand bruit à l’époque. Le président du Celtic Bob Kelly s’était embrouillé avec la fédération écossaise, qui exigeait que le club cesse d’arborer le drapeau irlandais. En 1968, le club s’était encore distingué en décrétant le boycott des matches prévus contre les clubs de l’Europe communistes pour protester contre l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’URSS.
Aujourd’hui, les supporters du Celtic ont abandonné leur combat contre la guerre froide pour embrasser la cause palestinienne. En 2012, lors de la dernière journée de championnat, les membres de la Green Brigade ont organisé un défilé en solidarité avec les prisonniers palestiniens qui suivaient alors une grève de la faim en affichant haut leurs pancartes « Mieux vaut rester digne que manger ». En 2014, alors que le Hamas et Tsahal étaient en pleine guerre de Gaza, le club a reçu une amende de 20 000 euros de la part de l’UEFA, toujours pour la même raison. Les fans de la Green Brigade avaient sortie des drapeaux palestiniens lors d’un match contre les Islandais du KR Reykjavik.
Cet intérêt marqué pour la cause palestinienne peut s’expliquer pour deux raisons bien distinctes, selon Jeanette Findlay. D’abord car les supporters du Celtic ont toujours « soutenu des causes marquées à gauche, or la Palestine est peut-être l’une de ces causes les plus profondément inscrites dans la culture de cette gauche », mais aussi parce que ce conflit entre inconsciemment et inévitablement en résonance dans l’imaginaire des supporters avec l’histoire torturée de l’Irlande : « C’est un peuple dépossédé de sa terre, un peuple qui s’est fait spolier, enfermer, soumettre à une des lois les plus répressives du monde, qui vit dans un système des plus injustes. »
Même si elle reste l’un de ses chevaux de bataille favoris, la Palestine n’est pas la seule cause défendue par la Green Brigade. Le groupe s’est aussi emparé de sujet plus légers, en lançant des dizaines de ballons sur les pelouses lors des rencontres de championnat pour protester contre les horaires des matches, programmés à 6 heures de l’après-midi.
Sans surprise, ce goût de la contestation et de la revendication, exprimé par des chants et des jets de fumi a posé quelques soucis dans les relations entre la brigade et les autorités du coin. En 2012, après qu’un derby entre le Celtic et les Rangers ait tourné au chaos absolu, le gouvernement écossais a passé une loi très contestée, appelée l’Offensive Behaviour at Football Act. Présentée comme une loi permettant d’éradiquer les violences dans les stades, ce texte a surtout été pris par la brigade comme une attaque directe et une menace pour son existence. Voire un prétexte pour les museler.
Un an après le vote de la loi, à l’occasion d’un match contre le Milan AC, les supporters du Celtic déploient une large banderole en hommage à Bobby Sands, un activiste de l’IRA mort lors d’une grève de la faim des prisonniers politiques irlandais qu’il avait lui-même initiée en 1981. Cette fois-ci, le club prend les devants pour se protéger et suspend 128 membres de la brigade, tout en déplaçant 250 autres dans un autre bloc du stade. Le professeur à l’université de Glasgow William McDougall explique que le Celtic a pour modèle Manchester United et qu’il cherche à créer « une atmosphère familiale et chaleureuse dans le stade, la direction refuse que la politique s’immisce en tribunes. »
Cette période correspond, de l’aveu des membres de la brigade, à un des moments les plus critiques de l’histoire du groupe. Heureusement pour eux, ils ont été réintégrés au stade au cours de la saison 2014/2015. Et cette première période de turbulence n’a visiblement pas calmé les ardeurs de la brigade, qui continue à porter les mêmes messages, malgré les tentatives de l’UEFA de lui mettre des bâtons dans les roues. D’après McDougall, ce comportement de la Green Brigade s’explique évidemment par l’histoire du club, mais aussi par un phénomène plus général : « Cela fait partie de la culture footballistique à l’échelle européenne, ce genre de revendications est une forme de réponse à la marchandisation du sport. C’est pour cela qu’une partie de la jeunesse de Glasgow acquise à la cause du Celtic décide chaque week-end de s’installer en tribunes dans le secteur de la Green Brigade. »