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Ultra gauche

D'où vient le slogan « All cops are bastards » ?

Née dans les prisons anglaises, popularisée dans les stades de soccer, l'expression est désormais le refrain préféré de l'ultra gauche.
Image extraite du film A.C.A.B.: All Cops Are Bastards (Stefano Sollima, 2012)

Affiché dans les tribunes des stades de football, scandé par un groupe de punk ou placardé contre un lampadaire dans la rue, le terme ACAB – All cops are bastards, traduisez « tous les flics sont des salauds » – s’invite partout. Quatre lettres, devenues le symbole des relations pour le moins conflictuelles entre une frange de la population et les forces de l’ordre.

Comme le précise le journaliste Franck Berteau dans son livre Le Dictionnaire des supporters, la présence d’ACAB aurait été rapportée pour la première fois dans les années 1970 par Eric Partridge, un journaliste de Newcastle, qui aurait vu l’inscription dessinée contre les murs d’une prison. En 1982, les quatre lettres sont popularisées par The 4-Skins , un groupe de oi ! londonien, qui en fait le titre de l’un des morceaux de son premier album.

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À la même époque, l’Angleterre vit au rythme des émeutes et les grandes grèves des mineurs. « Dans les stades comme en dehors, toute une frange de la jeunesse bascule dans la violence, explique Franck Berteau dans son livre. Le hooliganisme s'impose comme l'un des symptômes d'un profond malaise, d'un bouleversement historique des équilibres sociaux. » Un contexte qui favorise l’utilisation du terme ACAB, qui ne se limite pas uniquement au phénomène hooligan, mais s'installe progressivement dans « l'ensemble des sous-cultures ou mouvement sociaux exposés à l'action policière. »

« ACAB, c'est cibler la police en tant qu’obstacle à l’insurrection » – Sylvaine Bulle, professeure de sociologie

Très vite, le terme va s’exporter via le monde des supporters. « Depuis les débuts du mouvement ultras, les Italiens se sont inspirés des tribunes anglaises », explique Sébastien Louis, historien spécialiste du mouvement ultra, auteur du livre Ultras, les autres protagonistes du football. Il faut cependant attendre les années 1990 pour que le slogan s’immisce dans les tribunes italiennes, par le biais du club de Padoue, dont les supporters « exhibent à partir de la saison 1994-1995 un étendard avec cette mention », révèle Sébastien Louis. Berceau du mouvement ultra, l’Italie inspire ses voisins européens. Mais l’utilisation du terme ACAB n’est adoptée « par les ultras du monde entier qu’au XXIe siècle. »

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Photo via Wikimedia Commons

Tagué sur le buste de Dalida dans le XVIIIe arrondissement ou inscrit sur une banderole en tête de cortège, ACAB s’invite désormais au coeur des mouvements de contestation. Comme dans le monde des ultras, sa démocratisation est liée à certains épisodes récents ayant impliqué les forces de l’ordre. Le 16 octobre 2012 est lancée l’opération César, dont l’objectif est l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. En plus d’être un fiasco, l’opération est émaillée par des scènes de violences policières envers les opposants au projet. Deux années plus tard, la mort du jeune militant Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive jeté par un gendarme mobile lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens, cristallise encore plus les tensions envers la police. Plus récemment, l'agression du jeune Théo à Aulnay-Sous-Bois a remis de l’huile sur le feu.

Sylvaine Bulle, professeure de sociologie à Paris, spécialisée dans la violence politique et les mouvements de contestation, s’intéresse à l’utilisation d’ACAB dans les mouvements autonomes. Pour elle, dans ce milieu, ce diminutif cache quelque chose de plus profond qu’une simple haine des forces de l’ordre. « ACAB, ce n’est pas "tout le monde déteste la police", c’est beaucoup plus politique. C’est cibler la police en tant qu’obstacle à l’insurrection et en tant que reflet extrêmement fort d’un ordre politique qui est trouble, chancelant mais que l’on veut attaquer. »

Aujourd’hui, le terme ACAB s’éloigne souvent de son sens premier : certains militants altermondialistes l’ont modifié en « All Capitalists Are Bastards » et certains groupes d’extrême-droite l’utilisent sous la forme « Anarcho communist are bastards ». Au sein des mouvements autonomes, il est détourné « dans le but d’utiliser la dérision, l’humour et le surréalisme comme un langage de guerre », révèle Sylvaine Bulle. Pas sûr que cela fasse rire tout le monde.

Clément Le Foll est sur Twitter.