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Grandir en France

Grandir à Grigny, entre déterminismes sociaux et clichés persistants

L’histoire de Malik, aspirant réalisateur qui a grandi dans le quartier de la Grande Borne.
Alexandre Vella
propos rapportés par Alexandre Vella
Malik durant son enfance, quelque part dans le sud de la France. Toutes les photos sont publiées avec son aimable autorisation.

Dans le cadre du concours Toi-Même Tu Filmes avec YouTube, nous avons rencontré Malik, lauréat de l'année dernière qui a grandi à Grigny, pour qu'il nous parle de son adolescence dans le quartier de la Grande Borne.

Vous connaissez probablement déjà la ville de Grigny, située en banlieue parisienne – ne serait-ce que par son traitement médiatique. Mais en toute sincérité, les médias ne parlent de nous que pour mettre en avant les agressions que subissent les policiers ou évoquer les bagarres, les vols et les histoires de drogues. Il y a pourtant bien d'autres choses à évoquer, mais il faudrait pour cela que les journalistes cherchent à interroger les jeunes et les habitants de la ville pour comprendre la source de ces affrontements. Peut-être qu'ils refusent d'entendre la vérité ; celle qui dit que les flics provoquent, insultent et contrôlent les jeunes gratuitement quand ils s'ennuient, que les gardiens de la paix n'existent plus et ont laissé place à des voyous costumés. Certes, ce récit n'est pas vendeur, et renvoie une mauvaise image de l'État. Aux yeux de chaînes grand public tels que BFM, tout repose sur l'exagération, l'amplification et l'instrumentalisation. Quand il est question de villes de banlieue, les médias devraient parler de tout, des mauvais comme des bons côtés, afin d'éviter de détruire et salir les populations qui y résident. Aujourd'hui, il est très difficile de trouver du travail quand on annonce venir de Grigny – les portes semblent se refermer aussitôt. J'ai emménagé là-bas à l'âge de 6 ans, avec ma mère et mes petits frères. Nous avions obtenu un HLM au quartier de la Grande Borne, ce qui changeait beaucoup du F3 que nous habitions à Évry-Courcouronnes. J'ai pu avoir une chambre rien que pour moi, neutre et simplement meublée, un petit bureau, un lit, une armoire – ainsi qu'une litière pour mon chat, un Maine Coon. Je n'ai jamais vraiment décoré ma chambre, ce qui est sans doute lié à mon temps passé à Évry, où les lits superposés occupaient toute la place.

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Mes parents sont originaires des Comores, et on partait parfois en vacances au Sénégal tous ensemble. Ils se sont séparés quand j'étais tout petit, mais cette séparation ne m'a pas vraiment affecté, vu que je voyais mon père tous les week-ends et à chaque période de vacances. Nous n'avions pas beaucoup d'argent et nous avons parfois manqué de nous faire expulser, mais ma mère s'est battue comme elle le pouvait pour nous faire grandir dans les meilleures conditions possible. Au final, j'ai eu une enfance très classique – j'allais à l'école, je passais du temps à la maison, et je traînais souvent en bas de l'immeuble pour jouer au ballon avec mes amis. Le fait de grandir à Grigny m'a appris beaucoup de choses, comme le respect des aînés – j'en suis un dans ma famille aujourd'hui, et ce n'est pas toujours facile d'être un grand frère. Au cours de mon adolescence, j'allais en cours et je traînais dehors avec mes amis. On avait la fâcheuse manie de transformer des caves en maisonnettes. On récupérait des canapés et des meubles pour bien les aménager. Un de mes potes trafiquait les fils pour qu'on puisse y brancher une multiprise, installer une télé, une PlayStation et un lecteur DVD. On passait notre temps à l'intérieur à discuter, fumer et nous cacher en cas de conflit. Il y a aussi eu cette longue période où nous allions nous battre contre des jeunes des villes voisines, pour des histoires de regards, de bagarres, d'appartenances à tel quartier ou de vengeance.

En hommage à notre frère Shouga parti trop tôt

Au lycée, les choses ont un peu changé. J'ai commencé à rencontrer de nouvelles personnes, en dehors du quartier. C'est seulement à ce moment-là, en 2007, que j'ai commencé à sortir réellement en dehors de la Grande Borne, au gré des anniversaires et des soirées. Quand tu viens de Grigny et que tu côtoies que des Grignois, tu ne quittes jamais ton quartier. Finalement, je côtoie toujours les mêmes personnes – parmi mes amis d'enfance, certains se sont mariés et ont eu des enfants, quelques-uns sont en prison, et d'autres sont morts. Pour ma part, j'ai très vite eu envie de devenir acteur. Je me demande encore comment j'ai pu avoir de telles aspirations, alors que tout semblait indiquer que c'était impossible pour moi. Pour commencer, la majorité des personnes qui vivent à Grigny sont des noirs et des Arabes – et dans le milieu du cinéma, il n'y en a pas des masses. Si t'avais le malheur d'en parler à un pote, il te riait au nez. Je me souviens aussi d'un de mes professeurs, à qui j'avais fait part de mon envie de faire du cinéma. Il m'a regardé dans les yeux, a souri et m'a rétorqué : « Tu vas finir à l'intérim. » J'étais quand même à fond – j'allais jusqu'à m'entraîner devant le miroir de la salle de bains. Puis un jour, un ami réalisateur, Djigui Diarra, m'a fait jouer dans son film – et j'ai compris que c'était vraiment ce que je voulais faire.

L'année dernière, j'ai remporté le concours Toi-même tu filmes, pour lequel j'ai réalisé le court-métrage « Tu as quoi de plus que moi ? », avec quatre autres jeunes de Grigny. À ce stade, j'avais déjà compris que je m'orienterai plus vers la réalisation – j'avais déjà fat un court-métrage intitulé Vivre ou mourir, qui m'avait permis de passer sur Arte. Je suis à présent un réalisateur autodidacte avec plein d'ambitions, et je ne compte plus m'arrêter. Pour subvenir à mes besoins et ceux de ma famille, je bosse en tant que technicien d'alarme – je l'ai eu grâce à un piston. Je monte à bord de mon véhicule de fonction et j'arpente les différentes routes des Yvelines pour me rendre chez mes clients. Chaque jour, je visite des maisons sublimes, parfois même des châteaux – ça change de mon HLM. Le soir je rentre, je regarde une petite série, un film ou je fais du montage ou de l'écriture. J'étudie aussi l'écriture cinématographique en lisant des bouquins. La plupart de mes modèles sont américains, mais je trouve que les meilleurs films sur la banlieue sont français – La Haine et Ma 6-T va crack-er ont été faits il y a des années, mais on vit toujours la même chose.

Le concours Toi-même Tu Filmes est ouvert jusqu'au 15 octobre – cliquez ici pour en connaître toutes les modalités.