Il y a plus d’un an, je discutais avec la productrice et DJ montréalaise Ouri après une entrevue peu après la sortie de son EP Superficial. Elle était dans un rush pour terminer la préparation de son live set, et je lui avais demandé si ce n’était pas trop dur. Sa réponse, aussi simple soit-elle, m’avait marqué et mis devant une réalité dont je ne connaissais pas forcément l’existence. « Le plus compliqué dans tout ça, c’est la solitude qui va avec, parfois c’est difficile à vivre. »
La succession de concerts et la préparation qui va avec ne sont pas forcément faciles à assumer, autant physiquement que mentalement. Certains artistes comme Chromeo sont même allés jusqu’à prendre la décision d’annuler une tournée en Australie cet été en raison d’une santé mentale bien trop fragilisée par l’enchaînement de dates à travers la planète. Dave 1, la moitié du duo, s’était d’ailleurs exprimé longuement sur ce sujet en juin dernier sur Instagram, affirmant souffrir de dépression et d’anxiété durant la majeure partie de sa vie.
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Il y a quelques semaines, j’étais en studio avec Mike Shabb pour une entrevue et je lui ai demandé comment il vivait la mort de XXXtentaction, un artiste dont je savais qu’il appréciait beaucoup le travail. « Il faisait de la musique qui aide les gens à dépasser leur anxiété et leur dépression. Ce qui me donne encore plus de respect envers ce gars-là. Il arrivait à les faire se sentir moins seuls. J’ai l’impression que la dépression et l’anxiété touchent 75 à 80 % des jeunes aujourd’hui, et avoir de la musique qui puisse te permettre d’avoir de l’espoir et de dépasser ça, c’est très important. » En réalité, ce sont plus de 60 % des milléniaux qui sont anxieux par rapport à leur famille, leur état de santé ou leur capacité à payer leurs factures, d’après une récente étude de l’American Psychiatric Association (APA) sortie en mars 2018. Mais Mike Shabb a marqué un point, les milléniaux souffrent beaucoup de l’isolation. D’ailleurs, une autre étude, celle-là de la revue Psychological Medecine, avait conclu que le sentiment de solitude chez les jeunes adultes est associé notamment à une moins bonne santé mentale.
D’autres artistes, comme le producteur montréalais Jamvvis, ont décidé d’utiliser leur musique pour s’aider eux-mêmes à sortir de la dépression. « À vrai dire, c’est très difficile de se rendre compte que tu déprimes sur le moment. C’est seulement une fois cette période terminée que j’ai réalisé que j’étais véritablement déprimé depuis mes 12 ans, ça aura duré presque sept ans de ma vie… Pourtant, une grande partie de moi le savait et je ne voulais pas que ça se remarque en public parce que je ne voulais pas qu’on se sente mal pour moi, je déteste qu’on s’apitoie sur mon sort. Pourquoi les gens devraient culpabiliser quand ils peuvent m’apprécier pour ce que je suis? Le plus ironique dans tout ça, c’est que le regard de beaucoup de gens a changé lorsque j’ai commencé à exposer ma dépression », raconte le producteur de 20 ans.
À l’inverse, pour l’artiste visuelle Pony, c’est un problème de santé physique qui l’a conduite à une longue période de solitude. « J’étais beaucoup seule parce que j’ai eu une opération majeure suite à un décollement de la rétine. Ça m’a pris un an à m’habituer et guérir complètement. J’étais déprimée et j’avais beaucoup de difficulté à me faire à ma nouvelle vision. Je voyais tout en double et j’avais beaucoup de corps flottants. Je n’arrivais même plus à dessiner. Je m’isolais beaucoup parce que je n’appréciais pas la vie que je voyais, mais, en travaillant sur moi-même, je suis retournée dans la gratitude. Je me sens tellement chanceuse d’avoir tout le reste de mon corps en santé. C’est une question d’apprendre à se concentrer sur ce qui va bien. »
Pony et Jamvvis ont pour point commun d’avoir réussi à utiliser leur solitude pour en faire quelque chose de créatif, une collection de vêtements nommée Lonely pour la première et un album appelé Lonely Thoughts pour le second. VICE est allé poser quelques questions à ces deux artistes pour parler de leur rapport à la solitude, à l’anxiété et à la dépression.
VICE : Est-ce que la solitude est difficile à vivre parfois?
Pony : Tout dépend de la relation que tu as avec toi-même. J’avoue que, naturellement, je ne suis pas toujours ma meilleure amie. Je dirais même que c’est plutôt le contraire. J’ai tendance à laisser mes pensées négatives prendre le dessus trop souvent, mais, depuis quelques années, je travaille fort à les apprivoiser et à ne pas leur accorder d’importance. Je m’intéresse beaucoup à comment le cerveau et le subconscient fonctionnent, comment défaire des habitudes et en créer des nouvelles plus saines. C’est comme ça que j’ai réussi à combattre les dépendances avec lesquelles j’ai vécu, comme la cocaïne et les troubles alimentaires. Ce sont les plus grands exploits de ma vie jusqu’à présent. Je fais tout ça dans le but de mieux vivre ma solitude qui représente la majorité de mon temps.
Jamvvis : Je suis très à l’aise à l’idée d’être seul. Beaucoup de personnes pensent que la solitude est une mauvaise chose, mais, en réalité, j’ai l’impression que ce sont des gens qui ont peur d’être eux-mêmes. Les gens sont focalisés sur l’aspect négatif d’être seul au lieu d’en voir les bons côtés. Rassurez-vous, j’ai des amis, j’ai un groupe de musique appelé 999SECTION, j’ai une blonde et une famille aimante. Pourtant, j’aime toujours être seul, mais c’est normal pour moi. Parfois, j’ai l’impression d’être un vagabond ou d’être comme Itachi dans Naruto.
Qu’est ce qui est le plus difficile dans votre vie de tous les jours en tant qu’artiste?
Pony : Douter de soi. Tout repose sur moi, pis je ne me sens pas toujours comme la meilleure juge de mon travail. Je mets la barre vraiment haute et donc je suis rarement satisfaite de ce que je produis. Encore une fois, je suis très consciente de ce comportement et je travaille là-dessus au quotidien, donc c’est beaucoup moins pire qu’avant.
Jamvvis : Essayer de ne pas trop penser à qui aime vraiment ce que vous faites, mais surtout essayer de ne pas trop suivre ce que les gens font dans cette période musicale où énormément de choses similaires sortent. J’ai l’impression que tout le monde est coincé dans une boîte et je ne veux pas être cette personne. J’essaie que mon processus créatif soit influencé par le moins de choses possible.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui traverse une période de solitude ou de dépression?
Pony : N’évite pas le problème. Si tu décides de le confronter, tu te mets déjà dans ton propre team. C’est important aussi d’extérioriser tes pensées verbalement, par écrit, en dessin ou en musique. Toute forme de libération peut-être une action très thérapeutique. Lis à propos de ce que tu vis, va chercher de l’aide professionnelle et parles-en à tes amis; ils souffrent peut-être de tracas similaires. De se sentir compris, ça peut faire un bien immense. On se croit souvent plus seul qu’on l’est en réalité.
Jamvvis : Prends le temps d’apprécier qui tu es et ce que tu fais. Continue à t’améliorer pour toi, pas pour des likes Instagram ou du clout. Internet, c’est l’école secondaire, sors un peu de ça. Surtout, mange sainement.
Si tu envisages de te suicider, rappelle-toi que tu as des gens derrière toi qui t’aiment même s’ils ne le montrent pas forcément. Mon but avec mon album était d’envoyer un message aux artistes déprimés : personne ne devrait faire semblant d’être un autre, personne ne devrait avoir peur d’être déprimé, l’important est de reconnaître le problème et le surmonter.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui?
Pony : Je me sens plus enlignée dans ma vie que jamais. J’ai un plan d’action et je sais quoi faire pour y arriver. Je suis consciente que le bonheur et la paix d’esprit, c’est un work in progress, and I’m doing the work. Je vois des résultats, et c’est positif.
Jamvvis : Aujourd’hui, j’ai complètement dépassé toutes mes idées noires et je me sens très bien. Je ne me considère plus déprimé. Je suis moi-même, vivre me fait me sentir mieux chaque jour, et c’est tout ce qui compte.