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Fachosphère

Montpellier : comment Babos-City est devenu le terrain de jeu de l'ultra droite

Une fac de droit de tradition pétainiste, des nostalgiques de l'Algérie française, une petite bourgeoisie frappée par la crise... Enquête sur une ville en trip nationaliste.

Il y a quinze ans, Montpellier était surtout connue des milieux militants comme une ville cool, pourvoyeuse d’activistes sympas, capables de vous réveiller au djembé tout un camp anti-G8 à 6 heures du matin – vous incitant presque à renier tout engagement altermondialiste. Aussi, lorsque des étudiants occupant un amphi se font défoncer la tête à coups de lattes par un commando cagoulé, dans la nuit du 22 mars, on se demande soudain si ce surnom de « Babos-city » n’est pas devenu anachronique, et comment cette charmante cité estudiantine a pu devenir le terrain de jeu de la droite dure.
Si la violence de l’agression laisse les militants perplexes, c’est surtout parce que leurs auteurs semblent être des professeurs de droit, des notables bien sous tous rapports – deux d’entre eux ont d’ailleurs été mis en garde à vue le 28 mars. Mais les commandos de ce type, eux, sont loin d’être une exception. « Sur la ville et dans l’Héraut, on en compte de plus en plus souvent », reconnaît la porte-parole locale du NPA, Martine Granier. « Ils sont essentiellement le fait d’un groupuscule identitaire, la Ligue du Midi, très peu nombreux mais très portés sur le coup de poing ». On a d’ailleurs vu ses membres rappliquer au pas de course, probablement attirés par l’odeur du sang, pour encadrer la contre-manif organisée par les étudiants s’opposant à leurs camarades qui occupaient l’amphi. À ce stade de l’enquête, pourtant, aucun d’eux ne semble être impliqué dans l’attaque. Alors, d’où vient cette violence réactionnaire ?

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Une ville où la gauche est… de droite

À force de voir la capitale du Languedoc rivaliser avec Toulouse et Rennes dans le classement des bastions de la contestation, on en aurait presque oublié que Montpellier est d’abord la ville où même la gauche est de droite. À l’image du défunt maire, Georges Frêche, précurseur du Vallsisme et du Macronisme ; un cadre du PS dont la boussole politique indiquait souvent l’Algérie au Nord. Certes, il y a toujours eu une petite effervescence de gauche sur la fac de Lettres, mais la région est avant tout un territoire de droite, voire d’extrême droite. En ces terres du Midi où les « nostalgériques » sont légion depuis leur rapatriement d’Algérie, poussent de temps en temps des stèles à la mémoire de l’OAS, comme à Perpignan, Marignane ou Béziers – la ville dirigée par Ménard. « Dans le département, on assiste à un glissement vers la droite, qui se radicalise », souligne pour sa part Daniel Kupferstein, militant de VISA (Vigilance Initiatives Syndicales Antifascistes) à Béziers. « Le FN dépasse régulièrement la barre des 50 % lors des scrutins, alors même qu’il y a d’autres listes d’extrême droite, et il est arrivé en tête du second tour de la présidentielle dans un nombre important de communes du littoral et d’Occitanie ».

Les Roudier, nationalistes de père en fils

Une terre toute désignée pour faire prospérer la famille Roudier lorsque le patriarche, Richard, ancien d’Union radicale, le groupe de Maxime Brunerie dissous après l’attentat manqué contre Chirac sur les Champs Elysées en 2002, cherche à lancer son propre mouvement identitaire : la Ligue du Midi. Nationaliste et régionaliste, ce groupe qu’il dirige avec ses fils, Olivier et Martial Roudier, surfe sur la vague patriotique et la peur de l’étranger, lutte contre « l’invasion de migrants » et glorifie la baston comme mode d’action depuis que le père a fait ses classes en cassant du gauchiste dans les affrontements de mai 1968. Une tradition familiale dignement perpétuée par Olivier, condamné en décembre dernier à un mois de prison pour avoir saccagé les locaux d’une association d’aide aux mineurs étrangers, et Martial, connu notamment pour avoir été le responsable de la caisse de soutien à Esteban Morillo, le meurtrier présumé de Clément Méric. « Depuis les années 2000, l’hégémonie électorale du Front ne laisse qu’un espace marginal aux autres groupes qui, du coup, se tournent vers la rue, considérant que c’est là que ça se passe, et donc vers la castagne », note Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités.
Très attachés à leurs racines occitanes, les Roudier se vivent comme la dernière ligne de défense contre « l’invasion migratoire », une rhétorique de la « colonisation à l’envers » qui fait écho aux peurs, aux déceptions et à la soif de revanche des nostalgiques de l’Algérie française. Mais, aussi, à la politique du bouc émissaire en temps de crise, lorsque le taux de chômage s’envole et que la petite bourgeoisie du Midi craint pour ses biens.

Un maire en guerre ouverte contre les gauchistes

Du temps de Georges Frêche, très attaché à l’autorité, les identitaires étaient pourtant tenus en respect. « Montpellier était même l’une des rares villes de France où leurs manifs se faisaient démonter par la police », assure Arnaud, militant à Solidaires Étudiants. La situation a bien changé depuis l’élection de Philippe Saurel, « plus occupé à faire démonter les stands de la campagne BDS (« Boycott, désinvestissement, sanctions », en soutien à la Palestine et contre la politique d’apartheid de l’État israélien) qu’à lutter contre l’extrême droite », dénonce l’étudiant. « Le dernier rassemblement encadré par la Ligue, juste après l’attaque, était même protégé par la police », témoigne quant à elle la porte-parole du NPA. C’est que la Ligue est en première ligne dans la lutte contre les gauchistes et les réfugiés : précisément les deux bêtes noires de la droite et de l’extrême droite. « Depuis cinq ans, c’est la mouvance autonome des squats qui domine le milieu militant dans la ville », assure Arnaud. « Beaucoup de militants viennent de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : ils sont très organisés et bien formés aux occupations et ont permis d’ouvrir plusieurs lieux d’accueil pour les réfugiés ». Chaque fois, les autorités ont essayé de les expulser mais les squatteurs ont gagné une bataille juridique qui a fait date, il y a quelques mois. Depuis, la gauche radicale salue dans tout le pays la « jurisprudence Utopia », du nom donné à ces squats dont le tout premier a été installé… dans l’immeuble de l’ordre des avocats, rue Lodève.

La fac de l’extrême Droit

« A priori, les profs impliqués dans l’attaque de l’amphi n’appartiennent pas aux identitaires », assure Arnaud, qui se trouvait sur les lieux le 22 mars au soir et qui connaît bien les enseignants de droit, étant étudiant en licence d’ZHIRISS (Histoires, relations internationales et sciences sociales) à l’université Paul Valéry. « Mais ils ont des affinités évidentes ». Que les facs de droit soient des viviers d’extrême droite n’est plus une surprise pour personne depuis que le GUD (Groupe Union Défense) est apparu en 1968, sur le campus de Paris II-Assas. Mais la situation à Montpellier est particulière. « Tout se passe comme si la fac de droit incarnait une version ‘notable’ de la droite extrême locale : de la même manière que certains se sentent ‘envahis par les migrants’, les profs de droit se sentent ‘assiégés par les étrangers’ de la fac de Lettre », analyse Paul Alliès, ancien doyen de la fac de droit lui-même, entre 1990 et 1995 – l’un des quatre seuls doyens de gauche en un quart de siècle — aujourd’hui professeur émérite. D’où les applaudissements du doyen Philippe Pétel quand des nervis cagoulés ont libéré « son » amphi ; d’où, également, le commentaire acerbe d’une professeur expliquant que si l’on avait écouté Pétel, qui ne voulait pas que l’AG étudiante se tienne là, rien ne serait arrivé. « Leur conception du droit est si rigide, verticale et normative, qu’ils en arrivent à nier les principes fondamentaux et s’opposent à la liberté de manifester ou à la liberté syndicale », note Alliès.

Héritiers d’une belle tradition d’extrême droite dans une fac connue pour son pétainisme et qui réserva un bien mauvais accueil, en 1940, au professeur résistant Pierre-Henri Teitgen, les profs de droit de Montpellier se voient comme l’élite universitaire menacée par la démocratisation de l’enseignement supérieur. Ils aiment à se différencier culturellement du Midi rouge pour défendre un Midi blanc et exercent d’ailleurs sur le seul campus resté dans le centre historique de la ville, quand les autres facs ont déménagé. Et puisque leur statut de notables devrait, estiment-ils, leur assurer un peu de pouvoir et d’impunité, ils en viennent à oser ce que même le prof de Lyon III Bruno Gollnisch n’a jamais fait : péter la gueule de leurs étudiants. À visage découvert, face à des téléphones portables. Là aussi, un bien bel anachronisme.